Paquet climat au Parlement européen : quand l’UE se prend les pieds dans le tapis de l’ambition environnementale <!-- --> | Atlantico.fr
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Les députés européens vont se positionner sur huit textes majeurs du paquet climat "Fit for 55" qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 55 % d’ici 2030.
Les députés européens vont se positionner sur huit textes majeurs du paquet climat "Fit for 55" qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 55 % d’ici 2030.
©FREDERICK FLORIN / AFP

"Fit for 55"

Les députés européens doivent se prononcer cette semaine sur le paquet législatif proposé par la Commission sur le climat. Dans quelle mesure les solutions proposées relèvent-elles de l’efficacité d’une part, de l’idéologie d’une autre ?

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Emmanuel Tuchscherer

Emmanuel Tuchscherer

Emmanuel Tuchscherer est dirigeant d’entreprise et expert des politiques énergie-climat européennes.

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Atlantico : Les députés européens doivent se prononcer cette semaine sur le paquet législatif proposé par la Commission sur le climat. Si les intentions sont louables, dans quelle mesure les solutions proposées seraient-elles vraiment efficaces ? Quelle est la part de propositions guidées par l’idéologie ?

Emmanuel Tuchscherer : Le paquet législatif « Fit For 55 » découle en droite ligne de l’accord de Paris sur le climat. Il constitue la boîte à outils des mesures à prendre pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, comme s’y sont engagés nos Etats. Il touche ainsi aux principaux postes d’émission de gaz à effet de serre : l’énergie, les transports, les bâtiments, l’industrie, avec l’objectif commun d’accélérer les efforts pour décarboner nos économies. La route tracée par l’Union européenne est celle que désignent les experts du climat, les ingénieurs et les économistes : un mixte d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables, du financement et des politiques d’accompagnement de la transition sur un plan industriel et social. C’est un effort très louable de mise en cohérence des objectifs climatiques et des politiques sectorielles. Il renvoie aussi à une intention politique plus globale, qui est celui de faire de l’Europe une civilisation de l’excellence environnementale. Derrière la technicité du paquet, s’affirme un projet politique, où l’Europe retrouve un peu de sens et de souffle, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. La guerre en Ukraine et les conséquences qu’il convient d’en tirer sur le plan de l’indépendance énergétique confirment la pertinence de ces politiques et demandent leur accélération.

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Là où le bât blesse, c’est que des intentions aux réalisations, la marche est très haute : découpler durablement la croissance du PIB et celle des émissions, déclasser le stock de capital de l’économie brune et reclasser les salariés, investir massivement dans les technologies vertes, tout cela exige une transformation profonde de nos économies et une accélération du temps pour laquelle nous ne sommes pas outillés. Le signal politique donné par les objectifs européens, c’est qu’il faudrait mettre en place ce qui s’apparente à une économie de guerre pour transformer notre appareil productif avec la rapidité exigée. Cela contrarie notre ADN de sociaux-démocrates adeptes de la lenteur et de la norme. 

Sommes-nous capables de diriger ces transformations ? Oui si les taux d’intérêt réels se maintiennent aux niveaux actuels ; oui, si l’UE veille à protéger la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat des ménages face au choc d’offre négatif que constitue la hausse structurelle des prix de l’énergie ; oui, si la Commission et les Etats continuent d’agir avec célérité face à la guerre en Ukraine pour réduire notre exposition au gaz russe et aux énergies fossiles. 

Mais non, l’Europe n’est pas prête à d’autres égards. Il manque par exemple un choc de simplification des procédures administratives entourant le développement des énergies renouvelables et de l’accès aux financements publics pour des projets de décarbonation. On peut citer aussi comme impératifs la fin des subventions aux énergies fossiles et des mesures d’accompagnement industrielles et sociales très conséquentes. La réalité est que le succès de ces politiques est très largement à la main des Etats membres et des territoires : en matière de développement des renouvelables, de décarbonation de l’industrie, de rénovation énergétique des logements, les succès se jouent au plus local. Bref, si la politique énergie-climat de l’Europe pèche, ce ne sera pas par un excès d’idéologie, mais par un défaut d’exécution, de volonté politique ou de capacités administratives des Etats.

