Obsédés par l'extrême droite... mais de quoi les socialistes parlent-ils vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Depuis le début des années 1980, l'extrême droite vue par le PS, c'est tout simplement le Front national."
"Depuis le début des années 1980, l'extrême droite vue par le PS, c'est tout simplement le Front national."
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Epouvantail

La lutte contre l'extrême droite sera un des thèmes majeurs de l'université d'été du PS à La Rochelle. Un choix qui relève surtout de la volonté de fédérer et de la stratégie politique, tant le terme "extrême droite" est à géométrie variable.

Thomas Guénolé et Bertrand Rothé

Thomas Guénolé et Bertrand Rothé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Il publie "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First.

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur De l'abandon au mépris - comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière aux éditions du Seuil.

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur de Lebrac, trois mois de prison (2009) et co-auteur de Il n’y a pas d’alternative. (Trente ans de propagande économique).
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homas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Il publie "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First
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homas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Il publie "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First
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Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Il publie "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First (sortie le 6 juin).
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Atlantico : Le Parti socialiste a choisi comme principal thème de travail pour son université d'été la mobilisation contre l'extrême droite. Alors que la France connaît toujours de sérieuses difficultés économiques, et que les mois à venir s'annoncent chargés avec la question de la fiscalité et des retraites, comment analyser ce choix ? Le PS botte-t-il en touche pour éviter les problèmes qui fâchent ?

Thomas Guénolé : Quand un parti est au pouvoir, l’essentiel du message politique est diffusé par l’Elysée, Matignon, et les membres du gouvernement, lorsque ce n’est pas par les parlementaires. Les thèmes disponibles pour le parti sans faire doublon avec ces émetteurs prioritaires sont donc peu nombreux. Dans ce contexte, il est logique que le parti n’ait choisi aucun des thèmes sur lequel communiquent déjà ces émetteurs prioritaires. Cela posé, la mobilisation contre l’extrême droite est alors un bon choix : c’est un marqueur de gauche de très longue date, très fédérateur dans tout l’électorat socialiste. En outre, dans un parti qui à force de victoires aux élections locales ressemble par certains aspects à une coopérative d’élus locaux, l’enjeu de l’endiguement de l’extrême droite est crucial pour les plans de carrière en vue des élections municipales et européennes.

Bertrand Rothé : Il est évident que le Parti socialiste botte en touche. Je pense que c'est la seule stratégie qui leur reste pour remobiliser leurs troupes. Il y a un parallèle intéressant dans le comportement des organisations qui ressemble à celui des individus, c'est de répéter tout le temps les mêmes stratégies. Le PS fait la même chose en usant de ce chantage à l'extrême droite, notamment parce qu'il n'ont aucune alternative. 

D'ailleurs, jouer sur l’extrême droite est une stratégie qui a pour l'instant fonctionné pour le PS, depuis l'origine de son instrumentalisation par François Mitterrand. L'histoire leur donne même raison : quand ont-ils échoué sur ce positionnement ? Peut-être y a-t-il aujourd'hui une partie de l'électorat qui décroche sur ce chantage, mais il s'agit d'un discours maîtrisé, et qui fonctionne encore bien auprès d'une certaine partie de l'électorat.

Le terme "extrême droite" reste souvent vague et le PS ne nomme pas précisément ceux qu'il identifie ainsi. Classiquement, pour le PS, qui est "l'extrême droite" ? Quels sont concrètement les positionnements politiques qui font, selon les sympathisants du PS, que l'on "mérite" ce qualificatif et comment cela a-t-il évolué ?

Thomas Guénolé : Classiquement, depuis le début des années 1980, l’extrême droite vue par le PS, c’est tout simplement le Front national. C’est aussi, pour un parti dont nombre de cadres ont débuté à l’UNEF, la somme des groupuscules de l’ultradroite – le mouvement étudiant GUD, le Bloc identitaire, etc. – et les médias pureplayer de même obédience comme Fdesouche ou Riposte laïque. C’est enfin l’aile de l’UMP que le PS accuse de "droitisation" : en d’autres termes la frange de l’UMP qui adhère à la ligne Buisson. Personnellement, je considère que le terme "droitisation" est inapproprié. Il y a plusieurs droites, de sorte qu’une droitisation par davantage de gaullisme n’a rien à voir avec une droitisation par davantage de libéralisme économique. Le terme approprié, d’un point de vue logique, est "frontisation" ou "lepénisation" : donc, par extension, "droite frontisée" ou "droite lepénisée".

Bertrand Rothé : Grosso modo, je pense que ce terme d’extrême droite est surtout utilisé par le PS pour envoyer ses militants dans les quartiers populaires pour rappeler que ne pas voter PS cela "fera le jeu du Front national" dans l’espoir de mobiliser. D’ailleurs, cela devient même très compliqué à définir ce qu’est l’extrême droite pour eux depuis que des électeurs socialistes commencent, de manière significative, à voter pour le Front national au deuxième tour des élections, quand le PS est éliminé. Je pense que le Parti socialiste ne réfléchit même pas vraiment à ce qu’est précisément l’extrême droite aujourd’hui. Le Front de gauche aussi d’ailleurs. Ces partis ont souvent une vraie incapacité à penser précisément l’électorat du Front national. La représentation que les élites ont du FN ne démontre pas une grande réflexion. Quand on constate les travaux des universitaires qui travaillent là-dessus, on voit même que leur perception est complètement erronée, avec notamment le sentiment d’une surreprésentation du monde ouvrier qui est fausse.

