Petites projections politiques post-dissolution de l’Assemblée nationale (s’il devait y en avoir une)<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale.
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Comme un parfum de fin de IVe République

L'appel à la dissolution de Jordan Bardella a principalement pour vocation à motiver le vote sanction à l'égard d’Emmanuel Macron et de son gouvernement afin de le canaliser via le vote Bardella.

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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Atlantico : Jordan Bardella appelle à une dissolution de l'Assemblée nationale en cas de victoire du RN aux élections européennes. S'il est évident qu'Emmanuel Macron ne procéderait pas à une telle opération, quelle recomposition de l'Assemblée pourrait-on éventuellement imaginer ? Quels sont les scénarios les plus plausibles ?

François Kraus : En réalité, personne n'est dupe. Cet appel à la dissolution a principalement pour vocation à motiver le vote sanction à l'égard d’Emmanuel Macron et de son gouvernement afin de le canaliser via le vote Bardella. Il s’agit d’une tactique politique. Cela n'a aucune chance de se traduire par une dissolution. Les européennes sont une élection intermédiaire sans aucun lien institutionnellement avec la situation française. Le gouvernement peut subir un échec flagrant. Ce ne sera pas le premier. Ce fut déjà le cas sous Chirac en 2004, Hollande en 2014 et pour Rocard en 1994, cela n'avait pas engendré la démission du président Mitterrand.

Il s’agit en réalité d’une incantation qui a vocation à attiser le vote sanction à l'égard du président et qui bien sûr ne débouchera sur rien à part une situation favorable au RN qui sera en position de force et qui pourra dire qu'il a eu la légitimité des urnes au regard du résultat des élections européennes et que le gouvernement n'a pas voulu écouter les Français en allant jusqu'au bout, à travers une dissolution.

Xavier Dupuy : Jordan Bardella, quand il demande la dissolution de l’Assemblée nationale en cas de réussite aux prochaines élections européennes, s’inscrit tout à fait dans son rôle. Il tient ici des propos susceptibles de mobiliser son électorat jusqu’au dernier jour et c’est, pour le RN, une nécessité stratégique puisqu’il s’appuie sur une démographie globalement moins diplômée et socialement insérée. En général, c’est donc un électorat qui a tendance à s’abstenir lors des élections européennes. Pour éviter ce genre de déboires, le président du Rassemblement national a fait le choix de maintenir la pression jusqu’au bout en faisant miroiter la possibilité, si le score de son parti s’avérait être très élevé, une incidence réelle sur la politique intérieure française. La dissolution possible de l’Assemblée nationale, en l’occurrence. 

Rappelons, avant de continuer, que cette dissolution n’aura pas lieu et ce quelque soit le score dont pourrait finalement se targuer le RN. Aucun président n’a jamais procédé à une dissolution de l’Assemblée nationale pour une défaite aux élections européennes. Ce n’est tout simplement pas comme cela que fonctionnent nos institutions. Ceci étant dit, il est indéniable que le Rassemblement national peut théoriquement (au moins !) prétendre à un résultat très fort. C’est un scénario plausible, d’autant plus réalisable que le président de la République s’est décidé à parler ce jeudi 7 juin dans la soirée et a fait le choix de dénoncer la montée de l’extrême droite alors même qu’une écrasante majorité des Français désapprouvaient sa volonté d’intervention télévisuelle. Ce genre d’évènement peut très certainement favoriser Jordan Bardella.

Ces premiers points posés, nous pouvons passer à la deuxième partie de cette question : à quoi ressemblerait une Assemblée nationale réélue dans la foulée des élections européennes et d’une dissolution ? La nouvelle élection, ainsi que l’impose le calendrier prévu par notre Constitution, se tiendrait au début du mois de juillet et pourrait, dès lors, donner lieu à une forte poussée du Rassemblement national. La question du positionnement de la gauche est très importante, car le scénario diffère considérablement selon qu’elle soit unie ou qu’elle soit désunie au moment du premier tour. Cela a une incidence non négligeable sur les qualifications au deuxième tour.

Dans tous les cas, la poussée du RN serait très forte, quoique son niveau exact reste difficile à exprimer. Si la gauche est unie, on peut penser que cela limitera le nombre de députés RN élus, de même que le nombre de députés Renaissance d’ailleurs, mais ce ne serait pas nécessairement le cas tout le temps. Si elle part désunie, le jeu sera plus ouvert puisqu’elle aurait tendance à perdre au profit des Républicains ou des candidats Renaissance dans un certain nombre de circonscriptions.

