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Petites leçons pour l’Europe ? Les petits pays dominent les classements de bien-être humain et financier
©Fabrice COFFRINI / AFP

Small is Beautiful

Selon une nouvelle analyse du « bien être mondial » réalisée par LetterOne, le Canada s’afficherait en tête de liste des pays sur ce critère, parmi 151 états testés. Un classement qui ferait la part belle aux petits pays, les Etats Unis occupant la 37ème place tandis que la France ou l’Allemagne sont relégués au-delà du 25ème rang mondial.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment expliquer cette capacité des petits pays, par la taille de leur population, à bien se placer concernant le bien être ? Ne peut-on pas également constater un biais démographique qui pourrait être lié à l'âge des populations concernées notamment au regard des questions de santé ?

Michel Ruimy : Expliquer pourquoi un pays est plus heureux qu’un autre est une affaire risquée.

La croissance économique dans les pays développés a un double effet : du fait d’un Produit intérieur brut important, le niveau de vie des individus et les dépenses de consommation sont à la hausse. Pour autant, ceci ne rend pas nécessairement les gens plus heureux et peut même générer, au niveau global, des problèmes comme, par exemple, un haut taux de dépression et / ou un grand nombre de personnes obèses dans la population, ce qui, en définitive, peut éroder le bien-être subjectif.

Par ailleurs, même si le Canada est en première position, le bien-être est inégalement réparti sur son territoire. Des études ont, en effet, montré que les citadins d’une grande ville comme Toronto sont moins heureux que les habitants de l’arrière-pays, de zones rurales et/ou de petites villes du pays. Il y aurait donc un lien entre la densité de la population et l’indice du bien-être. Plus celle-ci est élevée, moins les individus sont, en moyenne, heureux.

Le bonheur irait, ensuite, de pair avec l’appartenance à une communauté. Les populations moins densément peuplées tissent plus de liens sociaux. La présence du conjoint pour les résidents au domicile, voir régulièrement du monde, garder son entourage proche de soi et avoir toujours une personne à qui parler comptent pour bon nombre d’entre eux. L’anonymat des grandes villes serait, en quelque sorte, un facteur dépressif.

Enfin, il semble également que le bonheur soit aussi directement corrélé avec le temps de transport et le prix du logement. Plus ceux-ci sont réduits, plus le bonheur est élevé. De même, il varie en fonction de l’âge. Concernant les personnes âgées par exemple, celles-ci définissent souvent leur bonheur avant tout par le fait d’être en bonne santé, exprimé, selon eux, par la possibilité de se lever chaque matin et ne pas avoir de soucis de santé.

Ainsi, il n’est pas étonnant que les « petits pays » s’en sortent mieux que les « grands pays ». Ils bénéficient notamment d’atouts liés à leur taille. Mais, malgré tout, ceci est insuffisant. Prenons, le Bouthan, connu pour son « Bonheur Intérieur Brut », un concept créé il y a 40 ans pour remplacer le Produit National Brut. Résumer ce pays au « pays du bonheur » serait un raccourci. Cet État, grand comme la Suisse, coincé entre l’Inde et la Chine, connaît des inégalités et de la pauvreté. Une partie de la population reste exclue de ce royaume perché dans l’Himalaya alors que les Organisations non gouvernementales qui travaillent sur les droits humains y sont interdites. Interdit aussi de fumer sous peine de prison ! Et la société n’est pas épargnée par des maux comme le chômage des jeunes ou les violences faites aux femmes et aux enfants.

En quoi cette situation pourrait-elle être problématique à l’échelle de l’Union européenne ? En quoi un ensemble politique aussi vaste pourrait-il être pris en tenaille avec cette question du bien-être des populations ?

Selon un sondage réalisé, il y a quelques mois, le couple et la famille apparaissent, aux yeux des Européens, comme les deux premiers éléments qui contribuent à leur bonheur. Quant à l’aisance monétaire, elle n’arrive qu’en cinquième position, même s’il faut tempérer ce résultat car les problèmes financiers sont aussi la première cause de soucis au quotidien devant la santé.

En outre, dans une zone où la circulation des personnes est prônée, un rapport récent de l’Organisation des Nations Unies a étudié l’impact de la migration en matière de bonheur. Il s’avère que le bonheur des immigrés d’un pays est quasiment identique à celui de l’ensemble de la population. S’ils proviennent d’un pays où le bonheur est plus faible, ils s’adapteront au bonheur moyen du pays dans lequel ils s’installent. Ce qui signifie que le bonheur concerne moins les normes et les attitudes culturelles. Il est plutôt fortement influencé par l’environnement et la qualité de vie (santé, éducation, emploi…) qu’un pays peut offrir. Mais le contraire est aussi vrai. Si une personne migre vers un pays dont les habitants sont moins heureux, son bonheur aura tendance à diminuer.

