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Oubliez le Brexit : l’Europe va devoir affronter son octobre rouge
©REUTERS / Yves Herman

En voiture Simone

En Hongrie comme en Italie, deux référendums se préparent. Le premier concerne des quotas de migrants ; le second une réforme constitutionnelle. Dans les deux cas, le débat sur l'Europe n'est pas très loin... de même en Autriche où l'élection présidentielle pourrait se jouer très différemment. Autant de dossier brûlants qui attendent l'Union cet automne.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Entre l'organisation de deux référendums, en Hongrie et en Italie ; une nouvelle élection présidentielle en Autriche, le Brexit à gérer et une nouvelle hausse des taux d'intérêts en Grèce, comment évaluer le degré de dangerosité de cette coordination d'événements au sein d'un ensemble d'ores et déjà fortement fragilisé ? Quelles pourraient être les conséquences de ces différents événements ? 

Christophe Bouillaud : Les différents éléments de la "polycrise" que vit l’Union européenne se jouent dans le cadre de la vie politique de chaque Etat. Que ce soit en Hongrie, en Autriche, en Italie ou même en Grèce, tout indique en réalité que la vie politique ordinaire suit son cours. En Autriche, nul ne peut dire quelle sera l’attitude des électeurs face à cette nouvelle élection présidentielle, ne serait-ce parce que l’offre de candidats ne sera sans doute pas la même. Rien ne dit en réalité que le candidat de l’extrême droite doive être élu, et le serait-il que ce ne serait pas la fin du monde, vu le rôle constitutionnel du Président dans ce pays. En Hongrie, le référendum peut avoir un résultat moins univoque que celui qu’entend provoquer celui qui l’a convoqué, à savoir Viktor Orban. Ce dernier s’est d’ailleurs déclaré ces derniers jours inquiet pour l’Union européenne, et il peut être amené à ne pas jeter de l’huile sur le feu en l’annulant finalement, puisque de toute façon la "route des Balkans" est fermée de fait aux réfugiés. En Italie, Matteo Renzi fera tout pour gagner son référendum. Cela se voit déjà dans son attitude dans l’affaire des banques italiennes. Mais, s’il échoue à cette épreuve qu’il s’est lui-même imposé et s’il doit du coup quitter la scène, je parierais que la majorité des députés et sénateurs élus en 2013 auront à cœur de lui trouver un remplaçant pour continuer à siéger au nom de la "responsabilité" encore jusqu’en 2018, afin d’éviter des élections anticipées qui favoriseraient le M5S. Quant à la Grèce, certes, vu le traitement de médecins de Molière que l’UE lui inflige depuis 2010, son économie n’est pas prête de se redresser, mais où sont les forces politiques capables de renverser la table, de faire quitter à la Grèce la "cage de fer" d’une zone Euro qui fonctionne à son détriment ? Les néo-nazis d’Aube Dorée, avec leur 7% des voix aux dernières élections. Les communistes du KKE, complètement bloqué autour de 5%. Les néo-communistes d’Unité populaire, avec leur moins de 3% aux dernières élections. A chaque fois, dans chaque pays, cela va sans doute mal du point de vue économique, social ou culturel, mais pas au point de porter aux affaires, tout au moins dans l’immédiat, des forces révolutionnaires anti-européennes, comme en son temps le furent les nationalistes baltes dans l’URSS mourante ou les nationalistes croates, slovènes, etc. dans la Yougoslavie agonisante. Il suffit de regarder de l’autre côté de la Manche : les Conservateurs britanniques viennent de se choisir un Premier ministre, Theresa May, qui leur garantit de tout changer dans la relation du Royaume-Uni avec l’Europe pour que rien ne change dans la relation du Royaume-Uni avec l’Europe. 

Par contre, à plus long terme, l’Union européenne perd en légitimité, surtout à mon avis auprès des intellectuels, qu’ils soient de droite ou de gauche d’ailleurs. Les sondages d’opinion sont en fait plus favorables à l’UE que ce qu’on peut lire désormais sous presque toutes les plumes un peu critiques. Les défauts de cette Union européenne sont en effet tellement visibles à un esprit un peu éclairé qu’il devient impossible de défendre le statu quo. Il suffit de voir toutes les réactions auxquelles a donné lieu le "Brexit" : personne à ma connaissance parmi ceux qui réfléchissent par profession n’a dit qu’il ne fallait rien changer. L’Union européenne n’est plus qu’un état de fait, mais ne peut plus être présenté comme la réalisation d’un "rêve européen", au mieux, l’ "européisme réel" se voit créditer d’un "bilan globalement positif", façon d’avouer que cela va plutôt mal au total. 