Notons que, en l’état actuel des choses, la gauche représente entre 30 et 32% de l’opinion populaire en France, au sens large (c’est-à-dire en intégrant l’ensemble des sensibilités de gauche sans les réunir sous un seul drapeau). Unie sous une seule bannière, elle réunit moins, aux alentours de 23-25%, mais elle s’assure davantage de qualifications au deuxième tour tandis que, désunie, elle s’élimine de facto d’un certain nombre de circonscriptions. Pour le Rassemblement national, ce n’est pas toujours une bonne nouvelle puisque un candidat LR bénéficie, dans le contexte actuel, de très solides chances de l’emporter au deuxième tour. Renaissance peut peut-être espérer sauver des sièges en région parisienne, si le candidat face face à la gauche. Face à une figure issue des Républicains, le match devient tout de suite plus compliqué à tenir. De même pour le Rassemblement national, qui risque d’être battu y compris dans les circonscriptions de l’ouest du pays… ou face à la Nupes, la formation de Jordan Bardella est en position de l’emporter.

A cet égard, l’intérêt du RN est donc d’avoir un minimum de candidats LR présents au second tour. Observons la carte électorale : sur tout l’axe Est-Ouest, un candidat LR a de fortes chances de l’emporter face au Rassemblement national. Confronté à la Nupes, ce dernier l’emporte dans la majorité des cas et c’est aussi vrai face à Renaissance, exception faite de quelques circonscriptions très métropolisées.

Le RN, à l’issue d’une potentielle dissolution de l’Assemblée nationale bénéficierait-il assurément d’une majorité absolue ou faut-il, au contraire, s’attendre à ce que la France devienne ingouvernable ?

Xavier Dupuy : La très forte poussée dont le Rassemblement national bénéficierait en cas de dissolution de l’Assemblée nationale pourrait donner lieu à une situation inversée, comparativement à celle que nous connaissons aujourd’hui. Ce que je veux dire par là, c’est que le RN prendrait peu ou prou la place de la majorité présidentielle actuelle et pourrait potentiellement compter sur 250 sièges au Palais Bourbon. Sans la soixantaine de députés LR, ils ne bénéficieraient donc pas de la majorité absolue nécessaire à gouverner le pays et les Républicains deviendraient donc, une fois encore, les faiseurs de roi.

Il est évident, dans ce cas de figure, que la France serait ingouvernable. Quand bien même certains souhaiteraient un gouvernement d’union national, il se poserait la question d’avec qui la faire et, d’une façon générale, la situation pourrait engendrer une vraie crise politique. Le président de la République serait coincé face à une incapacité à dissoudre de nouveau et qui ne démissionnerait certainement pas, faute de pouvoir se représenter par la suite.

Sans majorité absolue, sans alliance possible, on pourrait s’attendre à ce que le Rassemblement national affirme être contraint et fasse constater aux électeurs qu’il est incapable de gouverner.

Ceci étant dit, il faut bien réaliser qu’il est théoriquement possible, dans l’hypothèse que nous analysons, que le Rassemblement national décroche une majorité absolue. Cela dépendrait de l’organisation des forces politiques au premier tour de l’élection législative, comme nous l’avons dit. Auquel cas, il serait alors en mesure de monter un gouvernement, de faire voter des lois en deuxième lecture à l’Assemblée… que le chef de l’Etat serait ensuite libre de ne pas signer, ainsi qu’avait pu le faire Mitterrand. Là encore, le Rassemblement national se retrouverait contraint, au moins théoriquement.

François Kraus : Le travail d'estimation et de projection est la partie la plus complexe dans notre métier de sondeur.

Depuis qu’il y a une dissociation du poste de député avec celui de maire, les législatives ressemblent de plus en plus à un scrutin de liste dans la mesure où ce qui compte est l'étiquette et moins l'implantation locale. Cette particularité a fait le bonheur du macronisme en 2017. Mais cela fera bien sûr son malheur quand il sera en période difficile, ce qui est le cas avec la campagne des européennes. A part les alliés MoDem et centre droit qui ont une implantation locale, les autres membres de la majorité risquent de fondre comme neige au soleil puisque, sans implantation, ils n'auront aucune chance. Les principaux enseignements sont liés à ceux qui tiennent malgré les vagues dans un sens ou dans un autre. C'est notamment le cas des élus Les Républicains qui sont puissants en milieu rural et où l'assise locale joue encore un rôle majeur. En revanche, dans les grandes villes et métropoles, aux législatives, cette implantation locale ne joue pas un grand rôle. Ce qui compte réellement est l'étiquette du parti. Aujourd'hui, l’étiquette la plus porteuse est celle du Rassemblement National. D'autant plus que le parti de Jordan Bardella a la chance d'avoir des reports de voix, ce qui ne lui arrivait pas avant l'apparition de Reconquête et d'une myriade de petits partis souverainistes comme Debout La France, Les Patriotes, l’UPR et qui peuvent lui permettre de rallier selon les territoires, jusqu'à dix points, des électeurs de droite et macronistes. Le RN est à la tête d’un bloc de droite radicale qui dépasse les 40 %, ce qui, en général, permet à une alliance électorale d’obtenir la majorité des sièges.

