Objectif 3% de déficit : les prévisions du gouvernement sont-elles crédibles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls et Pierre Moscovici.
Manuel Valls et Pierre Moscovici.
©REUTERS/Philippe Wojazer

Mais que cherchent-ils vraiment ?

Le Haut conseil aux finances publiques rendra ce mercredi 23 avril un premier avis sur les prévisions économiques associées au "programme de stabilité" que le gouvernement Valls souhaite adopter pour corriger la trajectoire des finances publiques de la France.

Bertrand  Rothé

Bertrand Rothé

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur de Lebrac, trois mois de prison (2009) et co-auteur de Il n’y a pas d’alternative. (Trente ans de propagande économique).

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Atlantico : En toile de fond de la remise du premier avis du Haut Conseil aux finances publiques sur les prévisions économiques du gouvernement, le débat portera sur la capacité de la France à remplir ses objectifs de réduction du déficit à 3% d'ici 2015 alors que Bruxelles a refusé d'accorder un nouveau délai à Paris. En l'état, les anticipations budgétaires du gouvernement sont-elles crédibles ?

Bertrand Rothé : Je pense que la question ne se pose pas comme cela, nous sommes aujourd’hui devant deux alternatives.

La première est d’accepter la mondialisation avec toutes ses conséquences positives et négatives. Et n’oublions pas qu’il y a eu et qu’il y a des conséquences positives à la mondialisation, et pas uniquement pour les multinationales. Nous en avons profité depuis trente ans en tant que consommateurs. Certains prix ont baissé. Nous pouvons trouver des jeans à dix euros chez Carrefour, voire beaucoup moins chers que cela. Pour les grandes marques, même si les prix n’ont pas baissé, les coûts de production ont été réduits quasi à zéro. Les prix de Free s’expliquent en partie par la délocalisation des centres d’appels. Dans une usine Nike le coût de production nous est facturé sensiblement 1 ou 2 euros, le reste c’est de la com et du marketing - entre autres les salaires des footballers professionnels. La contrepartie de cette consommation bon marché, ce sont les délocalisations. Les industries et de plus en plus les services ont fermé les unes après les autres, et nos déficits se sont creusés. Déficit commercial d’abord, mais aussi déficit budgétaire, conséquence de ces délocalisations et du chômage qui s’en est suivi. Maintenant il faut payer, et rééquilibrer ces deux budgets en réduisant le coût du travail, pour se rapprocher sensiblement des coûts de production des pays émergents.

La seconde est d’apprivoiser cette mondialisation, pour respecter les modèles que chaque société a choisi plutôt que de nous mettre en concurrence les uns contre les autres. Notre modèle social coûte cher, c’est indéniable. Certains ont sonné du tocsin il y a très longtemps. Par exemple, à la fin des années 1980 Alain Lipietz proposait de rééquilibrer le coût du travail et le coût de la protection sociale par une augmentation des tarifs douaniers, avec comme objectif de créer une vraie concurrence libre et non faussée qui tienne compte des choix de société des uns et des autres. L’idée était d’autant plus intéressante qu’elle proposait de reverser aux pays importateurs les revenus de ces barrières à l’entrée. Cette stratégie rééquilibrerait les finances publiques mais aurait un coût ; il faudrait payer plus cher nos jeans, nos brosses à dent, le petit électroménager…

Manuel Valls a promis depuis son arrivée à Matignon de trouver 50 milliards d'euros pour soulager les caisses de l'Etat. Un tel chiffre est-il suffisant pour tenir les objectifs de la Commission européenne ?

Je ne crois pas que ce soit suffisant et cela pour deux raisons. La première est celle du bon sens. Si l’objectif du gouvernement était de réduire les déficits publics, il favoriserait d’abord la croissance, et si la croissance revenue n’était pas suffisante il réduirait, alors et seulement alors, la dépense publique. Or en réduisant très sensiblement la demande de l’Etat et des collectivités publiques en période de croissance atone, il étouffe toute reprise, avec en prime un effet boule de neige. Les spécialistes annoncent déjà qu’il va falloir trouver 30 milliards d’euros d’économies supplémentaires, et je prends le pari que ce ne sera pas suffisant… Le gouvernement n’ignore pas le phénomène. Même le très libéral FMI tire la sonnette d’alarme. François Hollande ne peut l’ignorer. En 2011 réagissant à un plan d’économie de 7 milliards d’euros proposé par François Fillon, il parlait des conséquences de ces réductions sur la croissance, « voire même l’austérité va conduire à la récession, dans quelques mois… on sera obligé de prendre d’autres dispositions. »Valls, Hollande et Sapin ont donc un objectif plus ambitieux que celui de l’équilibre budgétaire. A travers cette réduction des dépenses de la protection sociale, à travers le soutien qu’ils apportent au traité de libre échange avec les EU et surtout les appels de Lamy pour réduire le SMIC ils tombent le masque et nous disent quels sont leurs véritables objectifs, celui de la réduction à terme du coût du travail. Ils acceptent cette mondialisation.  

Etant donné le climat politique actuel et la faible popularité du président, de telles mesures d'économies sont-elles sérieusement envisageables sans déclencher une fronde ?

Comme vous l’avez compris, j’ai l’intuition qu’aujourd’hui le clivage se fait autour de la mondialisation. La classe ouvrière est contre, elle a pris de plein fouet les délocalisations. C’est elle qui souffre le plus du chômage. Elle le fait savoir maladroitement en ralliant progressivement le FN. Le développement de ce parti sur les terres socialistes et communistes l’atteste. C’est le seul parti qui annonce clairement son refus de la mondialisation. Mais cette classe sociale est tellement disqualifiée socialement qu’elle ne se révoltera pas.

Le vrai danger pour le gouvernement est qu’un groupe social plus réactif rejoigne les ouvriers. La vraie question est : que se passera-t-il quand un gouvernement touchera aux salaires de la fonction publique ?  

De tels engagements placés sous le signe de la rigueur semblent être d'autant plus complexes maintenant que François Hollande a renouvelé ses engagements de faire baisser le chômage d'ici 2017. Peut-on sérieusement envisager qu'il puisse à la fois lutter contre le chômage et réduire les dépenses publiques dans le même temps ?

Pour lutter contre le chômage dans le cadre d’une mondialisation acceptée le seul moyen est de baisser le coût du travail, ils s’y attellent donc, le train de vie de l’Etat va diminuer, le SMIC va baisser, les prestations sociales se réduire... La doxa libérale est claire, lorsque l’on aura réduit sensiblement le SMIC, que l’on forcera les gens à accepter n’importe quel travail, le chômage va se réduire. François Hollande le croit, de nombreux économistes aussi, Manuel Valls pense la même chose…

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