Piketty au pays des merveilles : la taxe à 75% de François Hollande est sans fondement théorique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La taxe à 75% est directement inspirée des travaux de l'économiste Thomas Piketty.
La taxe à 75% est directement inspirée des travaux de l'économiste Thomas Piketty.
©

Fumeux

L'une des mesures phares du candidat Hollande fut sans conteste la taxe à 75% sur les hauts revenus, directement inspirée des travaux de l'économiste Thomas Piketty. Travaux qui reposent sur de fausses affirmations.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Nous sommes le 27 février 2012, François Hollande participe à l'émission "Parole de candidat" sur TF1 et formule pour la première fois la promesse de taxer les plus hauts revenus à un taux de 75%. Le candidat Hollande s'est emparé des travaux réalisés par l'économiste français Thomas Piketty, spécialiste mondial de l'analyse des inégalités, pour soutenir sa proposition.

L'idée fait du bruit. Les médias étrangers relateront la proposition jusqu'à provoquer la réaction du prix Nobel d'économie, Edward C. Prescott. Pourtant, selon ce dernier, l'écart de richesse constaté entre Europe et aux États-Unis n'est rien d'autre que la conséquence d'un taux marginal d'imposition plus élevé en Europe. Il adresse une mise garde contre l'application d'une telle réforme au regard de son caractère négatif sur la croissance.

L'économiste américain fait alors référence à ses travaux (“Why do Americans work so much more than Europeans ?” Federal Reserve Bank of Minneapolis) ou il établit un lien de causalité direct entre hausse du taux marginal d'imposition et temps de travail. Plus les gens sont imposés, moins ils sont incités à travailler. Et, inversement.

« C’est un non sens ! Quand les gens en Europe ont cinq semaines de vacances,  ce n’est pas à cause de taxes élevées ». C’est par cette seule affirmation que Thomas Piketty répondra à la critique du Prix Nobel pendant la campagne présidentielle.

Ce n'est qu'en septembre 2013 qu’il reviendra sur cette controverse. Au cours de son dernier ouvrage « le Capital au XXIème siècle », l'économiste vient apporter les justifications de son raisonnement.

« Il n’existe aucune relation statistiquement significative entre la baisse du taux marginal supérieur et le taux de croissance de la productivité des différents pays développés depuis les années 1970. Concrètement, le fait central est que le taux de croissance du PIB par habitant a été presque exactement le même dans tous les pays riches depuis les années 1970-80. Contrairement à ce que l’on s’imagine parfois outre-manche ou outre-Atlantique, la vérité des chiffres - autant bien sûr que les comptes nationaux officiels permettent de l’approcher - est que la croissance n’a pas été plus forte depuis les années 1970-1980 au Royaume-Uni et aux États-Unis qu’en Allemagne, en France, au Japon au Danemark ou en Suède ».

L’économiste français explique ici que la plus forte progression du PIB américain doit tout à la démographie, et suggère en conséquence de ne comparer que la progression du PIB par habitant (qui permet en effet de s’affranchir de l’impact démographique). Il prouve ainsi que l’impact de la fiscalité a été neutre depuis le début des années 1980 car la croissance par habitant aurait été similaire entre États-Unis et pays européens. De cette façon, le fait de “taxer les riches” permet de réduire les inégalités sans impact sur la croissance.

Mais cette « vérité des chiffres » laisse perplexe :

Indice de croissance du PIB par habitant / France / Etats Unis.

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Le PIB par habitant aux États-Unis progresse à un rythme supérieur de 40% à celui de la France sur la même période. Ce chiffre peut être mis en relation avec le texte de Thomas Piketty : « Concrètement, le fait central est que le taux de croissance du PIB par habitant a été presque exactement le même dans tous les pays riches depuis les années 1970-80 ».

