Oui, une coopération entre les hôtels et Airbnb est possible… Mais pas sans cadre légal<!-- --> | Atlantico.fr
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La bonne santé du secteur du tourisme cache les difficultés auxquelles sont confrontés les hôteliers. Au deuxième trimestre 2016, la fréquentation touristique des hôtels français, calculée en nuitées, a accusé un repli de -4,8% par rapport à 2015.
La bonne santé du secteur du tourisme cache les difficultés auxquelles sont confrontés les hôteliers. Au deuxième trimestre 2016, la fréquentation touristique des hôtels français, calculée en nuitées, a accusé un repli de -4,8% par rapport à 2015.
©Flickr

Pas les mêmes règles du jeu

Alors qu'au deuxième trimestre 2016 la fréquentation touristique des hôtels français a accusé un repli de -4,8%, les hôteliers se remettent en question. Ils font preuve d'innovation. Ils améliorent sans cesse l'accueil, les attentions pour leurs clients. Mais leurs efforts sont peu de chose face à la concurrence déloyale qu'ils subissent de la part des locations en ligne.

Pierre Salles

Pierre Salles

Pierre Salles est un hôtelier de 58 ans. Il est le c​o-fondateur de HES, une société de gestion et de distribution hôtelière. De 2012 à 2015, il​ était Président de la coopérative des hôtels Best Western en France. Depuis 2005, il est Président du Conseil de surveillance de l'école hôtelière de Glion-sur-Montreux, l'une des plus prestigieuses formations hôtelières au monde.

 
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Dans la tempête, le bateau "destination France" tient le cap. Contre vents et marées, l'Hexagone reste le pays le plus visité au monde, avec plus de 84 millions de touristes étrangers en 2015. En termes de recettes, la France se situe au troisième rang mondial, avec plus de 43 milliards d'euros dégagés en 2015. Des touristes qui consomment : ils ont dépensé, l'année dernière, plus de 158 milliards d'euros dans notre pays, contribuant ainsi à 7,4% de notre PIB. En d'autres termes, le secteur du tourisme en France se porte bien. Malgré les attentats, malgré l'état d'urgence et ses contraintes, malgré la féroce concurrence internationale, les touristes internationaux continuent de privilégier la destination France. On peut et on doit s'en féliciter. Mais on aurait tort de se satisfaire d'un tel panorama qui, lorsque l'on en observe les détails, révèle des résultats en trompe-l'œil.

Au-delà des premiers chiffres…

La bonne santé du secteur du tourisme cache les difficultés auxquelles sont confrontés les hôteliers. Au deuxième trimestre 2016, la fréquentation touristique des hôtels français, calculée en termes de nuitées, a accusé un repli de -4,8% par rapport à la même période en 2015. La saison estivale a confirmé cette tendance, avec un recul de -2,5% et même -12,7% en région parisienne. Pour le seul mois d'août, la fréquentation touristique des hôtels franciliens a baissé de -19,6% par rapport à l'année précédente, et même -23,7% pour les visiteurs étrangers. Une hémorragie de près d'un quart des clients habituels des hôtels. Enfin, si elle s'atténue, la baisse de la fréquentation se poursuit au troisième trimestre (-1,6%). Les hôteliers d'Ile-de-France sont confrontés aux mêmes problématiques que l'ensemble du secteur : la menace terroriste et les indispensables mesures sécuritaires découragent, à n'en pas douter, une partie de leur clientèle habituelle. Mais les hôteliers sont confrontés à un autre type de menace : la concurrence des locations "sauvages", ces appartements que l'on retrouve par milliers sur différentes plateformes, bien connues des internautes.

