Panama Papers : la finance (offshore) c'est l'ennemie, mais de quoi doit-on vraiment avoir peur au-delà des fantasmes sur un univers opaque ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Panama Papers : de quoi doit-on vraiment avoir peur ?
Panama Papers : de quoi doit-on vraiment avoir peur ?
©Reuters

État des forces en présence

Le scandale des "Panama papers" relance une nouvelle fois les débats sur la finance. Reste à savoir ce qui représente une véritable menace.

Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

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Atlantico : Alors que depuis la crise de 2008, la finance mondiale connaît une période de forte défiance de la part des populations, notamment au travers de mouvements de types Occupy Wall Street, ou de déclarations telles que "Mon ennemi c'est la finance", le scandale des "Panama Papers" vient ternir à nouveau cette image. Comment faire la part des choses, entre une vision conspirationniste d'une finance qui gouvernerait nos vies, et une prise de conscience du pouvoir réel de la finance mondiale ?

Bernard Marois : C'est une discussion assez idéologique. J'aimerais repartir de faits concrets. De tous temps, il y a eu des principes d'optimisation fiscale. C'est-à-dire placer ses revenues ou ses actifs dans des pays où la fiscalité est moins forte, voire parfois nulle. Ce sont des pays à fiscalité privilégiée. De là découle deux choses. La première :  déclare-t-on ces flux ? C'est une chose importante, car si ce n'est pas le cas, il y a fraude fiscale. Le deuxième point est de savoir si on est résident ou non de ces paradis fiscaux. Si on l'est, on a tout à fait le droit d'avoir des comptes dans ces paradis. Si on est non-résident, ça implique quand même de payer des impôts dans le pays d'origine à partir de déclaration que l'on ferait. 

De là découle plusieurs choses. Des pays, même minuscules, avec des superficies très faibles ont choisi les avantages fiscaux comme élément de leur avantage comparatif. On pense à Panama. Mais on pense aussi aux îles Caïmans, au Liechtenstein, etc. Pour eux, c'est une arme qui leur permet d'accueillir des flux. La question qui se pose est celle d'une harmonisation fiscale au niveau mondial, qui est très difficile à obtenir et pour laquelle les Etats n'ont pas forcément les mêmes objectifs. 

Ensuite, dans la mesure où il y a des flux non déclarés, on entre dans un système de fraude. Du point de vue d'un citoyen moyen, ce sont des actes délictueux, qui ont en plus une forte connotation de tricherie. De plus, comme il s'agit de transactions réalisées par des individus aisés, pour ne pas dire riches, cela paraît scandaleux. Donc il est clair que c'est un sujet qui ne peut déclencher d'un point de vue moral que la réprobation universelle. Mais quand il s'agit de le limiter ou de l'empêcher, alors on retombe sur ce dont je parlais. Il y a des conflits de lois. D'un point de vue juridique, il y a ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Dans un système mondial, avec libre circulation des capitaux, n'importe qui peut ouvrir un compte n'importe où. Mais il a l'obligation d'en faire la déclaration, ce qui permet aux autorités de vérifier si les fonds sont licites ou sont tirés d'un blanchiment d'argent. Nous entrons ensuite dans un système de collusion ou le paradis fiscal ferme les yeux, car c'est dans son intérêt. Le pays d'origine se retrouve lui lésé. Dans le cas de la zone euro, l'Irlande avait gardé l'autorisation de garder une fiscalité dérogatoire, avec un impôt sur les sociétés de seulement 12,5%. 

Le problème est que dans une économie mondialisée, le poids de la finance est probablement plus important que dans des économies préindustrielles. Il est ensuite difficile de distinguer les activités qui participent au financement de l'économie réelle et celles qui sont purement spéculatives, car ces deux domaines s'interpénètrent. Par exemple, nous parlons beaucoup des produits dérivés. Au départ, leur objectif était d'offrir une garantie aux entreprises contre les risques de change, les risques de taux d'intérêt ou même les risques climatiques. Mais pour que ce système puisse marcher, il faut une autre contrepartie, qui se met de l'autre côté de la barrière afin de réaliser un gain spéculatif. 


S'agit-t-il d'un combat qui mérite réellement d'être mené ? Les gains à tirer d'une "victoire" contre la finance permettraient ils de résoudre les crises que connaissent nos sociétés ? Dans quelles proportions ?