Dans quelle mesure les autorités européennes prennent-elles en compte réellement l'ampleur du problème ? Les européens ne sont-ils pas enfermés dans une logique de réaction à chaque épisode de crise ne permettant pas de faire face à un phénomène global ? 

Face à cette perte de légitimité, à mon avis plus forte auprès des gens qui réfléchissent par profession qu’auprès des sondés ordinaires, les dirigeants européens et nationaux donnent effectivement l’impression de ne faire que réagir au coup par coup. C’est certes la logique même de la vie politique de réagir aux événements. Cependant, la crise de l’Union européenne est ouverte au moins depuis la "Déclaration de Laeken" en 2001 qui prend acte que les institutions européenne pêchent en termes de démocratie. Or tout a montré ensuite une incapacité totale à avancer sur ce point. On a même complètement régressé avec le rôle donné à l’Eurogroupe, réunion informelle des ministres des Finances de la zone Euro, depuis 2010. L’Union européenne a aussi piétiné ses propres valeurs de progrès social si l’on regarde ce qu’elle a encouragé dans la plupart des pays soumis à des politiques d’austérité. 

Probablement, certains dirigeants nationaux et européens se rendent compte que tout cela ne va pas. Jean-Claude Juncker dans ses discours sur l’état de l’Union le dit d’ailleurs fortement. Mais aucun d’entre eux ne peut imposer vraiment sa vision aux autres, et les visions sont en plus fortement divergentes. Les dirigeants nationaux sont dépendants d’une histoire nationale qui fait voir le monde d’une certaine façon, et cela d’autant plus que la crise économique a frappé de façon très différenciée les pays : quoi de commun entre la Suède et le Portugal ou entre la Luxembourg et la Bulgarie ? Cet effet de prisme national n’est pas compensé par l’existence d’une idéologie à visée sociale vraiment partagée par les dirigeants nationaux : le ciment chrétien-démocrate est désormais évanescent, comme l’est le "christianisme social", et le ciment socialiste l’est tout autant. Les seuls à avoir encore une idéologie qui transcende un peu les nations, ce sont d’une part les écologistes et les néo-communistes, mais ils sont complètement minoritaires à l’échelle de l’UE, et paradoxalement, d’autre part, tous les nationalistes qui s’unissent dans la détestation de l’UE et font ainsi taire leurs querelles historiques. 

Quels sont encore les points permettant d'espérer en une régénérescence du projet européen ? Les institutions en ont -elles réellement les ressources ?

Je ne suis pas un grand spécialiste en matière d’espoir comme le savent mes étudiants… Au risque de choquer certains lecteurs, je soupçonne toutefois que les forces qui peuvent sauver le projet européen sont celles qui auraient le plus à perdre dans son effondrement, à savoir les grandes firmes européennes et américaines. Aujourd’hui, en effet, l’Union européenne, c’est vraiment open bar pour les multinationales. Entre la concurrence fiscale, le dumping social, l’absence d’une politique industrielle européenne et le contrôle des réglementations via une Commission européenne pour le moins complaisante, l’Union européenne leur apporte des bénéfices très conséquents. Barroso, ancien Président de la Commission européenne pendant 10 ans, qui finit employé chez le banquier d’affaires Goldman Sachs, c’est comme un symbole de cette prééminence des multinationales dans le grand jeu de l’UE. Maintenant, si les multinationales veulent sauver la poule aux œufs d’or que représente pour elles l’Union européenne, il ne leur reste plus qu’à baisser leurs prétentions, et à promouvoir des politiques plus inclusives pour les citoyens européens. Et à y bien regarder, cela a déjà commencé : où en serait l’Union européenne si M. Draghi, un homme aux vastes horizons, n’avait pas sauvé l’Euro en 2012 de la folie "ordo-libérale" des dirigeants allemands ? Ce sauvetage peut donc se faire dans le cadre des institutions existantes. Il suffit de le vouloir politiquement. Bien sûr, des institutions réellement plus démocratiques aideraient à un tel mouvement de rééquilibrage en faveur des citoyens ordinaires, mais, vu l’état actuel de l’opinion publique en Europe, ces réformes, comme celles promues par le mouvement Diem25 de Y. Varoufakis ou par T. Piketty, sont pour partie complètement irréalisables. 

Propos recueillis par Vincent Nahan

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