À Paris intra-muros, on estime qu'il y aurait pas moins de 75 000 chambres et appartements proposés sur le seul site d'Airbnb. Si l'on prend en compte les autres plateformes "communautaires", le nombre d'hébergements proposés par des particuliers parisiens doit certainement approcher, voire dépasser, les 85 000 chambres d'hôtel des professionnels du secteur. On comprend mieux, dès lors, pourquoi, alors que le tourisme résiste en France, les hôtels franciliens accusent des baisses de l'ordre de 10% à 20% de leur fréquentation. Baisses de fréquentation qui se traduisent, immanquablement, par des baisses de recettes. En moyenne, ces dernières ont chuté de 20% depuis deux ans. Il est à noter que ce phénomène avait débuté bien avant la série d'attaques terroristes qui ont ensanglanté Paris. Preuve, s'il en fallait, et bien qu'il soit impossible de déterminer qui de la menace sécuritaire ou des locations sauvages coûte le plus aux hôteliers, que le phénomène Airbnb joue un rôle non négligeable dans la fragilisation de tout un secteur économique.

Moins de clients, moins de recettes, ce qui signifie également, pour les professionnels du secteur hôtelier, moins de recrutements, voire des licenciements. En tant que responsable d'un hôtel parisien, j'ai personnellement renoncé à remplacer le départ d'un de mes salariés, affecté à la réception des clients. Tous mes homologues vivent la même situation. Nous observons tous, depuis la porte de nos établissements respectifs, ces familles et ces touristes étrangers qui, avant, venaient chez nous et, désormais, vont et viennent, valise à la main, dans les immeubles d'habitation de notre quartier. Et nous savons ce que recherche cette clientèle : le prix.

Les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde…

Les hôteliers se remettent en question. Ils font des efforts, ils font preuve d'innovation. Ils améliorent sans cesse l'accueil, les attentions pour leurs clients. Mais leurs efforts sont peu de chose face à la concurrence déloyale qu'ils subissent de la part des locations en ligne. Comment aligner le prix de nos chambres sur celui d'appartements entiers, quand nous sommes soumis à des contraintes – réglementaires, sociales, fiscales, d'accessibilité, de sécurité – que nous sommes les seuls à nous voir imposer ? Il ne viendrait à personne l'idée de critiquer les mesures mises en place par l'État pour protéger les citoyens – et les touristes étrangers – des risques d'attentats. Mais les autorités publiques ont également le devoir de faire appliquer la loi, et d'organiser les conditions d'une concurrence juste et équitable entre les différents acteurs.

Non seulement les locations en lignes ne respectent-elles pas les mêmes règles que le secteur de l'hôtellerie professionnelle, mais encore les bénéfices ainsi réalisés ne sont-ils pas fiscalisés – à l'inverse des hôteliers, qui sont taxés au premier euro. De plus, on est en droit de s'interroger sur le respect de la limite, fixée par la loi, des 120 jours maximum pendant lesquels un logement peut être proposé à la location sur Internet. Comment s'assure-t-on que les locataires qui mettent ces annonces en ligne ont bien reçu l'assentiment – obligatoire – de leur propriétaire ? La mairie de Paris, avec les quelques dizaines d'agents qu'elle a missionnés, se donne-t-elle les moyens concrets de contrôler que les 75 000 logements mis en ligne sur la capitale respectent les règles ? Je pense également à la loi sur une République numérique, dont les décrets d'application sont en train d'être finalisés. Il faut que ses dispositions soient respectées à la lettre. Enfin, je m'interroge sur la pertinence des amendements proposés au projet de Loi de Finances pour 2017 et sur celle du plafond de 23 000 euros à partir duquel les revenus des locations sauvages pourraient être fiscalisés. 23 000 euros par an, ce n'est plus un revenu d'appoint ! Lorsque l'on dégage de tels bénéfices, on se doit de respecter les mêmes contraintes que les professionnels du secteur.

Ne nous méprenons pas : en ces temps difficiles, il est tout à fait légitime, pour les Français et les Franciliens, de vouloir compléter leurs revenus, d'arrondir leurs fins de mois. De même, personne ne regrette le temps, pas si lointain, où le moindre événement sportif ou congrès d'importance contraignait les clients à réserver une chambre à Chartres, Orléans ou Blois pour cause de saturation des capacités hôtelières parisiennes. Ma conviction est qu'il y a une place pour une coopération juste et équitable, une cohabitation durable et pérenne, entre les hôteliers et les offres en ligne des particuliers. Il faut définir des règles, et se donner les moyens de les appliquer. La qualité de vie de nos immeubles, de nos voisinages et de nos quartiers est à ce prix.

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