L'enjeu pour le RN lors des européennes est de réaliser un très bon score. Reste à savoir si ce score des européennes sera similaire aux résultats des législatives en cas de dissolution. Or, cela n’est pas sûr du tout. Il y a des citoyens qui ne vont pas voter pour la droite LR ou qui ne vont pas voter LFI lors des législatives mais qui voteraient à LFI ou qui voteraient LR aux européennes. Les législatives sont un vote défouloir qui n'a aucun impact aux yeux des Français sur leur vie au quotidien. Les députés sont élus et les citoyens ne savent pas forcément ce qu'ils font et ce n’est pas eux qui gèrent les deniers de la bourse, de la ville, du département ou du pays. Les électeurs vont donc prendre plus facilement le risque de voter pour les extrêmes, pour les courants radicaux aux élections européennes. Ce phénomène s’observe depuis 40 ans, depuis l'apparition du Front national en 1984.

Tout l'enjeu est de savoir s’ils arriveraient à faire le même score aux législatives qu’aux européennes. Cela n’est pas évident du tout. 

S'il y a une dissolution, cela sera l'enterrement du macronisme parlementaire et tout l'enjeu sera de savoir si le RN est en mesure d'avoir la majorité ou de l'avoir avec une partie peut être de LR. Tout l'enjeu du macronisme à ce moment-là serait qu’en l'espace de deux à trois ans Jordan Bardella, qui arriverait à Matignon suite à la dissolution, s’épuise et perde sa cote de popularité avec l’exercice du pouvoir. Dans ces conditions, Emmanuel Macron ou son dauphin pour 2027, Gabriel Attal notamment, se retrouverait à ce moment-là en position de force.

Cela pourrait être une tactique digne de François Mitterrand de la part d’Emmanuel Macron. Le fait qu'il en soit réduit à ce genre d'options montre à quel point il y a panique à bord…

Contraint, le Rassemblement national risque-t-il de pouvoir avancer un argumentaire susceptible de le renforcer pour 2027 ?

Xavier Dupuy : C’est le risque, en effet. Il pourrait tout à fait affirmer qu’il a gagné mais que, dans la situation actuelle (qui reste hypothétique), il n’est pas en mesure de mettre en place son programme. Faut-il penser que cela provoquerait une crise politique ? On ne pourrait peut-être pas imaginer, dans ce scénario, qu’Emmanuel Macron – qui s’était donné pour objectif de faire baisser l’extrême droite – puisse rester installé à l’Elysée comme si de rien n’était alors qu’il doit composer avec un exécutif issu de cette même famille politique. 

Ce qui est certain c’est que le fonctionnement de nos institutions ne permet pas de refuser le pouvoir lorsqu’on le gagne. Dès lors, dans le scénario que nous explorons, il apparaît évident que le RN remportant les élections législatives organisées après la potentielle dissolution de l’Assemblée nationale serait contraint d’accepter le pouvoir. Et lui très certainement d’affirmer, quelques semaines ensuite, qu’il est dans l’impossibilité d’agir, qu’on cherche à l’empêcher de mettre en œuvre son programme. Cela constituerait, pour lui, une rampe de lancement pour 2027.

Compte tenu de la réalité politique actuelle, quels seraient les nouveaux équilibres politiques ? Qui seraient les gagnants et les perdants de l’hypothétique dissolution de l’Assemblée nationale ?

Xavier Dupuy : Bien évidemment, nous avons eu l’occasion d’en discuter, le Rassemblement national sortirait grand gagnant d’une telle opération. Il ne dispose aujourd’hui que de 88 députés et aurait tout à gagner dans ce cas de figure. 

Les Républicains pourraient de nouveau se trouver en position de faiseurs de roi et seraient plus ou moins assurés de conserver une soixantaine d’élus. En tout et pour tout, aujourd’hui, la droite dite “classique” peut s’appuyer sur un matelas de 70 à 72 élus et je pense que 10 à 12 de ces sièges pourraient théoriquement être perdus. Ce n’est pas garanti mais le risque serait réel.

Naturellement, le plus grand perdant serait la majorité présidentielle, qui peut aujourd’hui compter sur plus de 250 députés. Par définition, elle est celle qui a le plus à perdre et qui ne bénéficie pas aujourd’hui des meilleurs rapports de force électoraux. Quant à la gauche, qui compte aujourd’hui 160 députés environs au sein de l’Assemblée, elle pourrait retomber aux alentours de 110 ou 120 si elle ne parvient pas à trouver d’accord et à ne présenter qu’une seule bannière.

François Kraus : La question est de savoir qui va disparaître et qui a le plus de chance de rester ? C'est toujours le risque. Est-ce que cela va être les députés à la fibre plus rurale, plus sociale, plus liés à la défense du service public ? Ou alors les députés liés à des grandes villes ou des villes resteront et qui seront plébiscités grâce à leur ancrage local et leur personnalité.

Pour un sursaut à droite chez Les Républicains, il faudrait une personnalité qui incarne quelque chose de neuf. Il y a bien sûr l'hypothèse Laurent Wauquiez qui est l’une des rares grandes personnalités de droite qui a une assise à la fois institutionnelle et politique, avec beaucoup d’élus locaux de droite qui peuvent l'aider.

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