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Il y a aussi une fragilité intrinsèque de la politique européenne qui tient au cadre institutionnel actuel : la politique énergétique est une compétence partagée entre l’Union et les Etats membres. Elle dépend du bon vouloir de ces derniers en matière de choix du mix énergétique, de sécurité d’approvisionnement, de traduction des objectifs en matière de politiques fiscales, etc. Il faudrait porter sur un plan européen le programme d’une planification écologique que le Président de la République ambitionne pour la France, autour d’objectifs partagés et de moyens mutualisés. Or la situation à Bruxelles est toute autre : les négociations européennes sont une course à l'échalote entre des objectifs climatiques que l’on ne cesse de rehausser sans considération de leur faisabilité en contrepartie de moyens financiers supplémentaires, où les plus durs à la négociation sortent gagnants. C’est une dynamique perdant-perdant si l’on définit des trajectoires irréalistes ou qui mettent l’Europe à risque. Par exemple rien ne serait plus dommageable qu’une occurrence de blackout sur le système électrique venant de ce que l’Europe trop poussé les feux sur le développement des énergies renouvelables sans réaliser en même temps les investissements dans les moyens de production d’électricité pilotables, le stockage et les réseaux de transport.

Drieu Godefridi : Lors de leur session plénière à Strasbourg ce mercredi 8 juin, les eurodéputés devront se prononcer sur huit des quatorze directives du paquet climatique ‘Fit for 55’, qui vise à limiter les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne de 55% d'ici 2030 dans le cadre du ‘Green New Deal’. La part de l’idéologie est celle du lion.

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Commission et Parlement européens sont désormais les deux principaux vecteurs de l’idéologie écologiste dans le monde — loin devant le plus zélé des États. Ce que marquent ces directives est l’ouverture de la chasse aux émissions humaines de CO2, non seulement dans l’industrie ou dans le transport, mais jusque dans le moindre détail de la vie quotidienne des citoyens européens (énergie, mobilité, alimentation). La réduction des émissions humaines de CO2 n’est pas le principe dominant ‘Fit for 55’, mais son principe unique, séminal et cardinal. Ce qui fera sourire ceux qui connaissent la sourde hostilité de cette même UE à l’énergie nucléaire, pourtant la seule source d’énergie décarbonée permanente illimitée, sous la pression des écologistes allemands et leurs satellites autrichiens et belges. On ne saurait mieux indiquer le caractère proprement idéologique de la démarche : comment prétendre qu’on part à la chasse au vampire CO2, quand on refuse expressément de se munir du pieu qui pourrait en venir à bout ?

Quelles sont les propositions les plus susceptibles d’avoir des effets positifs ?

Emmanuel Tuchscherer : Fixer des objectifs clairs comme le fait le plan européen est extrêmement important pour les acteurs économiques. Porter à 55 % ou plus l’objectif de réduction des gaz à effet de serre à 2030, à 40 % ou 45 % l’objectif de développement des énergies renouvelables, rehausser les efforts d’efficacité énergétique et de rénovation des logements sont des manières de créer de la confiance pour les entreprises et les investisseurs et d’ouvrir un espace d’initiative où les acteurs économiques vont pouvoir se projeter dans l’avenir, mobiliser des ressources, structurer des filières industrielles, stimuler l’innovation. L’Europe est un formidable pourvoyeur de confiance et de stabilité, parce qu’il est beaucoup plus difficile de revenir sur des règles européennes négociées à 27 que sur des normes nationales toujours susceptibles d’être contredites par le gouvernement suivant. Dans le secteur de l’énergie, quand la Commission propose, avec sa stratégie RePowerEU, l’objectif de construire 17,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2025 pour produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable, elle crée un choc de confiance très positif qui va booster cette filière et créer un appel d’air pour les investissements. 

Le paquet énergie-climat consolide également le marché européen du carbone, qui a surmonté sa crise de jeunesse et délivre maintenant un signal prix, autour de 80 euros la tonne, qui est un véritable accélérateur de la décarbonation dans l’industrie et la production électrique. Avec la maturité atteinte par ce marché et le besoin d’une certaine harmonisation, il est légitime que l’UE prévoie son extension au secteur du transport maritime. 

