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Emmanuel Macron rencontre des gendarmes à Damazan, dans le Lot-et-Garonne. 2 octobre 2023.
Emmanuel Macron rencontre des gendarmes à Damazan, dans le Lot-et-Garonne. 2 octobre 2023.
©BOB EDME / AFP

Sécurité

En déplacement dans le Lot-et-Garonne lundi, Emmanuel Macron a annoncé la création de 238 nouvelles brigades de gendarmerie d'ici 2027, dont plus de la moitié seront « mobiles »

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Atlantico : Le président de la République a donné ce lundi le détail de l'implantation de 238 nouvelles brigades de gendarmerie d'ici à 2027. Il a affirmé que celles-ci « ont été conçues avant les émeutes mais elles contribueront à y répondre ». Dans quelle mesure cela peut-il apporter une réponse aux dernières émeutes qui ont également éclaté dans les zones périurbaines ?

Bertrand Cavallier : Les émeutes de juin-juillet 2023 se différencient de celles de 2005 en ce sens qu’elles ont touché pour la première fois l’ensemble des territoires, et notamment des villes moyennes de la France dite « périphérique ».

De toute évidence, sachant que la sécurité de proximité assurée en l’occurrence par l’immersion des gendarmes dans la population constitue la fonction socle de la mission globale de sécurité, le renforcement de la présence active de la gendarmerie départementale conformément à son ADN, est donc une mesure très positive.

Elle l’est d’autant plus que depuis des années, on peut constater que c’est la périphérie qui régule le centre, soit les métropoles et leurs environs immédiats. En d’autres termes, le pacte social reste encore plus assuré dans les territoires. Eviter qu’il se fragilise, voire qu’il se délite, participe de la stabilisation globale du pays. Cet objectif essentiel appelle cependant d’autres mesures.

145 brigades mobiles vont être créées, est-ce une bonne idée ?

Sur les 238 créations d’unités annoncées, deux tiers seront des brigades mobiles. Je rappelle que ce dispositif est le résultat d’un processus conduit par la gendarmerie sous l’égide des préfets, en concertation étroite avec les élus des territoires.

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Je rappelle également que la gendarmerie assure la sécurité sur 95% du territoire français, dans des écosystèmes très différents, et qu’elle est ainsi confrontée à des défis tout autres que ceux qui peuvent se poser à la police nationale qui agit sur des zones généralement peu étendues. Il fallait donc évoluer vers une solution réaliste permettant de mieux répondre à la demande de sécurité qui est partout de plus en plus forte. 

Il s’agit en conséquence selon moi d’une très bonne idée et ce pour deux raisons principales :

  • son adaptabilité aux besoins de sécurité en allant au coeur des territoires métropolitains et ultra-marins, au contact direct des populations, selon une démarche combinant souplesse, réactivité, et pragmatisme ; 

  • sa rapidité de mise en oeuvre, à la différence des brigades fixes, car beaucoup moins contraintes par le facteur immobilier. Il s’agira en effet de trouver des logements pour les familles de gendarmes mais sans avoir à construire la traditionnelle caserne.

Parmi ces brigades dites mobiles, il y aura une majorité d’unités à vocation généraliste, mais également des unités thématiques agissant dans trois domaines :

  • la lutte contre les violences intra-familiales (VIF) ;

  • la protection de l’environnement et de la santé publique ;

  • la sécurité des transports.

Comment jugez-vous la cohérence de la politique d’Emmanuel Macron en matière de sécurité depuis 2017 ? Et depuis 2022 ? Est-ce que vous notez des changements, des évolutions ?

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La sécurité des français apparaît comme un des objectifs affichés comme prioritaires par Emmanuel Macron depuis son accession à la présidence.

