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Outre les Mélenchonistes et les Macronistes, n’y a-t-il rien ?
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Bipolarité

En score cumulé, les deux leaders n'ont obtenu que 44% des votes à l'élection présidentielle. Mais ils sont bien seuls sur la scène médiatique aujourd'hui.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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C’est la question qui se pose aujourd’hui, au regard des manifestations et plus encore des interventions médiatiques. Voix contre votes : les Mélenchonistes captivent radios et télévisions, les Macronistes votent les lois et endossent les critiques. La situation n’est plus celle du théorème de Malraux, « entre les Communistes et les Gaullistes, il n’y a rien ». Il définissait les deux grands mouvements politiques d’alors, dotés d’idéologies différentes et plus encore de bases sociales conséquentes et contrastées. En caricaturant, le Communisme venait du marxisme et des ouvriers, avec l’URSS en arrière-plan proche, le Gaullisme d’un national-libéralisme et des classes moyennes, avec les Etats-Unis en arrière-plan plus lointain. Entre ces deux groupes, économiques, sociaux et idéologiques, il y avait peu de place, et moins encore aux deux extrêmes, gauche et surtout droite. Le théorème de Malraux s’est vérifié jusqu’en 1981.

Cette bipolarisation a disparu, laissant place à l’éclatement social actuel : 76% des Français travaillent dans le tertiaire, avec une très grande variété d’activités et de compétences, 14% dans l’industrie et 3% dans l’agriculture. Sans compter le processus de privatisation du secteur public. Les jeunes peuvent toujours entrer dans des emplois « classiques », CDD puis CDI, bien sûr, mais de plus en plus créent leur propre activité, avec l’explosion du nombre d’autoentrepreneurs, graphistes, codeurs ou Uberistes. Un éparpillement des activités est en cours, avec des carrières hachées, volontairement ou non, des phases de chômage et de changements de métiers, de secteurs, de régions. On peut vouloir des emplois à durée dite indéterminée (CDI), en pensant qu’elle sera très longue, avec plans de formation et de carrière à l’appui, mais ils sont de plus en plus difficiles à obtenir d’emblée.

Car la France se mondialise à vitesse accélérée. Après l’Union européenne, elle entre, avec François Mitterrand, dans l’euro, pour « peser face à l’Allemagne » (!). On sait ce qu’il en fut, pour une économie avec un tissu productif plus faible, une mentalité inflationniste et qui ne pouvait plus dévaluer. Faute de réformes, la dette publique, le déficit extérieur et le chômage furent les ajustements, le symétrique de l’Allemagne. D’un côté, les catégories intermédiaires et les villes moyennes voient leurs difficultés croître, avec les PME et TPE, plus la crise de l’agriculture. De l’autre côté, les entreprises industrielles voient leur importance dépérir, nombre de centres de décision passer à l’étranger, plus des vagues de privatisations. Les bases communistes et gaullistes se défont, avec des interrogations économiques et stratégiques permanentes sur la compétitivité et l’emploi, sur l’ouverture, l’Europe, l’euro. Elles continuent de tarauder le parti communiste, les mouvances gaullistes, le parti socialiste et les deux extrêmes.

Face à cet éclatement, le « social-libéralisme macronien » ne propose pas une synthèse centriste, mais plutôt une voie contradictoire. C’est le « en même temps » ou encore la « transformation ». Il s’agit ainsi, avec cette démarche, de renforcer le tissu des PME, avec aussi plus de fluidité et d’indépendance par rapport aux appareils syndicaux anciens. C’est pourquoi, aussi, il s’agit de rebattre les cartes de l’enrichissement par la rente immobilière et l’assurance vie en obligations publiques, pour pousser à la prise de risque, avec la fin de l’ISF finance. C’est pourquoi les retraités aisés seront mis à contribution, pour financer la baisse des charges sociales. Les impôts devront baisser et les structures publiques régionales devenir plus efficaces. En même temps, l’Etat vendra ses participations pour soutenir l’innovation, avec des efforts redoublés dans la formation. 

Face à ces dynamiques multiples, complexes et pour partie contradictoires, tous les Français sont touchés. Il est difficile à chacun de concevoir sa situation future, s’il peut souhaiter une croissance graduellement plus forte (mais de combien et où ?), et plus d’emploi (mais lequel ?). Le social-libéralisme macronien donne une image qu’on peut souhaiter globalement meilleure, mais qui reste individuellement floue. Il propose une dialectique sociale et idéologique qui ne peut avoir la cohérence du communisme ou du gaullisme en leur temps. Mais ce temps n’est plus.

« Disruption » en économie et « dégagisme » en politique : les partis traditionnels ont largement perdu leurs bases sociales et leurs repères. La « courbe en J », qui a été longtemps la métaphore de la réforme : plus pénible au début pour être mieux ensuite, a bien changé. Le cas américain montre le temps nécessaire pour se reprendre, avec un plein emploi qui donne la moitié de la croissance antérieure, et au bout de huit ans ! Le cas espagnol montre la profonde entaille de la crise, même si les nouveaux venus pourront bénéficier des « nouveaux emplois ». L’Italie est toujours dans le marasme. Les gaullistes sont réduits et fractionnés, les communistes et les socialistes aussi, tout comme l’extrême droite. L’éparpillement des situations et le poids des contraintes, l’internationalisation, l’Europe (on le voit avec le Brexit) et l’euro, sans oublier l’écologie et les divers groupes de pression, réduisent, au moins jusqu’à présent, la possibilité de programmes alternatifs, face au social-libéralisme macronien.

C’est pourquoi le Méclenchonisme est si puissant, lié essentiellement à la « réduction des inégalités », facteur commun des revendications. On suppose qu’il passe par la réduction des écarts salariaux dans les entreprises, par l’écrasement des pyramides de décision et une montée de la fiscalité sur les « hauts revenus » et les « gros patrimoines ». Avec quelles conséquences ? Il est plus du domaine de la protestation, on le voit contre les Ordonnances et le « coup d’état social », que de la proposition d’un plan d’ensemble, chiffré et cohérent (au moins pour l’heure).

Le théorème de Malraux a vécu, c’était celui de la reconstruction d’après-guerre. Le déséquilibre actuel entre la stratégie sociale-libérale macronienne et l’extrémisme social méchenchonien est instable. Il traduit les conditions de l’entrée de la France dans l’économie mondiale de l’information : créations et destructions. Le programme macronien est contradictoire ou attrape-tout, comme on voudra, à moins qu’il ne reflète la déconstruction-reconstruction actuelle. Il a l’avantage de couvrir très large par rapport aux stratégies classiques. Elles se cherchent depuis la Présidentielle, en même temps qu’elles cherchent leurs bases sociales. Pendant ce temps, le Méclenchonisme donne de la voix. 

Outre les Mélenchonistes, avec un programme surtout protestataire, et les Macronistes, avec un programme transformateur mais encore incomplet et flou, il n’y a donc rien. Mais la reprise, lente, va faire naître de nouvelles organisations. Un mouvement d’un an a détruit des partis de cinquante, mais l’histoire n’est pas finie. En économie, elle s’écrira avec les nouveaux emplois et les nouveaux réseaux sociaux, productifs et informatifs. Pas facile. En politique, elle devra donner de la voix et récupérer les votes autour d’un nouveau programme, classique, ou d’une nouvelle dialectique « à la Macron ». Moins facile encore.

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