Enfin, l'adoption par le Parlement européen du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières constituerait un premier pas historique dans l’alignement progressif du commerce international sur les objectifs climatiques. Elle permettra de traiter sur un pied d’égalité des produits fabriqués en Europe et leurs équivalents importés de pays tiers qui ne sont pas soumis aux quotas de CO2. La fin programmée des quotas gratuits aux industriels en est la conséquence logique. Cette initiative européenne devrait essaimer chez nos grands partenaires : il serait pertinent et utile que la France, qui a été le fer de lance de ce mécanisme, lance une grande initiative de diplomatie climatique du type « One Planet Summit » pour promouvoir des mécanismes de tarification du carbone au plan international, en s’inspirant du modèle européen qui a prouvé son efficacité.

Drieu Godefridi : Que l’on condamne un prisonnier au pain sec et à l’eau, son organisme devra se passer des mauvaises graisses et des vilains sucres : très bien ! Mais le bilan sera presqu’immédiatement catastrophique. De même, la décarbonation partielle de nos économies n’est pas mauvaise en soi et, de ce point de vue, il est loisible de donner une lecture positive à chaque mesure prise isolément. Telle que menée par l’UE, cette décarbonation brutale et unilatérale aura des conséquences économiques, énergétiques, alimentaires, politiques et finalement civilisationnelles qui seront dramatiques et dévastatrices, sans commune mesure avec les effets bénéfiques. C’est du point de vue systémique et global qu’il faut analyser ‘Fit for 55’.

Dans quelles mesures certaines propositions risquent-elles d'avoir un impact limité sur le climat, mais aussi des conséquences négatives sur les citoyens ? 

Emmanuel Tuchscherer : Vous cherchiez de l’idéologie dans ce paquet. Je crois qu’il y en a eu dans la proposition de la Commission de mettre en place un marché carbone dans le secteur du transport routier et du bâtiment. Il y a déjà tant de normes de d’instruments spécifiques dans ces deux secteurs qu’un nouvel instrument européen ajouterait une couche inutile de complexité. L’Europe ne doit pas reproduire les erreurs qui ont été commises avec la taxe carbone en France. Un ménage modeste ne se comporte pas comme une entreprise : s’il se chauffe au fioul ou s’il roule au diesel, ce n’est pas par choix, mais parce qu’il n’a pas les moyens de se payer une pompe à chaleur ou une voiture électrique. Augmenter les prix de l’énergie n’y changera rien, et fera redescendre les gens dans la rue.

La proposition d’interdire les véhicules thermiques d’ici 2035 est beaucoup commentée et contestée. Passer à l’électrique est un choix politique comme l’a été celui du moteur thermique et du pétrole au XXe siècle. L’avenir dira si l’Union européenne a eu raison d’écorner le principe de neutralité technologique qui l’a guidée jusqu’à présent, et qui consiste à réglementer par normes de performance environnementale plutôt que par sélection de technologies. Le critère du succès sera le nombre d'usines installées et les nouveaux emplois créés sur le territoire européen dans la filière du véhicule électrique, en particulier la batterie et le digital qui concentrent l’essentiel de sa valeur. Nos industriels ont de grandes ressources d’agilité et de réactivité mais ils sont lancés dans une course de vitesse où d’autres sont déjà partis en tête. Selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 55 % de la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques et 75 % de celle des batteries sont aujourd’hui installées en Chine. 

Drieu Godefridi : ‘Fit for 55’ ne jure que par la réduction des émissions (humaines) de CO2. Rappelons que les émissions CO2 de l’UE représentent moins de 10% des émissions mondiales. Après une brève diminution des émissions mondiales de CO2 durant la crise COVID, ces émissions mondiales ont repris leur hausse. En dépit des effets d’annonce des écologistes européens de tous les partis — 55%! cela paraît substantiel, comme réduction ! — ce qui précède signifie que la réduction marginale des émissions européennes de CO2 sera plus que compensée par l’augmentation mondiale des émissions de CO2. Par conséquent, même à s’inscrire de façon stricte dans le cadre de pensée qui préside à la rédaction des directives ‘Fit for 55’, ceci implique que les effets de ces directives sur le climat sera nul. Littéralement nul, égal à zéro, la pureté de l’objet mathématique. Je propose un pari d’un million d'euros signé chez le notaire à celui qui me démontrera le contraire de cette proposition simple, immédiatement accessible. Ira-t-on déclarer la guerre à l’Inde pour l’obliger à réduire ses émissions de CO2 ? À la Russie ? Devra-t-on relancer la colonisation de l’Afrique ? Monter un corps expéditionnaire pour soumettre la Chine à ‘Fit for 55’ ? Ces pays et continents augmentent massivement leurs émissions de CO2 et n’ont aucune intention d’y rien changer à court ou moyen terme — le long terme n’engage jamais personne, comme le soulignait Lord Maynard Keynes — car ils savent que le carbone est consubstantiel au développement économique donc au bien-être de leurs citoyens. C’est un fait, physique et géopolitique en forme d’éléphant dont les institutions de l’UE font complètement abstraction quand elles traitent les citoyens européens comme des chapons.