Incontestablement, des efforts ont été massifs tant en termes de renforcement des effectifs que de remise à niveau des équipements et d’une partie de l’immobilier. Le premier quinquennat a ainsi vu le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes, visant notamment à conforter le dispositif de renseignement, mais plus encore pour relever le défi emblématique de « la police de sécurité du quotidien ». Il y a eu également le Beauvau de la sécurité, avec ses fameux « sept péchés capitaux ». Dans la foulée, censée déboucher sur un nouveau modèle de sécurité, a été votée avec une très large majorité la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), laquelle prévoit une aide budgétaire d’un montant de 15 milliards d’euros à ce ministère sur la période s’étalant jusqu’à 2027.

« En contrepartie de cet effort de la nation », les forces de l’ordre devaient faire deux efforts essentiels:

  • d’une part l’amélioration de l’accueil, le suivi des plaintes, avec un investissement accru dans la lutte contre les violences intra-familiales ;

  • d’autre part, le renforcement de la présence sur la voie publique des policiers et gendarmes, soit « son doublement dans un délai de 10 ans ».

C’est par rapport à ces deux objectifs qui participent de la sécurité du quotidien, que s’inscrit cette mesure très forte de création de 238 brigades de gendarmerie nécessitant le recrutement d’environ 2100 gendarmes sur 3500 prévus dans le cadre la LOPMI.

Il y a donc dans la politique du Président Emmanuel Macron une continuité évidente qui répond à un besoin de sécurité croissant exprimé par la population. Pour autant, se pose une question fondamentale : au regard des faits qui révèlent une augmentation constante de la violence, avec notamment des phénomènes de plus en plus préoccupants relevant d’un phénomène de sud-américanisation, ces efforts louables sont-ils bien ajustés et procèdent-ils d’une véritable cohérence d’ensemble ?

En d’autres termes, alors que la nation finance ces efforts considérables au profit de la sécurité, dans un contexte de pression fiscale très soutenue, peut-on imaginer qu’il n’y ait pas de résultats probants dans un futur proche ?

Qu’est-ce qui pourrait venir accompagner la création des brigades pour donner toute sa cohérence au système sécuritaire ?

Cette question est en effet centrale et illustre l’interrogation que je formulais supra sur la cohérence globale de la politique mise en oeuvre. 

Dans cet esprit, trois réflexions doivent être impérativement conduites.

La première concerne les forces de sécurité intérieure. Je ne vais pas faire plaisir à certains mais, sans remettre en cause le courage individuel, il y a un devoir de vérité sur leur productivité globale, sujet que je mettais déjà en avant sur ce même média dans un article paru le 12 janvier 2022 et intitulé : Insécurité : ce à quoi devra vraiment s’atteler Emmanuel Macron (ou un éventuel successeur) pour rattraper la trajectoire française

J’y faisais référence au rapport de la Cour des Comptes de Novembre 2021 intitulé « Entités et politiques publiques - La gestion des ressources humaines au coeur des difficultés de la police nationale - Les enjeux structurels pour la France ». 

Or, comme l’a souligné à plusieurs reprises cette juridiction, l’augmentation considérable de la masse salariale, l’obtention constante d’avantages catégoriels, sans évoquer « le concours de nouveaux acteurs de la sécurité (polices municipales, réservistes, sécurité privée) s’est paradoxalement accompagnée d’une baisse continue de présence sur le terrain et des taux d’élucidation. Plus récemment, dans une note parue le 7 juillet dernier, et intitulée « Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer », la même juridiction déclarait que « des hausses de crédits ont été consacrées aux augmentations salariales des policiers et gendarmes prévues dans le cadre du « Beauvau de la Sécurité », finançant des primes souvent sans cohérence… ».

Se pose donc la question de la redevabilité des forces de l’ordre à la nation, aux populations, qui, n’en déplaise aux syndicats, toujours prompts à la surenchère catégorielle, renvoie à celle de la valeur travail, sujet il est vrai délicat dans une société minée par l’individualisme et l’hédonisme. Très concrètement, qu’est-ce qui peut empêcher un contribuable de s’interroger sur la réalité des personnels présents sur le terrain, notamment de nuit, au regard des effectifs affectés aux unités et services concernés ? Sur la disponibilité réelle d’un personnel calculée sur toute une année, voire toute une carrière ?