Je crois que c'est de la démagogie pure et dure. La finance est un outil indispensable pour le développement économique, qui de par sa nature génère des disfonctionnements et des activités spéculatives. Il est difficile de séparer les deux. Ce que nous pouvons faire, c'est augmenter les contre-pouvoirs. Ces derniers peuvent être une meilleure régulation, des consensus entre les Etats pour imposer des contraintes, pour éviter que la spéculation se développe trop et dévore le reste. Mais dire : "Mon ennemi c'est la finance", c'est débile. Ce qu'on peut dire, c'est que les opérations spéculatives sont néfastes. Il est cependant difficile de les retrancher, car tout est inter-relié. Je crois qu'il existe deux solutions pour limiter les effets néfastes de la finance. La première, c'est un peu plus de coopération interétatique. C'est très difficile, car les Etats n'ont pas les mêmes intérêts. Mais ce n'est pas impossible, par exemple cela a été fait avec la Suisse, pour que les Etats autours ne soient pas trop défavorisés et elle n'y perde pas. La seconde voie, c'est d'aller vers une meilleure connaissance des mécanismes, et les "Panama papers" y contribuent, tout comme la révélation des flux. 

Entre une absence de volonté commune de lutter contre la finance, l'existence d'une compétition entre Etats pour attirer le maximum de fonds, les profits des plus grandes sociétés mondiales placées au sein de paradis fiscaux, le trading haute fréquence, le lobbying, ce combat est-il vain ?

Les solutions ne peuvent être que des solutions de négociations interétatiques. Nous l'avons vu avec l'Irlande, qui a gardé ses avantages à l'issus d'une négociation au sein de la zone euro. De même le Luxemburg a fait l'objet de négociations, qui ont permis d'établir que leur législation ne sera pas modifiée. Evidemment, c'est un sujet évolutif. Nous pouvons revenir sur certains accords que nous trouvons excessif. Mais cela ne peut que faire l'objet de négociations entre des partenaires. Je pense que pratiquer l'ostracisme envers ces Etats serait difficile à obtenir. Il y a beaucoup de paradis fiscaux qui sont des Etats, en général minuscules, qui dépendaient de la Grande-Bretagne. C'est elle qui a favorisé ces paradis fiscaux. Les Etats-Unis ont un paradis fiscal chez eux, qui s'appelle le Delaware. Les grands Etats ont contribué à l'émergence des paradis fiscaux. Ce ne sont pas que des décisions qui sont venues de Panama, des îles Caïmans, etc. S'il n'y avait pas eu une certaine acceptation tacite des grands Etats, les paradis fiscaux auraient eu beaucoup plus de mal à apparaître. Nous pouvons toujours faire de grandes jérémiades et nous indigner. Mais c'est démagogique et cela ne résout rien. Le problème est très complexe et très technique. D'autant plus que les opérations peuvent se réaliser maintenant très vite, grâce à internet. 

Comment opérer une distinction entre les combats qui méritent réellement d'attirer l'attention des dirigeants politiques et ceux qui pourraient relever d'un excès de zèle ? Certaines pratiques financières, pouvant paraître douteuses aux yeux de la population, sont-elles finalement nécessaires ?

Si nous voulons être pragmatiques, il faut revenir aux deux angles d'attaque que j'ai défini. Le Panama est un Etat, nous pouvons donc négocier avec lui et peut-être obtenir qu'il restreigne les flux illicites. La deuxième voie, c'est de pouvoir avoir une meilleure information sur ces flux. Cela peut se faire en créant des contre-pouvoirs. Nous avons vu cette association de journaux qui ont obtenu au niveau mondial des révélations. Les lanceurs d'alertes sont utiles. La troisième voie, que je n'ai pas mentionnée, est réglementaire. Plus vous avez dans un Etat des contraintes qui brident l'activité des gens et des entreprises, plus ceux-ci auront tendance à extraire leur valeur ajoutée de ce pays. C'est pour cela qu'avoir une politique fiscale vue par certains comme un "matraquage" incite les acteurs économiques à y échapper. Il faut donc que les Etats aient des politiques fiscales intelligentes, je ne suis pas certain que ça soit le cas en France depuis quelques années.

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