Avons-nous actuellement les moyens, notamment techniques, des ambitions affichées ? 

Emmanuel Tuchscherer : En matière de transition énergétique, la bonne nouvelle est que les technologies, sont, pour l’essentiel, disponibles ou à portée de maturité industrielle. Vers la neutralité carbone, nous pouvons faire plus de 80 % du chemin avec des substitutions de technologies comme remplacer le charbon et le gaz par des énergies renouvelables, l’électrification et des solutions techniques qui existent déjà pour décarboner le transport et l’industrie. 

Ce qui est plus inquiétant, c’est le conflit de temporalité entre les objectifs qui sont en train d’être fixés pour 2030 – dans huit ans, c’est-à-dire la durée d’un d’œil à une échelle industrielle – et la profondeur et l’intensité des mutations que celles-ci impliquent. Changer les équipements des entreprises (machines, systèmes énergétiques, transports) et des ménages (chaudière, isolation des logements, véhicules) prend un temps incompressible. Plus les sujets sont locaux et diffus, comme l’isolation thermique des bâtiments, et plus les obstacles techniques, normatifs, et opérationnels sont nombreux. 

L’erreur serait de croire qu’il suffit de verser des milliards d’euros sur les priorités de la transition écologique pour faire advenir les résultats. Le succès de ces politiques tiendra aussi à notre capacité de lever les goulets d’étranglement à la production d’équipements et de services environnementaux. Par exemple en matière de rénovation énergétique des bâtiments : remédier aux tensions sur l’approvisionnement en matières premières, doper les capacités de production d’équipements vertueux, comme les pompes à chaleur, ceci de préférence sur le territoire européen, recruter et former sur les métiers du bâtiment qui sont structurellement en tension, etc. Sans parler des problèmes assez lourds de reconversion et de formation dans les secteurs en transition : on ne transforme pas du jour au lendemain un ouvrier des fonderies en fabriquant de pales éoliennes ou de batteries électriques. Ces transformations vont aussi demander une démocratie plus mature, plus de dialogue et de consensus entre les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics sur les objectifs et les moyens. Cela, l’Europe ne peut nous l’apporter : ce sera d’abord l’affaire des Etats et des territoires.

Drieu Godefridi : En aucune façon. La radicalité de ‘Fit for 55’, emmené par le charmant commissaire européen Frans Timmermans, n’est tenable que pour autant que les citoyens entrent dans un processus écologiste de décroissance, donc de régression collective, en remplaçant un grand nombre d’aspects de la vie moderne non par ‘autre chose’ mais par rien du tout. Ce que les idéologues écologistes nomment ‘sobriété’, aimable cache-sexe de la précarité. La décroissance et le maintien de la chape de plomb écologiste ne sont concevables que si l’on suspend dans la durée les mécanismes démocratiques. Vous aurez noté qu’un nombre grandissant d’intellectuels écologistes, en écho aux pères fondateurs de l’écologisme contemporaine Hans Jonas qui prônait la dictature écologiste ‘bienveillante’ et Paul Ehrlich qui prônait la stérilisation forcée de l’humanité, ne se gênent plus pour prôner en effet de briser la démocratie pour que triomphe l’écologisme

Drieu Godefridi (PhD Sorbonne, essayiste, auteur) vient de publier "Du fédéralisme au communisme ?: Le carnage belge expliqué à un ami européen" aux éditions Texquis.

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