La réalité est que la baisse du taux marginal d’imposition aux États-Unis (sous l’administration Reagan) a provoqué une accélération du potentiel de croissance par rapport à l’Europe. Il s’agit d’ailleurs des conclusions du prix Nobel Edward C. Prescott dans son étude. Le travail de l’économiste suggère que le haut niveau de taxes en Europe a provoqué une baisse du nombre d’heures travaillées par un effet de réduction de “l’incitation au travail”. Ce différentiel horaire devient la cause de l’écart de richesse entre France et États-Unis. En travaillant plus les américains produisent... plus.

Afin de mesurer les résultats de Prescott, il convient de mettre son étude en perspective avec les travaux d’autres chercheurs, Alesina, Glaeser et Sacerdote (Work and Leisure in the US and Europe. Why so different ? Harvard Institute) : l’écart de temps de travail s’est élargi sur la base de deux causes principales: Le taux marginal évoqué plus haut et la croyance “politique” en la réduction du temps de travail comme solution pour abaisser le taux de chômage. La fameuse notion de partage du travail. En combinant hausse d’impôts et baisse obligatoire du temps de travail, le potentiel de croissance a été lourdement lestée.

Thomas Piketty s’est-il simplement trompé dans ses chiffres pour en arriver à un tel résultat ? Non. Il ne fait que déguiser la réalité afin de se montrer plus persuasif. En effet, la poursuite de son texte nous renvoie vers une annotation « petit 2 ».

« L’écart de PIB par habitant provient lui-même d’un nombre d’heures travaillées par habitant plus élevé outre-Atlantique ». La surprise du lecteur est grande puisque cette croissance était « presque exactement la même » dans le corps du texte tandis que l’annotation nous informe qu’il existe un écart (pour rappel le rythme de progression a été supérieur de 40% aux États-Unis, ce qui engendre un différentiel de l’ordre de 25% entre ce que produit un Américain et ce que produit un Français).

Cette différence, selon l’auteur, n’est que le résultat du plus grand nombre d’heures travaillées aux États-Unis. Ou la preuve par l’absurde. Puisque c’est justement pour cette raison que Prescott réfutait les travaux de Piketty : les taxes élevées sont la cause même de la baisse du nombre d’heures travaillées. Et sur ce point, aucune réponse n’est apportée. Voici sans doute la raison pour laquelle il ne fallait pas s’embarrasser de traiter la réalité des chiffres dans le corps du texte.

C’est sur la base de travaux fébriles que François Hollande et son gouvernement s’apprêtent à intégrer la taxe à 75% sur les plus hauts revenus dans un corpus de hausse généralisée de l’impôt. Et ce malgré l’évidence du caractère récessif de ces mesures sur l’économie. Il paraît clair que les chiffres n’aient même pas été vérifiés. Thomas Piketty estime finalement qu’il s’agit du choix fait par les Européens : travailler moins. Un choix ; voici le seul argument avancé par l'économiste pour justifier les écarts de richesse entre zones économiques et répondre aux critiques de ses pairs.

Et pourtant, le score de Lionel Jospin aux présidentielles de 2002, faisant suite à la réforme des 35 heures ; le fait qu’en 2007 53% des Français votaient pour le slogan « travailler plus pour gagner plus » apportent une contradiction évidente à cette affirmation.

A la fin des années 1970, la France affichait un PIB par habitant identique à celui des États-Unis. Les idéologies du partage du travail et de la sanction par l’impôt viendront affaiblir considérablement le potentiel économique du pays. Cette idéologie, malgré son échec évident, semble toujours convaincre. Glisser les chiffres sous le tapis permettra d’y croire encore un peu.

La conclusion offerte par les travaux d’Alesina, Glaeser et Sacerdote laisse une question ouverte :

« Les Européens semblent heureux de travailler de moins en moins. Savoir s’ils intègrent la conséquence macroéconomique de travailler moins, comme la baisse relative de la taille de leur économie par rapport aux pays émergents, la décadence de l’Europe comme superpuissance économique, est bien entendu, une autre question »

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !