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Nos démocraties sont-elles malades de ces hommes politiques qui se prennent de plus en plus pour des personnages de House of Cards?
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Cameron Gove Johnson

Les stéréotypes de politiciens manipulateurs et cyniques attirent autant qu'ils repoussent. La preuve en est fournie par le succès de séries comme "Game of Thrones" ou "House of Cards". De quoi donner des idées à certaines personnalités politiques de notre quotidien...

Harry Bos

Harry Bos

D’origine néerlandaise, Harry Bos vit et travaille depuis 25 ans en France en tant que programmateur et promoteur du cinéma de son pays natal. Il écrit régulièrement des articles sur le cinéma et des productions télévisuelles, en se focalisant en général sur leurs aspects politiques. 

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Atlantico : Plusieurs séries de fiction que suivent des millions de personnes actuellement à la télévision ou sur Internet, telles que House of Cards ou Game of Thrones, mettent en scène des politiciens cyniques et capables de tout pour arriver à leurs fins. La fiction est-elle si loin de la réalité dans les faits ? Quels éléments de ces fictions retrouve-t-on dans l'actualité récente de la vie politique occidentale ?

Harry BosCe dont vous voulez parler, c'est la relation passionnante entre politique et fiction télévisuelle, sa véracité et même ses qualités prémonitoires. Il est vrai que dans House of Cards, la série politique la plus puissante jamais réalisée, la manière dont le pouvoir est exercé par le couple présidentiel Underwood est poussée très très loin.

La série Game of Thrones en revanche, bien que basée sur un conflit historique entre deux familles royales se disputant l’Angleterre médiévale - la guerre des Deux-Roses - n’a pas grand-chose à voir avec une série politique. Elle appartient bien plus au genre "fantasy", tout comme Le Seigneur des anneaux, adapté au cinéma par Peter Jackson.

Avant House of Cards, "remake" d’une série de la BBC des années 1990, on avait déjà vu d’autres séries politiques sur Washington, notamment West Wing (1999-2006). Ici, on suit la vie quotidienne d’une administration démocrate, d’ailleurs assez surprenant, car la série est tournée en pleine période Bush – certains observateurs parlent d’ailleurs de "Left Wing" car l’orientation politique semble apparente. West Wing est néanmoins considéré comme le portrait leplus réaliste de la vie politique américaine à Washington. La série n’a surtout rien de ce ton sombre et désillusionné qu’a House of Cards. Il y a eu donc un changement de perceptionde la vie politique depuis 20 ans, et qui se reflète aussi dans les séries politiques en France, comme le très médiocre Marseille (2016) ou l’excellent Baron noir (2016), qui s’inspire de la vie de l’homme politique Julien Dray.

House of Cards est-elle une série vraiment réaliste ? Je ne le crois pas. Elle exprime une hypothèse, une probabilité, à partir d’une analyse de la situation actuelle de la vie politique à Washington. Car aujourd’hui, le pouvoir exécutif démocrate est totalement bloqué par un Congrès républicain dominé par les adhérents au Tea Party, un Congrès prêt à tout pour bloquer les propositions venant de la Maison-Blanche. Dans ce contexte, les créateurs de House of Cards, dont Beau Willimon, le scénariste, ont voulu imaginer une figure capable de briser ce blocage, simplement en ne respectant pas les règles du jeu. Frank Underwood ment, il manipule, il tue même, tout en se confiant directement au spectateur. Par ces actes, il dépasse régulièrement ce que j’appelle le seuil de fictionnalisation. C’est un personnage de théâtre, voire un personnage shakespearien, un Richard III en quelque sorte, qui annonce au spectateur tout ce qu’il fait. Sa règle est d’ailleurs : aller juste un pas plus loin que les autres afin de réussir, et il est rejoint ici par sa femme Claire, sa Lady Macbeth.

Pourtant, le personnage d’Underwood n’est pas une invention pure. Dans mon article sur la 4e saison de House of Cards, publié dans Atlantico en mars, j'ai soulevé que Beau Willimon a puisé dans la réalité pour son personnage, mais pas dans la réalité d'aujourd'hui. Son exemple est Lyndon B. Johnson, président qui a succédé à John F. Kennedy en 1963, l'homme de la "Great Society" qui devait notamment changer la vie de la population noire mais qui a également plongé le pays dans la guerre de Viet-Nâm. Un personnage assez sinistre qui avait une réputation de magouilleur et de corrompu. On croit même qu'il était au courant du projet d'assassinat de Kennedy.

Il est d’ailleurs frappant de voir que certains éléments qui dominent la politique américaine aujourd’hui sont totalement absents dans House of Cards. On ne parle nulle part de l’indépendance énergétique du pays aujourd’hui, grâce au gaz de schiste. Pire, les Etats-Unis traversent une terrible crise énergétique au début du mandat du président Underwood. ce qui paraît à peine crédible compte tenu la situation réelle du pays. Et il y a bien sûr l’absence d’un personnage populiste comme Trump qui va représenter le camp républicain lors de la prochaine élection présidentielle. Il est sans doute arrivé trop tard pour être "utilisé" dans la série. Au lieu de ce personnage iconoclaste et excessif, le candidat républicain dans House of Cards est un pur produit de l’élite de la côte Est, jeune, beau et surtout démuni de toute conviction politique. Belle invention de scénario mais pas du tout en phase avec la situation réelle des républicains américains.

Qu'est-ce qui explique l'émergence de ces politiciens n'ayant plus aucun sens de l'Etat mais dont le seul moteur semble être une ambition sans limites ?

Harry BosJe ne sais pas si on peut dire qu’un personnage comme Underwood n’a aucun sens de l’Etat. C’est un brigand, mais aussi un véritable réformateur. C’est n’est pas quelqu’un qui veut le pouvoir uniquement pour le pouvoir. Il veut créer des emplois, résoudre les conflits internationaux, ses idées politiques apparaissent souvent justes et modérées. Ce n’est pas un Donald Trump, ce n’est pas un populiste. Seulement, sa méthode de mettre en œuvre ses idées est totalement non-orthodoxe. Il contourne même la loi, ce qui est terrible pour un Américain très attaché au respect strict de la législation.

Underwood est bien moins cynique que d’autres présidents que la télévision et le cinéma américains ont imaginé. Que faut-il penser par exemple du président Richmond dans le film Les pleins pouvoirs de Clint Eastwood (1997), dont le seul but est de garder le pouvoir, coûte que coûte ? Il s’agit certes d’un film de genre, mais Gene Hackman en président paraît bien plus diabolique et cynique qu’Underwood. 

Dans quelle mesure le système des primaires, préalables aux élections présidentielles, nourrit-il cette dérive, aux Etats-Unis mais aussi en France ? Quelles en sont les illustrations les plus éloquentes ?

Harry BosEn France, le système des primaires est nouveau – certains disent même qu’il est instrumentalisé par les leaders des deux grands partis – et il est trop tôt pour en tirer des conclusions. Aux Etats-Unis, les primaires existent déjà depuis longtemps et ceux qui participent doivent disposer de sommes astronomiques pour y participer. En plus, le Congrès connaît des élections "mid-terms", deux ans après l’élection présidentielle, quand la moitié du Congrès est réélu. Résultat : les hommes et femmes politiques américains sont en permanence en campagne, ce qui rend l’exercice du pouvoir – législatif et exécutif – très compliqué. A cela s’ajoute le désintérêt des Américains pour une élection autre que la présidentielle ; les minorités ne votent, par exemple, que pour le scrutin présidentiel. D’où un Congrès ultra réactionnaire qui ne reflète nullement l’électorat du pays et qui refuse toute collaboration avec l’administration démocrate. Cette situation est nouvelle et inquiétante. Rappelons-nous qu'à l’époque du double mandat de Ronald Reagan dans les années 1980, le Congrès était démocrate. Le gouvernement républicain parvenait pourtant, en général, à trouver un terrain d’entente avec les parlementaires grâce aux compromis.

Ce qui est grave pour l’état dans lequel se trouve l’Amérique aujourd’hui, selon les créateurs de la série, est qu’un personnage comme Underwood est non seulement possible mais paraît presque nécessaire. Ce qui constitue un terrible manque de confiance en la démocratie telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.

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