Polarisation à vide : une vaste étude menée par des politologues révèle que les gens n'aiment pas leurs adversaires politiques pour des opinions que la plupart d'entre eux n'ont pas vraiment…<!-- --> | Atlantico.fr
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Les partisans du président américain Donald Trump et de l'ancien vice-président Joe Biden tiennent des pancartes avant une visite de Donald Trump à Sterling, en Virginie, le 23 août 2020.
Les partisans du président américain Donald Trump et de l'ancien vice-président Joe Biden tiennent des pancartes avant une visite de Donald Trump à Sterling, en Virginie, le 23 août 2020.
©SAUL LOEB / AFP

Danger pour la démocratie

Des chercheurs et des enseignants de l’Université Wilfrid Laurier, de l’Université de Toronto, de la Rotman School of Management et de l’Université d’Alabama ont analysé les perceptions erronées des citoyens et de la sphère politique vis-à-vis des convictions de leurs opposants. Leurs travaux révèlent notamment une tendance à critiquer les adversaires politiques pour des idées qu’ils ne défendent pas en réalité.

Anne E. Wilson

Anne E. Wilson

Anne E. Wilson est Professeur de psychologie à l’Université Wilfrid Laurier.

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Atlantico : Dans votre étude The Ties that Blind : Misperceptions of the Opponent Fringe and the Miscalibration of Political Contempt, vous avez analysé les perceptions erronées de l'autre côté du spectre politique. Et le fait que les gens ont tendance à reprocher à leurs adversaires politiques des vues qu'ils ne partagent même pas. Comment avez-vous observé cela ?

Anne E. Wilson :Nous avons interrogé de larges échantillons de libéraux et de conservateurs aux États-Unis et leur avons demandé dans quelle mesure ils étaient d'accord avec une série de questions modérées et extrêmes. Nous leur avons également demandé d'estimer le pourcentage de libéraux et de conservateurs qui étaient d'accord avec chaque question. Cela nous a permis de comparer l'accord partisan réel avec les estimations de l'accord par les opposants. La plupart des partisans étaient d'accord avec les positions modérées associées à leur parti (par exemple, les soins de santé pour les libéraux, les droits des armes à feu pour les conservateurs) et les adversaires ont estimé cet accord de manière assez précise. En revanche, seule une minorité de partisans approuvait les positions les plus extrêmes de leur parti (par exemple, l'étouffement de la liberté d'expression pour les libéraux, la discrimination raciale pour les conservateurs) ; mais les opposants politiques estimaient que ces positions les plus nocives étaient partagées par une majorité.

Vous avez étudié les perceptions erronées sur les questions et les opinions extrêmes et modérées, quelle est la différence de comportement ?

Nous avons défini les opinions "modérées" comme étant celles qui représentent les positions politiques typiques de chaque camp, des réductions d'impôts à la durabilité. Ils sont modérés dans leur formulation : nous avons décrit des positions politiques banales qui, même si elles peuvent avoir des conséquences, suscitent rarement l'indignation. En revanche, les points de vue extrêmes sont plutôt présentés comme des caricatures, par exemple des flocons de neige libéraux intolérants ou des racistes conservateurs déplorables, qui peuvent être rapportés de manière sélective dans les médias partisans ou les médias sociaux.

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Comment cette fausse perception de ce que pensent leurs adversaires politiques se forme-t-elle dans l'esprit des gens ? Est-elle due aux politiciens, aux médias, à l'auto-conviction, etc ?

Nous pensons que les fausses perceptions spécifiques commencent souvent par la diabolisation des opposants par les élites politiques et l'amplification par les médias partisans et les médias sociaux de ces voix extrêmes mais non représentatives. Ces forces sociétales déclenchent des biais cognitifs humains qui conduisent à des surestimations parfois dramatiques.

À l'appui de cette perspective, nous avons constaté que les personnes qui consomment le plus de médias partisans ont les opinions les plus faussement polarisées sur leurs adversaires.

Quelles sont les conséquences de cette fausse polarisation que vous avez identifiée ?

Il existe des conséquences interpersonnelles claires qui peuvent avoir des implications profondes. Les personnes qui surestiment le plus les opinions extrêmes de leurs adversaires (celles qui sont le plus faussement polarisées) sont plus susceptibles de détester fortement leurs adversaires et, en retour, de refuser même d'interagir avec eux. En coupant le contact, on élimine la possibilité de corriger les idées fausses. Cela peut créer un cercle vicieux dans lequel les gens méprisent et évitent leurs adversaires, mais souvent pour des opinions qu'ils n'ont même pas.

Quelles pourraient être les conséquences à long terme de ce phénomène ? S'agit-il d'un danger pour la démocratie ?

Ce cycle de fausse polarisation peut être un danger pour la démocratie. Tout d'abord, des recherches antérieures ont montré que lorsque la polarisation est la plus forte, les partisans sont moins susceptibles de prendre en compte les arguments forts ou faibles en faveur d'une politique particulière et se contentent de voter en accord avec leur parti. Cela signifie que les politiciens qui ont le moins à offrir en matière de politique seront les plus incités à alimenter une fausse polarisation. Deuxièmement, nous avons observé que les partisans des deux camps surestiment la volonté de leurs adversaires d'accepter des tactiques électorales contraires à l'éthique, mais aussi que le simple fait de réfléchir aux manquements à l'éthique de leurs adversaires rend les partisans plus disposés à accepter des tactiques contraires à l'éthique de leur propre parti. Cela pourrait contribuer à un cycle auto-entretenu où les deux camps justifient leurs propres méfaits démocratiques en faisant appel aux infractions exagérées de leurs adversaires.

Pour retrouver l’étude de Victoria A. Parker, Matthew Feinberg, Alexa Tullet et Anne E. Wilson : cliquez ICI

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