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Paradoxe scandinave : pourquoi les pays où les gens sont les plus heureux sont aussi ceux où on se suicide beaucoup
©Reuters

Givré

La Norvège est le pays le plus heureux du monde selon une étude de l'ONU. Paradoxalement, c'est un pays qui enregistre un fort taux de suicides. La conception du bonheur par les pays scandinaves est très intéressante à analyser pour comprendre notre quête du bonheur dans la société occidentale.

Catherine Berliet

Catherine Berliet

Catherine Berliet intervient depuis 15 ans en conseil, formation, coaching de cadres et dirigeants pour le compte de grandes entreprises françaises. Diplômée en communication, elle est également thérapeute, praticien en Rêve Eveillé libre. Elle est co-auteur de : Et si je choisissais d’être heureux  ! : Le bonheur mode d’emploi  paru en juillet 2014 aux Editions Eyrolles, Manager au quotidien et Les outils de développement personnel du manager aux Editions Eyrolles. Elle est auteur de Et si je prenais mon temps aux Editions Eyrolles et co-auteur de "Et si je choisissais d'être heureux" avec Capucine Berliet toujours aux éditions Eyrolles

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Une récente étude publiée à l'occasion de la journée du bonheur le 20 mars par l'ONU montre que la Norvège est le pays le plus heureux du monde. En même temps, c'est l'un des pays où les gens se suicident beaucoup (Nota Bene : 11 suicides pour 100.000 personnes en 2014 d'après l'OCDE). Comment expliquer ce paradoxe ? 

Catherine BerlietCurieusement, le taux de suicide est beaucoup plus élevé dans les pays à l’économie prospère et où les habitants bénéficient d’une vie heureuse et épanouie. C’est pourtant ce qu’a relevé une équipe de chercheurs britanniques et américains dans une étude parue en 2011 nommée  "Dark contrasts" : The paradox of high rates of suicide in happy places."  À cet égard les taux de suicide les plus élevés se situent en Finlande avec 28,9 %, 16% au Danemark, contre 2,5 % au Koweit et 0,3% en Iran.

Ce paradoxe pour le moins déroutant nous questionne et nous donne envie d’en examiner les causes. Nous en avons relevées plusieurs : 

# L’envie dévastatrice 

Le culte de la performance, le Dieu argent et son corollaire : "je gagne donc je suis", la volonté de puissance et de pouvoir, sont des constantes que nos sociétés érigent comme des marqueurs de réussite et des paramètres du bonheur. Si vous en êtes c’est parfait, si vous peinez à égaler alter ego et congénères, ce sera beaucoup plus dur et frustrant pour vous.

Nous passons le plus clair de notre temps à nous jauger, nous mesurer, nous challenger sur ce que nous devrions être ou sur ce que nous pourrions devenir en nous étalonnant à l’autre. Quoi de plus moteur et rassérénant pour celui qui y parvient ? Quoi de plus frustrant pour celui qui rame et finit par constater son échec à rallier les échelons les plus hauts ? Le cliché humoristique des voisins qui s’épient, se copient, est une réalité. L’autre est un marqueur social et sociétal qui permet de se rassurer sur sa valeur intrinsèque. Mon voisin est heureux : il possède une maison magnifique, une femme divine, une voiture de sport rugissante, je veux être son clone à tout prix. Le bonheur de l’autre provoque mon envie car je veux faire partie du cercle des privilégiés et du clan des bienheureux. Nous pourrions imaginer qu’il est plus facile de vivre entouré de gens malheureux que de gens heureux. Stephen Wu de l’Hamilton College dit que nous jugeons notre bien être à l’aune du bien-être des gens qui nous entourent.

# Le manque de confiance en soi

Les personnalités aux assises narcissiques fragiles sont dévastées par le constat du différentiel entre ce à quoi elles aspirent et ce qu’elles réussissent à atteindre. Dans le même temps, celles qui ont une forte estime d’elles-mêmes ne sont pas impactées et continuent leur quête de bonheur sans sourciller. L’autre est vécu comme un péril qui nous confronte à nos propres insuffisances, ce qui est insupportable et douloureux pour certains et ce qui peut provoquer des raptus. Le dialogue intérieur à cet instant, ressemble à : "Quand je me compare aux autres je vois que ma maison est standard, ma femme normale, ma voiture ordinaire, je ne suis rien au regard de mon entourage, ou juste un "no life" et je me sens déclassé, inférieur, je n’y arriverai jamais, je m’en veux, je suis découragé, ma vie ne vaut plus la peine d’être vécue."

Celui qui tarde à accéder à ce bonheur qui l’éclabousse, préfèrera en finir car il ne résistera pas à la frustration, à moins qu’il ne choisisse de s’entourer de gens aussi malheureux que lui, ce qui aura tendance à l’apaiser.

# Le manque de lumière

L’absence de soleil des pays où la nuit tombe à 15 heures est pour beaucoup dans les états dépressifs et dans le taux augmenté de suicides. Nous avons besoin de lux pour exister sans ombrage.

Qu'est-ce que ce paradoxe nous révèle de la conception du bonheur et de la quête du bonheur dans la société occidentale ? 

Ce paradoxe nous révèle que la conception du bonheur doit avant tout reposer sur des valeurs profondes, celles qui constituent les piliers et les fondements de notre personnalité. Les images sur papier glacé nous imposent des modèles de bonheur qui flirtent plus avec l’avoir qu’avec l’être. Ces clichés offerts par la société occidentale sont basés sur des critères extrinsèques et matériels qui font office de mirages et de graal absolu et font la part belle au Moi, ou plutôt au Moâ.

Comment expliquer que les Français ne se classent que 31ème dans cette étude ? Notre conception du bonheur est-elle diamétralement opposée à la conception des scandinaves ? 

La France a beau être un pays développé et riche économiquement, elle est loin dans le classement du bonheur. Cela tient probablement à l’incapacité de son peuple à être positif, à sa propension à voir la bouteille toujours à moitié vide, à sa posture d’éternel Kalimero desperado, et à son irréductible pessimisme. La course effrénée au toujours plus accentue la sensation d’insuffisance et ne favorise pas le bien-être.

Dans l’hexagone, la vision du bonheur reste axée sur l’ego et non sur le Soi, sur la possession, le pouvoir, la puissance, l’argent, la performance. C’est pourquoi elle est aux antipodes de la conception des scandinaves, qui elle, est basée sur des critères de bien-être, d’altérité.

Le bonheur à la Danoise fait recette et le besoin de réconfort lié à la froideur hivernale oblige à un retour sur soi. Ce mode de vie s’appelle le "Hygge" et arrive comme une réponse à des conditions climatiques difficiles des pays nordiques. Le "home sweet home" prend toute sa dimension de havre de paix à l’abri des frimas, dans un décor chaleureux, rassurant, où chacun peut se lover et partager des moments familiaux, amicaux dans un esprit convivial et solidaire.  Malene Rydahl nous en parle dans son livre : "Heureux comme un Danois", 2014. Quant à Meik Wiking, l’apôtre du "Hygge" il parle de : "Stratégie de survie hivernale". L’idée étant surtout de prendre soin de soi, pour être bien avec les autres et pour être en capacité d’affronter les difficultés du monde.

Le bonheur n’est pas contagieux… Le saviez-vous ?

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