S’agissant des brigades, et donc de la gendarmerie supposée être davantage protégée des dérives sociétales par son statut militaire, se pose cette question du temps de travail. Car c’est l’individu qui, par son engagement, sa disponibilité, fait la force d’une institution.

Dans ce domaine, une première mesure serait de se dégager de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 dite « temps de travail », déclinée au sein de la gendarmerie au travers de l’instruction provisoire 36132 et qui a encore plus rigidifié l’organisation du service. Rappelons que son application au sein de la gendarmerie n’était pas du tout souhaitée par le Président Macron. Rappelons-nous également la déclaration de Florence Parly, ministre des Armées, au Sénat, devant la commission des affaires étrangères et des forces armées, le 7 novembre 2017 : « La Gendarmerie a pris l’initiative de transposer à sa manière cette directive, ce qui est dommageable, pour ce qui concerne la disponibilité des forces dont dispose la Gendarmerie, et aussi malheureusement dommageable pour le reste des forces armées, puisque cela crée une sorte de précédent dont nous ne souhaitons surtout pas l’extension ».

L’annulation de ces dispositions relevant, notons le, d’un texte provisoire, et du carcan qu’elles suscitent, est fortement attendue par l’encadrement de contact, cette strate si essentielle de la hiérarchie qui garantit l’efficience de l’action du quotidien.

De façon plus générale, alors que le pays souffre, que des défis immenses vont devoir être relevés, notamment en matière de sécurité et de défense, ne serait-il pas temps de procéder à un rééquilibrage du système au profit du collectif ? 

La seconde porte sur la phénoménologie globale de l’insécurité. Vouloir tenir le particulier, soit le terrain local, sans prendre en considération les conditions générales premières à la sécurité d’un pays, n’est pas réalisable dans la durée. Notre pays est en effet devenu poreux et pour partie incontrôlé. Malgré certains efforts de présence aux frontières, des flux massifs, facilités par une réglementation devenue insensée, convergent depuis des années vers ces territoires perdus de la République qui ne cessent de s’étendre et d’où une délinquance agit pour également frapper au coeur des territoires encore préservés. Si l’individu immigré doit être considéré de façon isolée et ne saurait en soi être stigmatisé, il est cependant incontestable que le fait migratoire, y compris au yeux d’immigrés parfaitement assimilés, est devenu objectivement un des facteurs premiers de l’insécurité en France, tant en termes de transgressions individuelles que d’affrontements de masse. Avec ses conséquences notables s’agissant de la saturation des établissements pénitentiaires. S’agissant de la délinquance d’appropriation, certaines communautés issues des pays d’Europe centrale et orientale, sont sur-représentées. Elles y réinvestissent d’ailleurs massivement leurs revenus illicites. 

Le trafic de drogue relève également principalement d’acteurs de nationalité étrangère ou d’origine étrangère, ayant conservé des liens très actifs avec leur pays d’origine, dont notamment le Maroc.

La sagesse et le courage politiques commanderaient donc de bien aborder la problématique sécuritaire dans sa globalité, y compris en intégrant les facteurs culturels. Plutôt que de répartir de façon systémique le trop plein d’immigration dans les villages de France, s’imposent aujourd’hui, à l’exemple des pays nordiques, une réflexion centrale sur notre volonté réelle à contrôler les flux trans-frontaliers et internes à notre territoire, notre aptitude à développer des relations garantissant nos souverainetés respectives avec des pays étrangers, et enfin à amener à la raison les juridictions supra-nationales (CEDH, Cour de Justice de l’Union européenne). Voir à ce sujet l’article paru dans ce média, le 15 septembre dernier, intitulé « Lampedusa : face au choc migratoire qui vient, l’Europe saura-t-elle sortir du désarmement total dans lequel elle s’est piégée ? »

Enfin, la dernière réflexion porte sur le vécu quotidien d’un gendarme ou d’un policier. 

