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Philippe Labro ou le frère disparu, « Génie du Christianisme » et la fraternité retrouvée
©Valery HACHE / AFP

Atlantico Litterati

En ce week-end de la Toussaint pas comme les autres - la problématique sécuritaire s’ajoutant à la crise sanitaire - relisons certains passages apaisants du « Génie du Christianisme », de François-René de Chateaubriand.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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« La piste terroriste n’est pas privilégiée et la police judiciaire de Lyon a été saisie ». La victime est encore un prêtre, mais il s’agit cette fois d’un officiant orthodoxe, disaient les chaînes d’information. Qu’il s’agisse de droit commun ou d’un attentat, depuis le martyre de Samuel Paty, et celui du sacristain et des fidèles massacrés en la basilique de Nice, nous avons l’impression vraie ou fausse d’une sorte d’escalade anti-française.

La problématique sécuritaire s’ajoutant à la crise sanitaire, la France semble vivre un moment tragique de son Histoire. A tel point que face à cette actualité, j’ai éprouvé le désir de relire -en ce week-end de la Toussaint pas comme les autres- certains passages –apaisants -des tomes 1 et 2 de « Génie du Christianisme », de François -René de Chateaubriand  (1768-1848) . La littérature a toujours tendance à faire du bien. Je notais au passage cette formule de l’Enchanteur malouin : « C'est une très méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre ». Comprendre : le début de la solution. Comprendre, une passion française, l’antipoison. J’avais suivi l’interview accordée par Emmanuel Macron à la chaîne Al Jazeera. Je mesurais à cet instant à quel point il s’agissait d’un problème de civilisation. L’Islam condamne à mort celui qui caricature le Prophète quand rien dans la France d’aujourd’hui (Dieu merci !) ne vient empêcher l’ironie, les facéties, la moquerie des religions, y compris les moqueries et railleries de cette religion qui a fondé l’histoire de France : le Christianisme. Il existe semble-t-il quarante-deux mille églises en France. Tant mieux ! Il faudrait en construire d’autres. Il serait bon que notre paysage franco-français récupère sa fierté : la place du village, la mairie, l’église. Nos racines chrétiennes s’affirment de moins en moins, comme si nous devions avoir honte de qui nous sommes et resterons. Français, donc ricaneurs perpétuels, nous aimons railler ce que nous chérissons en secret. La laïcité a fait son œuvre :chacun sait en France que la foi est une affaire certes importante, mais strictement personnelle. Rien que de voir le visage sceptique, voire vaguement méprisant de son interlocuteur d’Al Jazeera, j’ai eu l’impression que le président Macron se heurtait à un mur. Celui qui sépare les civilisations. Pour ce qui était de notre défaut fondamental - l’absence d’esprit de sérieux, le manque de respect en général et l’irrévérence qui définit le peuple de France, issu de générations de gaulois réfractaires ainsi que de leur descendance, souvent fils et filles d’une diversité attirée par ce beau pays (« Heureux comme un musulman en France » dit le proverbe). Tradition à laquelle semblent répondre les vers de Victor Hugo dans les Misérables: « si je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, si j’ai le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau, » chante notre Gavroche national avant de mourir. La distance, l’ironie, l’irrespect du Frenchie n’existent nulle part ailleurs. Et plus le pouvoir semble autoritaire, plus les Français se font chansonniers, caricaturistes ou journalistes au Canard Enchainé. Nous sommes Charlie. Pouvoir comprendre donc tolérer la pensée d’autrui, même et surtout si elle contredit nos a priori ; comprendre, donc exister davantage, pouvoir par l’intelligence de la chose aller jusqu’à changer d’avis : une chance pour l’esprit.

Il était un peu tard pour tenter de nous disculper, et le président Macron, en plaidant non coupable, ne faisait qu’ajouter du grain à moudre au Frenchbashing en vogue partout actuellement, le pays de Voltaire, des Lumières et des Droits de l’Homme n’ayant que peu d’alliés, même en Europe (pour ce qui est de notre invention : « les Droits de l’Homme », les féministes « intersectionnelles », jamais à une bêtise près, disent « droits humains », de même leur devise est –elle :«  Liberté, égalité, sororité » « fraternité étant par trop sexiste).

