Pas de confinement en Suède : l’heure est-elle venue de s’inquiéter pour les Suédois ou de les envier ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Pas de confinement en Suède : l’heure est-elle venue de s’inquiéter pour les Suédois ou de les envier ?
©Reuters

Europe

Contrairement à presque tous les pays européens, la Suède n’a toujours pas décrété le confinement de sa population. Un modèle risqué, unique en Europe, que seuls les suédois semblent être capables d'appliquer.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico : Ne pas confiner la population (10,3 millions d'habitants en Suède), est-ce un choix risqué ?

Stéphane Gayet : La Suède est le plus grand – par sa superficie, qui est un peu inférieure à celle de la France – des quatre ou cinq (selon les définitions) pays scandinaves. Contrairement à la Norvège qui y est toujours opposée, elle fait partie de l'Union européenne. Elle compte un peu plus de 10 millions d'habitants. C'est une monarchie parlementaire. Le niveau de vie y est très élevé et sa qualité de vie est réputée. Et la politique de protection de l'environnement de la Suède est connue pour être l'une des plus avancées d'Europe.

Sur le plan de leur politique de santé, les pays scandinaves sont attachés à la prévention. C'est surtout le cas du Danemark, le plus pays des pays scandinaves ; c'est aussi celui de la Suède : on peut affirmer que ces pays nordiques ont une politique de santé publique bien affirmée ; la prévention y est culturelle.

La Suède fait figure d'exception européenne

Fidèle à sa tradition de qualité de vie, la Suède refuse de s'imposer des mesures de confinement aussi strictes qu'en France. On recommande aux Suédois de sortir le moins possible et de respecter une distance de sécurité avec les autres personnes. Les rassemblements de plus de 50 individus sont interdits, les visites en maison de retraite sont très limitées, on incite les personnes âgées et les individus fragiles – ayant un risque infectieux élevé - à rester à domicile. Mais les bars, restaurants, écoles, salles de sport… maintiennent leur activité. Les Suédois paraissent ainsi mener une vie proche de la normale, alors que de très nombreux pays du monde ont adopté le confinement obligatoire.

Le gouvernement veut ainsi maintenir l'économie (au moins locale) et préserver une certaine qualité de vie. Le peuple de la Suède fait assez bien confiance à ses dirigeants dans ce dossier. Les experts qui ont préconisé cette option, comptent sur le phénomène d'immunité de groupe : ils espèrent que le virus, en circulant de cette façon facilement et rapidement, infecte de manière plutôt bénigne de nombreuses personnes, qui devraient se retrouver ainsi immunisées après leur guérison, ce qui provoquerait un phénomène de protection immunitaire collective.

Mais le gouvernement est accusé par l'opposition de passivité dangereuse. Cette option suédoise est vivement critiquée par bien d'autres pays, en particulier le président des états-Unis. Et en pratique, le nombre de cas et celui de décès augmentent de façon véritablement assez inquiétante…

Pour répondre à la question posée, c'est bien sûr un choix risqué. Mais alors qu'une telle option serait suicidaire en France, en Italie et en Espagne qui sont des pays imprégnés de culture latine, elle peut se défendre dans un pays nordique comme la Suède, qui a une tout autre culture. La discipline et le sens de la responsabilité individuelle et collective ne sont pas des vains mots dans ce pays où le civisme est une valeur forte.

Quand les pays, où un confinement réglementaire a été imposé, commenceront à lever progressivement ce confinement, on observera avec appréhension l'évolution post-confinement de l'épidémie et c'est ensuite que l'on pourra faire un bilan. Le moment sera alors venu de comparer les résultats de la Suède à ceux des pays ayant opté pour le confinement strict. Et l'on pourra donc se prononcer sur le bien fondé du choix suédois. Aujourd'hui, la situation de la Suède est indéniablement tendue, mais il ne semble pas y avoir de menace d'explosion épidémique. Nous attendons avec impatience la suite.

Les appels à la responsabilité individuelle et collective sont-ils suffisants face à l'épidémie ?

Selon l’historien suédois Lars Tragardh, il existe une forte confiance réciproque entre les citoyens et l'état. C'est un atout considérable. Grâce à cette confiance, les autorités du pays peuvent faire appel à la responsabilité individuelle, plutôt qu’à la contrainte. Selon lui, le contrat social suédois serait bien différent de celui qui existe en France : il repose, d'un côté, sur un individualisme responsable, de l'autre, sur une relation forte à l'état. Ainsi - selon cet historien qui est revenu s'établir en Suède après avoir enseigné aux états-Unis d'Amérique pendant une quarantaine d'années -, l'option non coercitive qui a été décidée en Suède est justifiable eu égard à cette culture particulière.

On ne peut que lui donner raison quand il affirme que cette crise sanitaire est révélatrice de la nature profonde de chacun des peuples qui y est confronté.

Le gouvernement suédois a pris un risque important, mais il connaît son peuple. Si la Suède sort de cette épidémie avec un bilan comparable à celui des pays ayant imposé des mesures strictes – comme bon nombre d'autres pays européens -, cela constituera une leçon pour ces pays européens où il n'existe pas cette relation de confiance entre les citoyens et l'état ; on pourra alors prendre conscience, une fois de plus en France, de l'état déchiré de notre tissu social et sociétal.

On a envie de croire à la valeur de l'option suédoise et même à son efficacité. Son succès serait un beau message en faveur de la liberté qui est tellement menacée, indépendamment de la pandémie. N'aspirons-nous pas tous à une telle société, où les individus seraient à la fois libres, responsables, disciplinés et confiants ? Décidemment, cette crise sanitaire vient nous bousculer sur tous les plans.

Si ce modèle fonctionne, peut-on regretter de ne pas en avoir usé en France ?

Comment croire que ce modèle puisse fonctionner en France ? Cela paraît surréaliste. Les Suédois sont présentés comme des personnes individualistes et responsables, ayant le sens du bien commun ; alors que les Français donnent beaucoup plus l'impression d'être individualistes, égocentristes et égoïstes. On ne perçoit que très peu en France le sens de l'intérêt collectif, de la responsabilité individuelle et collective. On en est arrivé à un point tel, en France, que chacun est arc-bouté sur ses propres intérêts à court et moyen terme avec une recherche frénétique de tout ce qu'il peut obtenir de l'état et des administrations, en termes d'allocations, d'aides, de pensions, réductions, etc. Quand on peut tricher et berner le système ou les autres, c'est toujours cela de gagné. Comment, avec un tel état d'esprit, pourrait-on penser pouvoir gérer l'épidémie CoVid-19 comme en Suède ? Cela paraît impensable…

En France, on a imposé des contraintes réglementaires strictes. Il y a des contrôles et de la répression. Malgré tout cela, on voit tous les jours des personnes qui ne respectent pas les règles. Sans parler de celles qui manifestement n'ont à peu près rien compris à la façon dont le virus est transmis… Pédagogie presque inexistante, infantilisation des citoyens, erreurs et incohérences de communication, tergiversations en raison d'intérêts politiques et d'un choix discutable d'experts qui n'en sont pas toujours, etc. Hélas, cette crise révèle qui nous sommes, ce que nous sommes devenus : un peuple consommateur, individualiste, égocentrique, égoïste, contestataire et indiscipliné. Mais on peut toujours rêver : les Français vont peut-être changer lorsque la crise sanitaire et économique sera finie… Qui sait ? Le pessimisme ne mène à rien.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !