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"Politichien" : dans le cercle du pouvoir
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D’après Le Bréviaire des Politiciens de Jules Mazarin Mise en scène : François Jenny Avec : François Jenny et Marine Barbarit

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

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THÈME

Au XVIIe siècle, Jules Mazarin, cardinal d’origine italienne et principal ministre de Louis XIII puis du jeune Louis XIV, il rassembla ses conseils dans Le Bréviaire des politiciens.

François Jenny en sélectionne des passages qu’il interprète, à l’intérieur d’un cercle blanc tracé sur la scène, avec pour seule présence, une servante aussi muette qu’empruntée, qui commence par le maquiller en clown blanc (la signature théâtrale de François Jenny).

POINTS FORTS

La sélection opérée par François Jenny est plus que judicieuse : on a le sentiment qu’il nous a réservé et accommodé les principaux morceaux de bravoure écrits par le cardinal (voir rubrique “Un extrait“).

L’idée de recycler le “Clown Blanc“ (sa signature théâtrale) permet aux préceptes de Mazarin de s’incarner dans un personnage qui exprime la dissimulation derrière le masque et la comédie – même impitoyable - du pouvoir, puisqu’il s’agit d’interpréter sans dévier d’un pouce « le sérieux et la gravité ». D’ailleurs, grimé en “Auguste“, le Politichien ne rappelle-t-il pas l’étendue des pouvoirs concentrés par Octave, le premier et plus importants des empereurs romains ? Plus près de nous, les amateurs de bande dessinée se souviennent qu’Enki Bilal grimait les dirigeants dans sa trilogie Nikopol de maquillages qui n’étaient pas sans rappeler celui montré ici.

Un tel choix permet aussi de focaliser l’attention du public sur le visage, les regards et les expressions extrêmement riches et mobiles de François Jenny. Sa maestria n’est pas sans rappeler celle d’autres “divins chauves“ comme Bernard Blier, Daniel Ivernel ou encore Daniel Boulanger.

Le choix d’assortir cet Auguste assoiffé de pouvoir d’une servante maladroite, justement campée par Marine Barbarit, se justifie parfaitement. Il montre par contraste l’étendue du pouvoir qu’il exerce sur elle depuis son cercle blanc, et la servante est appelée à jouer un rôle décisif, pour ne pas dire définitif.

Les concepteurs du spectacle, Fr. Jenny en tête, ont bien compris que, même interprétées avec un immense talent, l’accumulation des formules - fussent-elles toujours percutantes - pourrait lasser si elles dites les unes à la suite des autres. Ils ont donc placé des intermèdes, notamment musicaux, qui constituent des respirations particulièrement bien choisies et au bon moment.

QUELQUES RÉSERVES

Une vingtaine de spectateurs ce soir-là pour assister à un moment de théâtre si précieux, quel dommage… pour tous les autres.

ENCORE UN MOT...

Le texte du cardinal reste d’une grande actualité, quand il invite tous ceux qui ont le goût du pouvoir à bien comprendre ce que l’ascension vers ce but exige de vigilance, de contrôle permanent sur soi-même et de connaissance de « la grammaire des hommes.» Certains, qui perdirent de vue ces exigences, durent ensuite abandonner un pouvoir difficilement conquis grâce à elles.

L’on ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec tel président, quand le Politichien nous enjoint de nous méfier « des jeunes gens [car] ils sont impatients et prétentieux », ou avec tel chef centriste, qui considère que « le bonheur est dans le centre [et qu’il faut] éviter les extrêmes ».

Enfin, et surtout, comment ne pas penser irrésistiblement à ce qu’un François Mitterrand - très fin connaisseur des lettres françaises et recordman de la durée d’exercice du pouvoir présidentiel sous la Ve République - a pu emprunter aux préceptes du cardinal, au point de prénommer sa fille unique et chérie “Mazarine“ ?

UNE PHRASE

Quelques formules parmi les multiples pépites que recèle ce Bréviaire :

«  Connais-toi toi-même et connais les autres. »

«  Les gens du peuple… Qui nous servirait mieux qu’eux ? »

«  Simule et dissimule. »

«  Il n’y a pas d’amis quand on marche vers le pouvoir. »

L'AUTEUR

Le cardinal Jules Mazarin (1602-1661), issu d’une famille noble italienne, obtint la confiance de Richelieu et le remplaça comme Premier ministre des souverains français. Il exerça un pouvoir souvent sans partage à un moment où la monarchie tentait d’évoluer vers l’absolutisme. Cette tendance n’allait pas de soi auprès des grands princes et autres puissantes familles du royaume (les Condé en tête), peu disposés à tolérer un roi trop puissant. C’est la raison pour laquelle Mazarin, artisan infatigable de l’affirmation royale, connut plusieurs fois l’exil et dut surtout faire face à la Fronde, révolte nobiliaire en plein milieu du XVIIe siècle, qui éclate au moment où Louis XIII mort,  son successeur, Louis XIV est trop jeune pour régner.

Mazarin lutta opiniâtrement et avec succès contre une adversité constante, qui tirait argument de ses origines étrangères (il fut naturalisé en 1639, deux ans avant d’être fait cardinal) et du rôle prépondérant qu’il joua auprès d’Anne d’Autriche, la régente qu’on soupçonna vite d’avoir eu une liaison avec lui. Nul doute que les ressources exposées par Mazarin dans son Bréviaire ont été expérimentées par le cardinal pour mener la carrière que l’on sait.

François Jenny raconte que Jean-Louis Wilhelm lui offrit Le Bréviaire des Politiciens en 1984, avec pour mission d’en faire « bon usage ». Politichien fait honneur à la dédicace du metteur en scène et à la mémoire du défunt cardinal.

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