Je me suis rendue à nouveau sur la tombe de « L’Enchanteur », parce qu’il s’agit d’un magnifique endroit : Saint-Malo. Face à l’Atlantique, l’auteur des « Mémoires d’Outre-tombe », et de « Génie du Christianisme vit toujours, semble-t-il, comme si l’iode, le cri des mouettes et les embruns lui accordaient à jamais ce souffle génial dont il fit preuve toute sa vie. Ce qui est beau dans « Génie du Christianisme », c’est la parfaite évocation des trésors artistiques que nous devons à la religion catholique telle qu’elle perdure en France dans l’inconscient collectif. L’empreinte chrétienne fait de la France une autre Grèce antique : inscriptions, chapelles, tombeaux, tableaux, sculptures, calvaires, musiques et cathédrales témoignent d’une extraordinaire suprématie artistique que nous devons à la religion catholique.

Depuis que des français sont assassinés sortant de leur collège ou priant en leurs églises, quelque chose semble avoir changé dans l’air du temps contemporain. Le peuple de France a pris conscience de l’injustice qu’il subit. Il refuse de périr la tête sur le billot. Il veut un avenir. Cela soude les êtres. Je note une sorte de complicité et des sourires solidaires dans les rues de nos villes. Les Français soudain sont fiers de l’être, décidés à résister, prêts à se battre pour leur culture et pour leur douce France. Les Eglises, les prêtres, l’Ecole : qui, né ici, aurait envie de quitter ce cocon où les traditions et la culture occupent la première place ? Les passants se regardent avec pudeur et respect, une complicité se lit sur les visages, elle unit le peuple de France, solitaire mais solidaire : Camus nous regarde en douce, c’est la fraternité retrouvée. (« Plus le visage est sérieux, plus le sourire est beau », dit Chateaubriand. Et encore ceci,  que nous devons au « Génie du Christianisme » : « Les Français sont volages et inquiets dans le bonheur

Constants et invincibles dans l’adversité »). Une formule que de Gaulle dut méditer. "Que celui qui a des oreilles entende" (Matthieu, XIII), disent les Evangiles.

« Une conversation avec quelqu’un qui n’a pas souffert est une perte de temps » note Philippe Labro, citant Cioran. Son nouvel ouvrage, « J’irais nager dans d’autres rivières » (Gallimard), méditation sur le passé et dictionnaire intime de tous ceux qui l’ont traversé et embelli, met cette pensée en pratique ; il faut avoir connu certaines épreuves pour devenir fréquentable, avoir désespéré donne au plaisir, lorsque l’on renait enfin, son poids d’or et de diamants. Avoir mangé un zeste de vache enragée élargit le champ visuel, au risque, sinon, de ne rien voir ni entendre, de ne rien comprendre, et de passer pour un butor, un ennuyeux, y compris à ses propres yeux, car nous savons bien au fond, la vérité ou les mensonges de nos personnages. Pour détruire cette comédie, il faut comprendre autrui, donc se comprendre, aimer les autres et s’aimer aussi . Romancier, essayiste, cinéaste, journaliste, Philippe Labro a depuis toujours affiché sa passion pour l’écriture. «J’irais nager dans plus de rivières » (Gallimard) est d’ailleurs son vingt-quatrième ouvrage : l’album de sa vie. Les êtres chers et les souvenirs heureux -ou pas- défilent. Une morale pour l’honnête homme de ce siècle. Bonheurs, rencontres, succès professionnels ou personnels, échecs surmontés, maladies, chagrins, dépressions, joies et admirations durables : ecce homo ! - jamais l’auteur ne s’était livré à ce point« Le novembre de l’âme », Philippe Labro -qui a échappé à la mort -connaît. (cf.« La traversée » Folio/Gallimard). Tout le monde aujourd’hui évoque le séjour en réanimation, lui l’a vécu. Cette science ouvre toutes sortes de perspectives. Le narrateur devient radieux avec la sagesse qui gagne, l’éclat du plaisir de vivre illuminant chaque page. Avoir survécu au cabotage sur le Styx et l’Acheron rend plus fort . «J ’irais nager dans d’autres rivières » est un album de souvenirs enrichis par leur compréhension.

