Nord Stream 2 : ce gaz russe pour lequel l’Allemagne est prête à tout (y compris piétiner les intérêts de ses alliés)<!-- --> | Atlantico.fr
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Un élément du projet Nord Stream 2, photographié en septembre 2020 au nord de l'Allemagne.
Un élément du projet Nord Stream 2, photographié en septembre 2020 au nord de l'Allemagne.
©Odd ANDERSEN / AFP

Realpolitik

Les tensions diplomatiques sont au plus fort entre la Russie et l'Union européenne. Mais l'Allemagne n'a aucune volonté de mettre en pause le projet Nord Stream 2, qui accentuera sa dépendance énergétique envers la Russie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Les tensions diplomatiques se poursuivent entre lUE, à commencer par Berlin, et la Russie dans le cadre des discussions sur laffaire Alexeï Navalny. Pourtant, le projet Nord Stream 2 semble hors de la table des sanctions. Pourquoi lAllemagne tient-elle autant à ce projet ? Quel intét stratégique présente-t-il réellement ?

Michael Lambert : L'accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011 a débouché sur la proposition de fermeture de l’ensembledes centrales nucléaires allemandes par la chancelière Angela Merkel d’ici 2020-2021, invitant les États fédéraux à développer les énergies renouvelables, tout en accentuant la dépendance du pays aux hydrocarbures en provenant de l’étranger, notamment de la Russie. Dans ce contexte, le projet Nord Stream 2, qui consiste en deux lignes de gazoduc longeant la première existante depuis 2005, est une opportunité pour Berlin qui souhaite intensifier ses relations commerciales avec Moscou tout en assurant l’arrêt de son parc nucléaire. Cet ambitieux projet est stratégique car ilpourrait entraîner, dans les prochaines années, une dépendance entre Berlin et Moscou.

Le nouveau gazoduc sous-marin devrait avoir une capacité de 55 milliards de mètres cubes pour un coût estimé à 8 milliards d'euros, dont la moitié sera financée par Gazprom et cinq entreprises européennes (chacune contribuant à hauteur de 950 millions d’euros). À son arrivée, le gaz devra être comprimé à 200 bars avant d'être transporté vers l’Allemagne et l’ensemble du marché européen. Gazprom pourrait ainsi répondre à la demande croissante de gaz en Union européenne, estimée à 120 milliards de mètres cubes supplémentaires d'ici 2035. L’avenir énergétique de l’Allemagne, mais aussi de ses partenaires dépend donc de celui-ci alors même que les tensions diplomatiques avec le Kremlin ne cessent de s’accentuer.

Les travaux du gazoduc Nord Stream 2, qui ont débuté en avril 2018, ont ensuite été interrompus en décembre 2019 en raison des tensions avec la Russie et des sanctions américaines, divisant l'opinion publique et les experts allemands.

Dans ce contexte, certains spécialistes estiment que l'interruption de Nord Stream 2 permettrait de sanctionner Moscou pour ses récentes actions allant à l'encontre des droits de l'homme, notamment dans le cas d'Alexei Navalny. Cette opinion n'est pas partagée par d'autres qui considèrent, à l'inverse, qu'interrompre le projet reviendrait à inciter la Russie à se detacher du reste de l’Europe et à accentuer les relations avec Beijing comme ce fut le cas lors de embargos suite a la crise en Ukraine (2014 - ).

Pour le Bundesministerium für Wirtschaft und Energie (ministère fédéral de l'économie ou BMWi), la décision de fermer les centrales nucléaires, si elle devait donner lieu à une dynamique de transition énergétique, peine encore à se faire sentir à ce jour, ce qui explique l’importance de Nord Stream 2. Berlin reste donc dépendante des combustibles fossiles, en particulier du charbon polluant, mais aussi du gaz en provenance de Russie pour couvrir ses besoins en électricité. Se priver du projet signifierait une augmentation des coûts énergétiques au moment où les premiers véhicules électriques commencent à sortir des usines allemandes.

Les États-Unis s'irritent de la construction du pipeline Nord Stream 2 entre le continent Européen et la Russie et plusieurs dirigeants européens ont fait savoir quun arrêt de la construction du pipeline serait un signe fort à envoyer à la Russie. LAllemagne est-elle prête à se brouiller avec ses proches alliés sur ce dossier ?

Dans les domaines énergétique et économique, l'Allemagne est prête à entrer en conflit avec ses partenaires européens, d’autant plus avec la crise économique qui découle de la Covid-19. À titre d’exemple, les obligations Corona ont été discutées le 26 mars 2020 lors d'une réunion du Conseil européen, mais l'Allemagne et les Pays-Bas ont exclu l'émission de ces obligations.

Il est probable que Berlin cède sur d'autres points avec les Etats-Unis et ses partenaires européens pour préserver Nord Stream 2, pour préserver les intérêts de l’économie nationale. À cela s’ajoute le fait que le projet participe au développement de Greifswald dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale (ex-Allemagne de l'Est), une région qui s'est à peine remise de la guerre froide et où les emplois qui découlent du secteur énergétique sont prioritaires. En 2020, ce Land est le moins industrialisé du pays et présente toujours le taux de chômage le plus élevé d'Allemagne, avec 12,7 %.

Est-ce lintét allemand ou lintét européen quelle défend ?

Les intérêts nationaux.

Certains craignent que lUkraine soit laissée pour compte, Angela Merkel a assuré de son côté quelle bénéficierait bien du gaz russe. Son engagement est-il solide ?

C'est un risque majeur et c'est la raison pour laquelle le projet Nord Stream 2 est si important pour Berlin et les citoyens, car il leur permettra de bénéficier du gaz russe sans avoir à se soucier des tensions entre l'Ukraine et la Russie qui peuvent conduire à un approvisionnement chaotique. Nord Stream pourrait permettreau Kremlind’interrompre les approvisionnements en Ukraine, qui peine a payer sa dette auprès de Gazprom, tout en conservant les avantages financiers de la vente des hydrocarbures en Allemagne.

LAllemagne pourrait-elle trouver une solution médiane qui satisferait tout le monde ?

Cette option semble peu probable à l'heure actuelle. La transition vers les véhicules électriques alors que la production d'énergie renouvelables représente 15 à 20 % des besoins nationaux (source: Ministère fédéral des affaires économiques et de l'énergie (BMWi) en décembre 2016) laisse à penser que le pays dépendra davantage des approvisionnements étrangers à l’avenir, sauf a revenir sur la décision de fermer les centrales nucléaires allemandes.

Berlin doit égalementparvenir a maintenir son statut de puissance industrielle alors que la construction automobile est la branche d'activité économique qui domine.

In fine, il y aura des concessions avec les alliés en Europe et en Amérique du Nord, mais la décision de se passer du nucléaire en 2011 pèse encore sur le pays a ce jour, et ce malgré les efforts pour se passer des combustibles fossiles. On estime que les emplois allemands dans les énergies renouvelables en 2012-2013 étaient d'environ 370 000. En outre, selon une enquête nationale réalisée en 2017 pour l'Agence allemande pour les énergies renouvelables, sur 1016 personnes interrogées, 95 % sont favorables à une expansion accrue des énergies renouvelables.

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