Tout ceci pour signifier qu’à l’augmentation des revenus est fréquemment associé un bien-être subjectif plus élevé. Mais, le lien n’est pas si linéaire, ni si robuste que cela surtout dans les pays développés où les gens travaillent beaucoup et consomment beaucoup. Bien que certaines conditions primordiales au bonheur soient d’ordre privé, d’autres facteurs sont essentiels pour y accéder comme, en particulier, avoir un travail régulier, un meilleur pouvoir d’achat, un service de santé publique performant…Dans ces conditions, l’Union européenne est grandement attendue tout en se sentant, dans une certaine mesure, dédouanée dans la quête du bonheur de sa population, les deux premiers facteurs d’accession étant d’ordre privé. On voit bien, malgré tout, que l’Union européenne ne répond pas aux attentes et déçoit ses partisans en la matière. Elle n’est pas seule dans ce cas.

Notons un constat : trois des quatre pays les plus cités au monde comme des Etats procurant le plus de bonheur à leurs habitants - Norvège, Islande, Suisse - sont les trois seuls pays d’Europe de l’Ouest à rester en dehors de l’Union européenne. Est-ce justement parce qu’ils sont heureux qu’ils refusent de rentrer dans le bloc ? Ou bien est-ce parce qu’ils ne font pas partie de ce dernier qu’ils sont les « champions du bonheur » ? Un mélange des deux, peut-être…

Si la croissance économique est un facteur important de ce bien être, les questions de santé permettent à certains pays moins développés à tirer leur épingle du jeu. Comment expliquer ces difficultés rencontrées par les pays les plus riches, comme les Etats-Unis, à être mal perçus sur ces questions de santé ? Ne peut-on pas également y voir une problématique liée aux inégalités ?

On pourrait expliquer cette situation par un modèle de « croissance endogène négative » qui suggèrerait que la croissance économique peut éroder les biens gratuits comme les ressources naturelles - soleil, air, eau… - et les ressources sociales - confiance, honnêteté, altruisme… - en les remplaçant par des produits de consommation coûteux.

Par exemple, les personnes vivant dans les grandes villes, qui ont une écologie médiocre et un environnement social hostile, peuvent vouloir compenser cet état de fait en achetant une résidence secondaire sur la côte, à la montagne, à la campagne…Des personnes peuvent vouloir aussi dépenser pour des divertissements coûteux, des gadgets et des articles qui rendent le temps passé à la maison plus agréable afin de compenser une quasi-absence de vie sociale. En droite ligne, on pourrait ajouter que, sous l’impulsion de la publicité, de messages médiatiques…, certains travailleurs des pays développés à la recherche d’un bien-être matériel, passent plus de temps à travailler pour pouvoir se permettre de consommer davantage. Ils passent, dès lors, moins de temps à socialiser, ce qui dégrade leur santé physique voire mentale. L’État produirait de la richesse à partir de l’érosion de biens gratuits et communément disponibles tandis que la fortune matérielle des individus augmenterait… qui serait dépensée en soins (coûts). Ainsi plus, on serait riche, plus on pourrait avoir accès à une médecine onéreuse, supposée de qualité.

Il serait intéressant de suivre, de manière officielle, au fil du temps, dans les économies développées, l’évolution de certains indicateurs précurseurs comme le niveau de consommation, la qualité et l’intensité des relations sociales, l’équilibre travail-loisirs, le bien-être subjectif…. On pourrait alors étudier le lien entre la hausse du niveau de vie et l’amélioration du bonheur de la population et, par exemple, vérifier le « paradoxe d'Easterlin » selon lequel la satisfaction par rapport à la vie augmente avec les revenus moyens, mais seulement jusqu'à un certain point. Les personnes ayant des revenus relativement faibles seraient, dès lors, plus susceptibles de voir leur bonheur augmenter avec plus de pouvoir d’achat.

Les économies d’aujourd’hui ont besoin de réformes. Il conviendrait d’avoir une stratégie capable de promouvoir la croissance économique, de protéger le capital social et de réduire les inégalités en même temps. Plus de revenu et de prestige contribuerait peu finalement au bonheur.

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