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Patrick Buisson et les "plouc-émissaires" de la France rurale : qui sont ces perdants oubliés de la mondialisation
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Campagne à la traîne

"La droite redeviendra majoritaire si elle a le courage de parler au peuple", a déclaré Patrick Buisson dans un entretien publié par le Figaro mardi dernier. L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy entend s'adresser à la "France périphérique, invisible sur les écrans radars médiatiques si ce n'est pour jouer, selon la formule de Philippe Muray, le rôle de plouc-émissaire".

Jean-Baptiste De Froment

Jean-Baptiste De Froment

Jean-Baptiste de Froment a été l'un des conseillers de Nicolas Sarkozy durant la campagne de 2012. Il a été notamment l'un des premiers à se pencher sur l'oeuvre de Christophe Guilly "Fractures française" (2010) qui révélait le problème de l'isolement géographique des zones rurales dans l'Hexagone

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Atlantico : Dans une interview accordée au Figaro mardi 13 novembre, Patrick Buisson, citant le géographe Christophe Guilluy, affirme que "les véritables territoires de relégation ne se trouvent pas dans les banlieues où vivent les minorités mais dans la Creuse, l’Aude, l’Ardèche et le Cantal." Partagez-vous ce constat ?

Jean-Baptiste de Froment : Ce n’est pas un concours, la question n’est pas d’opposer une relégation à une autre. On ne peut nier que les zones dites "sensibles" de banlieues concentrent d’immenses difficultés. Mais à la différence d’autres territoires, elles ont été ces trente dernières années au centre de toutes les attentions médiatiques et politiques.

Le grand mérite de travaux comme ceux de Christophe Guilluy est de rappeler l’existence d’une autre géographie du déclassement : celle des petites villes de province victimes de la désindustrialisation, auxquelles il faut ajouter les zones périurbaines et rurales. Personne ne s’y intéresse, car il ne s’y passe rien de spectaculaire : pourtant c’est là, encore en 2012, loin des grandes villes, que vit la majorité de la population française. Et c’est là aussi qu’en valeur absolue, on trouve le plus grand nombre d’exclus : les "zones urbaines sensibles" ne représentant que 7% de la population française totale !

Guilluy souligne également que les banlieues, aussi défavorisées soient-elles, bénéficient – même si cette affirmation est à nuancer – du dynamisme des métropoles mondialisées dont elles font partie : les situations individuelles ne sont donc pas aussi bloquées qu’on le dit, ce dont témoigne l’important "turnover" de la population dans ces zones. On ne peut en dire autant des habitants de petites et moyennes villes de province, dont l’horizon est bien davantage bouché. De tels constats invitent à repenser la façon dont nous concevons la redistribution territoriale dans ce pays.

Certains observateurs affirment que le vrai clivage politique n’est plus économique mais socio-culturel.  La crise économique se double-t-elle d’une crise identitaire ?

Il ne faut pas opposer ces deux aspects qui se nourrissent l’un l’autre. Le principal sujet de préoccupation en France aujourd’hui, c’est la mondialisation. Or celle-ci, dans l’esprit de beaucoup, a une double dimension, vécue négativement : économique (désindustrialisation, délocalisation), mais aussi "culturelle" (émergence, à la faveur de l’immigration, d’une société multiculturelle qui bouleverse les repères identitaires traditionnels). C’est ce dernier sentiment d’ "insécurité culturelle", comme on dit pudiquement, qui pousse certains à quitter les banlieues, où ils ne se sentent plus "chez eux". Et comme, avec la hausse fantastique des prix de l’immobilier, les centres-villes leur sont naturellement interdits, ils s’installent dans les territoires excentrés dont nous parlions tout à l’heure, où se développe un nouvel esprit de clocher, très ancré sur les réalités locales.

Dans une économie de plus en plus mondialisée, comment répondre de manière crédible aux préoccupations de ces "plouc-émissaires" pour reprendre l’expression de Philippe Murray ?

Vaste question ! En repartant de l’analyse que nous venons d’esquisser, on peut dégager au moins trois défis à relever.

  • Le défi territorial d’abord : la question de l’aménagement du territoire est, plus que jamais, un enjeu de cohésion nationale. La manière la plus simple de réunifier le territoire, c’est peut-être de parvenir à faire baisser les prix de l’immobilier en développant considérablement l’offre de logements dans les zones tendues – Nicolas Sarkozy avait fait des propositions concrètes sur le sujet pendant la campagne. Mais ce n’est qu’un aspect parmi d’autres.
  • Le défi économique, ensuite : c’est celui de la ré-industrialisation du pays. Tout le monde en parle, enfin aujourd’hui, mais ce n’est pas toujours allé de soi. Il y a dix ou vingt ans, beaucoup de décideurs avaient fait le deuil de l’industrie et misaient sur le tout-tertiaire. Les couches populaires que vous évoquez sont les premiers à avoir payé le prix de cette faute stratégique.

  •  Le défi "culturel" enfin : c’est évidemment le sujet le plus délicat, à la fois parce qu’il se prête à de multiples formes de "dérapages" et parce qu’il est difficile, sur les questions d’identité, de culture commune, etc. de dépasser le stade de la simple incantation verbale pour agir concrètement. La façon la plus “républicaine” et la plus efficace d’aborder le sujet, c’est encore sous l’angle de l’éducation.


La droite républicaine peut-elle récupérer cet électorat qui se partage entre abstentionnisme et vote FN ?

Oui. La droite républicaine est la seule à pouvoir concilier le réalisme du diagnostic avec celui des propositions. Le Parti socialiste a fait le choix, idéologique aussi bien que tactique, d’abandonner les classes populaires de la France périphérique, pour des raisons d’ailleurs très bien expliquées dans une note de son think-tank Terranova (Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, note du 10 mai 2011). Et sur le fond, il n’est à l’aise ni sur la question de la compétitivité industrielle, ni sur celle de l’autorité, sans parler de l’immigration : autant de sujets centraux pour l’électorat dont nous parlons. Quant au FN, il pousse la crispation identitaire jusqu’à faire du repli sur soi la solution à nos problèmes économiques : avec ses propositions délirantes de sortie de l’euro et de fermeture intégrale des frontières. Ce faisant, il peut séduire fortement, mais jamais convaincre vraiment : on s’en rend compte dans les études menées auprès des électeurs FN. Au fond d’eux, il y a toujours une petite voix qui leur dit que ce que propose Marine Le Pen ne peut pas marcher.

Propos reccueillis par Téophile Sourdille et Alexandre Devecchio

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