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Pas en déclin la France ? Regardons un peu les derniers chiffres de l’Insee sur le niveau de vie des Français…
©Reuters

Positive attitude

Les derniers chiffres de l'Insee révèlent un niveau de vie qui n'augmente plus pour les Français depuis 2009. Une situation inquiétante qui se ressent dans quasiment toutes les strates de la population, notamment chez les chômeurs et les familles monoparentales.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Selon les chiffres publiés cette semaine par l'Insee (voir ici), le niveau de vie des Français a encore stagné en 2014, comme c'est le cas depuis le début de la crise en 2008. Par ailleurs, 14,1% des Français vivaient sous le seuil de pauvreté (avec moins de 1 008€ par mois). Alors que la notion de "déclinisme" portée par certains intellectuels est régulièrement attaquée, ne s'agit-il pas là d'une réalité visant à la valider ? A quel point peut-on estimer que le déclin du niveau de vie des Français est une réalité ?

Vincent Touzé : On constate en effet une certaine stagnation du niveau de vie ces dernières années. Quand on regarde les chiffres de l'Insee, on s'aperçoit que le revenu médian a même légèrement décliné, au sens statistique du terme. Le cinquième décile, qui correspond au revenu médian, a quasiment stagné de 2012 à 2014. Sur une durée un petit peu plus longue, il est même en baisse, la crise étant passée par là. Il était à son niveau le plus élevé en 2009, avant de baisser puis de stagner.

De ce point de vue-là, la situation n'est clairement pas enthousiasmante, même si, sur une plus longue période, le revenu médian a augmenté de 6% entre 2004 et 2014). Ce n'est pas beaucoup, mais en même temps, la crise est passée par là. Notons par ailleurs qu'il a peu augmenté pour les 10% les plus pauvres (de 2% seulement).

Pour faire une analyse, tout dépend de la durée sur laquelle on se base. Je parlerai peut-être plus de stagnation que de réel déclin, même si on observe en effet une baisse pour les déciles supérieurs. D'après les calculs de l'Insee, les 5% les plus riches ont vu une baisse de leur niveau de vie de 5% entre 2012 et 2014. Un certain nombre de facteurs ont pu jouer ici (baisse des revenus financiers, facteurs fiscaux, etc.).

Quelles sont les catégories les plus touchées par la stagnation de leur niveau de vie (âge, situation familiale, géographique, professionnelle...) ?

Parmi les sous-groupes de population les plus impactés, le taux de pauvreté le plus élevé chez les actifs se retrouve naturellement chez les chômeurs (37%). La France compte aujourd'hui près d'1,1 million de chômeurs pauvres (ramené à trois millions de chômeurs environ).

De manière assez étonnante, on trouve également un taux de pauvreté élevé chez les travailleurs indépendants (19%, soit 550 000 personnes environ), leurs revenus étant assez sensibles à la conjoncture.

Parmi les inactifs, là où l'on trouve beaucoup de pauvreté, c'est parmi les étudiants, les autres inactifs sans emploi mais non considérés comme chômeurs (31%), etc.

En revanche, les personnes bénéficiant d'une vie économique assez stable ont évidemment un taux de pauvreté assez faible (6%%), alors que les retraités sont à 7,6%.

Mais l'un des grands enseignements de cette enquête concerne les catégories sociales, où l'on constate notamment que parmi les familles monoparentales, nous avons un taux de pauvreté extrêmement élevé (36%). On peut penser que ce chiffre est à relier au fait que parmi les moins de 18 ans, nous avons un taux de pauvreté de presque 20% (2,8 millions de personnes). Au niveau des familles monoparentales, il y a un effet mécanique de pauvreté : quand on vit en famille, il y a des rendements d'échelle qui font qu'à revenu équivalent, on a un meilleur niveau de vie. Il faut savoir que quand l'Insee calcule le niveau de vie d'une famille, elle stipule que le premier adulte pèse pour 1 unité de consommation, les autres personnes de plus de 14 ans comptent pour 0,5 et les moins de 14 ans pour 0,3. Si vous prenez une famille avec un certain niveau de revenu, avec deux adultes et un enfant, leur besoin de consommation sera de 1,8. S'ils se séparent, le besoin de consommation passe à 2,3 (1 adulte et un enfant, plus un adulte seul), ce qui équivaut à une baisse de 30% de pouvoir d'achat. La statistique traduit donc le fait qu'il y a moins de pauvreté dans les familles dites "traditionnelles" que dans les familles séparées.

En ce qui concerne les chômeurs, il est important de s'intéresser aux facteurs qui génèrent de la pauvreté. Ici, on peut notamment penser au chômage de longue durée, qui est un gros vecteur de pauvreté. Sur le deuxième trimestre 2016, nous avons 1,2 millions chômeurs de longue durée au sens du Bureau international du Travail. Si on se place au début du mandat de François Hollande, on était à 1,05 million environ, ce qui représente donc une hausse de 12%.

Enfin, si l'on regarde le nombre de bénéficiaires du RSA, on s'aperçoit qu'entre mars 2012 et mars 2016, nous sommes passés de 1 591 000 bénéficiaires à 1 896 000 (+19%). C'est un indicateur d'appauvrissement clair, même si le traitement social de la pauvreté en France permet d'atténuer un petit peu ces effets-là.

Comment peut-on expliquer qu'un pays comme la France compte 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ? Même si, par définition, le seuil de pauvreté existera toujours, étant calculé sur la base du revenu médian, l'ampleur de la situation est-elle suffisamment prise en compte par nos dirigeants depuis le début de cette crise économique ?

Il faut toujours essayer d'aller un peu plus loin que les statistiques, qui peuvent masquer certaines situations. Entre vivre sous le seuil de pauvreté à Paris et y vivre dans une autre ville de France où le coût de la vie est moins cher, il y a une différence. Ces indicateurs de pauvreté doivent être complétés par d'autres. La situation du logement, par exemple, s'est aggravée, avec la situation des sans domicile fixe. Le drame de la pauvreté, c'est qu'il y a aussi de la très grande pauvreté. Certains sont près du seuil (1 008€), d'autres non. Or, la statistique ne mesure pas toujours bien la très grande pauvreté. La situation est donc potentiellement peut-être encore moins enthousiasmante.

Un deuxième aspect très inquiétant réside dans la pauvreté constatée chez les enfants de moins de 18 ans (autour de 20%), qui sont quand même l'avenir d'une nation. Est-ce qu'en étant pauvre on a accès à une bonne éducation, à un bon système de santé, etc. ? Cette accumulation de facteurs est évidemment problématique.

Il est clair que 9 millions de Français sous le seuil de pauvreté, c'est beaucoup. Cela ne risque de mettre fin aux débats sur le revenu minimum, la redynamisation du marché du travail, la formation des chômeurs, etc.

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