Il est vrai que ceux qui n’ont jamais pleuré en douce derrière leurs lunettes de soleil sont souvent d’un ennui mortel. Plaisirs et douleurs de vivre alternent, mariés pour le pire et le meilleur, offrant par exemple à l’auteur, dans ce rétroviseur que contemple le narrateur, toute une vie de lumière, de chaleur et de chance d’avoir vécu cette vie-là et nulle autre.

« J’irai nager dans d’autres rivières » devient au fil des pages une sorte d’hyperréaliste à la recherche du temps passé, tel que le débusque cette longue- vue que nous offre, dans la forêt du présent, une certaine sagesse. Comme disait Sagan : « Je me demande quelles surprises me réservent le passé »…Philippe Labro s’interroge sur le mystère de l’expérience, sachant que nos vies hâtives se déroulent dans une sorte de fidélité à soi expliquant ce que Sagan nomme « les surprises  d’hier », ce moment que je ne puis changer, mais dans lequel (pour ne rien clore tant que j’existe), je puis continuer à me glisser, afin d’évoluer encore et encore, pour devenir- chaque jour un peu plus -qui je suis . Telle est la leçon de bonheur que donne Philippe Labro dans ce nouvel opus : se donner naissance à force d’expériences choisies. Je suis ce que j’ai été et me réjouis de le devenir chaque jour un peu plus, nous dit l’auteur. Logique que fondent les circonstances, qui ne sont rien finalement, car tout est dans le caractère, ce sculpteur de destins. «  Il n’y a pas de hasard », dit Philippe Labro, citant Paul Eluard, : «  il n’y a que des rendez vous »

Evoquant -entre autres souvenirs- la disparition de son frère aîné, Jean-Pierre Labro, l’auteur nous plonge dans la tragédie de la séparation définitive d’avec qui l’on aime. « Je l’aimais aussi d’un amour physique. J’aimais sa haute taille, son port de tête, la justesse de sa nuque, son front bombé, son nez cassé par le rugby- ce qui ôtait à son visage ce qui eût été sans doute d’une trop grande beauté, presque inacceptable. (…) C’était le frère aîné, le premier d’entre nous, ma ligne d’horizon,il était celui que je voulais impressionner, avant tout autre, et dont j’attendais en secret approbation, admission, reconnaissance ». (P.276/ »Le frère disparu ») Le droit d’aînesse, la rivalité, la revanche du batard, toutes figures classiques -ou pas- de la fratrie, sont à l’œuvre dans la littérature comme dans nos vies. René -dont s’éprend sa sœur Amélie - dans « René » de François- René de Chateaubriand (l’Enchanteur, encore !) : les fratries s’inspirent de toute la gamme des passions humaines- détestation et jalousies comprises. Perdre cet autre soi qu’est le jumeau est un arrachement qui fait mal une vie durant. «  Mais leur souffrance secrète est aussi de considérer, malgré d’innombrables efforts pour se raisonner, que chaque étape de leur existence – l’entrée dans l’âge adulte, le mariage, la maternité ou la paternité, est une nouvelle infidélité à leur couple organique, dont en grandissant, ils doivent faire le deuil. Ma chance à moi est d’ignorer pour toujours la peur de te voir disparaître, et la hantise de devoir te survivre. » dit Jérôme Garcin dans « Olivier » (Prix Renaudot/ Folio). Sans doute son meilleur roman, dans lequel Garcin évoque la mort de son jumeau, assassiné sous ses yeux. Qu’est -ce que la fratrie ? Quelles sortes de forces donne-t-elle et en quoi la perte du frère (deuil, séparation) nous détruit-elle ? s’interroge lui aussi Philippe Labro. Comme pour lui répondre, parait  ces jours-ci « Le Goût des frères et sœurs » (ouvrage collectif), au Mercure de France. Lectures liées : pensées vivifiantes assurées.

Génie du Christianisme / François-René de Chateaubriand/ Poche/Flammarion/10 euros/

J’irais nager dans plus de rivières / Philippe Labro / Gallimard/20 euros/

Le goût des frères et sœurs / Ariane Charton / Mercure de France/8 euros 20

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