Comment faire en sorte que ces gendarmes, ces policiers, notamment ceux servant dans les unités territoriales, en charge de la sécurité du quotidien, trouvent encore du sens dans ce qu’ils font ? Car leur désarroi est profond sous l’effet de plusieurs facteurs :

  • une relation avec la justice qui s’est compliquée. Si les magistrats sont très engagés et qu’heureusement leur mouvance idéologisée est en perte d’influence, force est de constater que le rapport entre une infraction donnée et la peine prévue par le code pénal a considérablement évolué en deux générations. En d’autres termes, le ressenti d’une perte de lisibilité du procès pénal, de l’érosion constante de l’effectivité de la peine et du caractère dissuasif de la sanction pénale, est général. Et ce, de façon d’autant plus vive que d’une part la procédure s’est sans cesse complexifiée, et que d’autre part le gendarme ou le policier doit de plus en plus se justifier dans sa contribution à l’action publique ;

  • un environnement de plus en plus hostile. Dû notamment à l’anomie sociale, à l’effondrement du principe d’autorité, à une forme de délitement de la citoyenneté, le simple contrôle sur la voie publique devient aujourd’hui une action de plus en plus éprouvante du fait de la désinhibition des individus, voire de leur hostilité ouverte. Cette hostilité est vive au sein de certains jeunes, conditionnés par les réseaux sociaux très orientés qui exploitent à l’envi certains faits malencontreux des forces de l’ordre, mais également par une partie d’un corps éducatif dont l’inertie idéologique est évidente, sans évoquer évidemment les harangues de certains politiques adeptes de la déstabilisation de l’Etat. Et il est vrai que les violences contre les membres des forces de l’ordre ont augmenté de plus de 100% ces derniers dix ans. L’hostilité de l’environnement touche également et de façon encore plus préoccupante gendarmes et policiers dans leur vie privée, dans celle de leur famille. Selon la sensibilité du milieu où ils évoluent, leurs enfants doivent taire la profession de leurs parents. Les noms de gendarmes ou de policiers, leurs adresses, sont diffusés sur des réseaux sociaux. Il leur est conseillé, même sur de courts trajets, de ne plus se déplacer en tenue entre leur domicile et leur lieu de travail. Dans quel pays vivons-nous ? 

La création de ces 238 brigades de gendarmerie est une très bonne mesure. La présence constante de membres des forces de l’ordre auprès des populations, au sein des populations, en liaison avec les acteurs de la société civile (éducation, économie, associations…) permet de créer ainsi une relation de confiance mutuelle, d’acquérir du renseignement, d’agir de façon précise et ajustée si possible de façon préventive et si nécessaire dans une démarche répressive…C’est bien cela la fonction de sécurité de proximité dans le quotidien, cette fonction de régulation, qui est fondamentale pour garantir la cohésion sociale, pour préserver le pacte social républicain français. Cependant, cette préservation appelle de toute évidence d’autres mesures de grande ampleur portant sur trois facteurs vitaux de notre nation parce qu’ils lui sont consubstantiels : 

  • la régénération de sa souveraineté, certes dans un cadre européen revigoré ;

  • le retour effectif de l’Etat de droit partout en tout temps, au bénéfice premier des personnes vulnérables, par l’application d’une réponse pénale implacable et visible, en priorité contre les réseaux de trafiquants de drogues ;

  • la revitalisation de la citoyenneté, par l’engagement conjoint de tous les acteurs, au premier chef la famille, cellule fondamentale, ainsi que l’Education nationale (« Faire revenir la République à l’Ecole » (1).

(1) Sénat Rapport n° 590 (2014-2015) de M. Jacques GROSPERRIN , fait au nom de la CE Service public de l'éducation, déposé le 1er juillet 2015

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