Si je me mets dans la tête d’un cadre du Parti socialiste je ne me poserais même pas toute ces questions. La réalité, c’est que le Front national ça fait encore peur, il faut donc en profiter car c’est tout ce qu’il reste pour faire voter PS.  

Que signifie cet intérêt – voire cette obsession – qu'a le PS à propos de l'extrême droite alors même que la majorité de l'opinion publique française, et même de l'électorat PS, a d'autres préoccupations politiques ?

Thomas Guénolé : C’est tout le paysage politique, médiatique, intellectuel et électoral français qui est obsédé par l’extrême droite, et ce, depuis sa résurgence il y a trente ans. Tout à la fois, le FN passionne, inquiète et révolte, c’est un fait : exception faite, bien sûr, des électeurs qui le soutiennent, minoritairement par adhésion de fond, majoritairement par vote-sanction contre les partis de gouvernement. Je pense que cette obsession collective vient du fait que le FN remplit dans le paysage politique la fonction d’expression de ce qui peut exister de pire en chacun de nous : la haine de l’autre et le dégoût de soi. Le FN nous fascinerait donc parce que ce qui nous répugne en lui existe en fait en chacun de nous.

Bertrand Rothé : C’est là que l’on mesure le décalage entre les élites du Parti socialiste et la base. Et plus généralement même, entre les élites politiques et la réalité quotidienne des gens. Il faut aussi se pencher un peu sur la formation des élites politiques, celles qui durant leur cursus étudient le "marketing politique" Qu’apprennent-elles ? Ce qui fonctionne empiriquement. Et le constat c’est que le vote Front national reste quelque chose de déstabilisant, qui dans certains univers a encore une signification lourde. Certaines personnes par exemple vont ainsi prétendre "qu’elles ne connaissent aucun électeur du Front national" alors que statistiquement, on en connaît nécessairement un car c’est un vote qui devient important, mais qui est parfois caché car il reste très stigmatisant. Mais il faut faire attention car un moment donné les stratégies finissent par s’épuiser…  

En terme de stratégie politique, quel usage fait le Parti socialiste de son positionnement de vigilance permanente sur la question de l'extrême droite ? Qu'est-ce que cela lui rapporte dans l'arène politique ?

Thomas Guénolé : Dans un premier temps, le PS y avait un intérêt tactique. À l’époque du premier mandat présidentiel de François Mitterrand, ce dernier a ordonné la surexposition médiatique de Jean-Marie Le Pen, à l’époque dirigeant d’un simple groupuscule. Il a par ailleurs fait monter en épingle le clivage entre le racisme du FN et l’antiracisme préempté par une association satellite du PS, SOS-Racisme. Enfin, il a fait adopter une réforme du scrutin législatif pour que la proportionnelle départementale donne des sièges au FN à l’Assemblée nationale. Bref, si Jean-Marie Le Pen fut le père géniteur du Front national, François Mitterrand en fut le père nourricier. L’intérêt tactique était de rendre plus difficile à la droite de l’emporter au second tour, nationalement ou localement, du fait d’un grand écart permanent pour rallier l’électorat FN et l’électorat de centre-droit. En 1988, c’est grâce à cette manœuvre que François Mitterrand a battu Jacques Chirac à plate couture au second tour de l’élection présidentielle. Plus tard, en 1997, c’est grâce aux triangulaires gauche-droite-FN que Lionel Jospin est devenu Premier ministre. 

Dans un deuxième temps, la manœuvre s’est retournée contre le PS. Le 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen est qualifié au second tour de l’élection présidentielle au détriment de Lionel Jospin, sous le double impact d’une dispersion excessive des candidatures à gauche et d’une montée spectaculaire de l’abstention. L’intérêt tactique pour le PS est donc nul.

Dans un troisième temps, depuis le 21 avril 2002, si le PS garde une vigilance anti-extrême droite, c’est principalement par habitude. Ce n’est pas, comme du temps de François Mitterrand, pour créer un parti destiné à mettre la droite en difficulté, puisque de nos jours, le FN met aussi en difficulté la gauche. On peut émettre l’hypothèse qu’Harlem Désir ait lui-même choisi ce thème parce que, depuis le temps de SOS-Racisme, c’est l’un des rares thèmes pour lesquels il a une légitimité militante de longue date.

Cela étant, si demain la majorité socialiste se décide à acter que toute élection se joue en deux tours, et que pour tout second tour, ne peuvent se maintenir que les deux candidats ou listes en tête du premier, alors, la question du FN est réglée. Une telle réforme passerait sans difficulté à l'Assemblée, grâce à l'abstention prévisible de l'UMP par calcul électoral.

Bertrand Rothé : Le PS fait usage de cette stratégie tout simplement parce que les socialistes espèrent que cela va encore fonctionner ! Le gène du Parti socialiste, c’est agiter la peur de l’extrême droite et du Front national pour se faire élire. En 2014, il y a des élections municipales et des élections européennes, et le Parti socialiste pense que cette stratégie peut être encore gagnante. Pourquoi le ferait-il sinon ? D’ailleurs, imaginons que les socialistes soient vraiment persuadés qu’il y a une montée de l’extrême droite en France. Et bien cela voudrait dire que dès la fin du congrès de La Rochelle, ils vont changer de politique car ils sont vraiment préoccupés par la situation française. Bien sûr, si tout ceci n’est que de la stratégie politique, ils ne vont rien faire, et vont continuer à utiliserr la peur de l’extrême droite qui fonctionne encore dans certains milieux. Le Parti socialiste en tout cas ne renoncera pas à cette stratégie.   

Propos recueillis par Damien Durand

A lire également, de l'auteur Thomas Guénolé :  "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?", Thomas Guénolé, (First éditions), 2013, 16,90 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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