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Noël de pandémie : et au fait, voilà les questions que se posaient les Français en 1918 pendant la deuxième vague de la grippe espagnole
©JOEL SAGET / AFP

Il y a un siècle

Avec le spectre de la grippe espagnole, quel était le contexte des fêtes de Noël en 1918 pour les Français, à l'opposé de l'ambiance que l'on connait en cette année 2020 avec la pandémie de Covid-19 ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le Noël de 1918 n'était pas celui de 2020 mais la situation épidémique de l’époque peut se rapprocher de celle que nous connaissons actuellement avec la grippe espagnole. Fin de la guerre, épidémie, crise économique, quelles étaient les préoccupations des français en cette fin d’année 1918 ? 

Edouard Husson : Il me semble que la situation de Noël 1918 est en grande partie à l’opposé de ce que nous connaissons actuellement. Nous vivons en paix depuis des décennies, et c’est ce qui nous a fait surréagir au Covid 19. Les hommes de 1918, eux, sortaient de quatre ans de la guerre (à l’époque) la plus terrible de l’histoire et ils ont sous-estimé une épidémie qui est la plus terrible de l’histoire des virus grippaux. Les estimations concernant la mortalité de la grippe espagnole ne sont pas unanimes. Mais le nombre de morts dûs à la grippe espagnole est au moins vingt fois supérieur à la mortalité du Covid 19. Il est vrai qu’à Noël 1918 on n’avait pas eu le plus dur de la grippe espagnole, qui se déploie en 1919. Mais on sait aujourd’hui que la grippe a été vécue comme une continuation de la catastrophe de la guerre. Il est bien vrai que les organismes affaiblis des Européens étaient particulièrement vulnérables au virus. Cependant, ce qui dominait à la fin de la guerre, c’était le soulagement que les combats soient finis, le deuil des morts au combat, la fierté de la société française qui avait tenu le choc le plus terrible de son histoire. 

La pandémie a-t-elle empêché les Français de célébrer Noël ? Certaines traditions ont-elles été bousculées ?

Regardez les clichés photographiques de l’époque. Vous verrez les églises pleines. La croyance et la pratique religieuse étaient beaucoup plus présentes qu’aujourd’hui. Les familles se retrouvaient. Il y avait l’immense soulagement de savoir que l’hécatombe était finie. Les responsables politiques pensaient au règlement de paix à venir. Je voudrais insister sur la différence essentielle, tellement évidente, entre 1918 et 2020: les Français avaient fait la guerre. Le fait qu’Emmanuel Macron ait pu prendre la pose en chef de guerre au printemps montre son manque de culture et son dilettantisme. Le magazine américain Time a titré sur le fait que 2020 était l’année la plus terrible de l’histoire. Cela en dit long sur la perte d’expérience - l’Europe de l’Ouest n’a plus connu de guerre sur son territoire depuis 75 ans - et la perte de transmission, aussi. La fin 1918 est celle du recueillement. C’est le moment où l’on commence à réfléchir à la meilleure manière d’honorer les morts au combat. Tout le contraire de la sinistre année 2020 où le Premier ministre Edouard Philippe a pensé interdire l’assistance aux enterrements et où un certain nombre de responsables l’Eglise catholique sont entrés dans ce que le pape Jean-Paul II appelait la « culture de mort » en acceptant que les personnes soient privées de l’assistance à la messe, que les baptêmes et les mariages soient repoussés et que les personnes âgées soient, au moins en partie, coupées de l’accès au sacrement des malades. 

Aux Etats-Unis, certains articles de presse font état qu’il existait déjà des anti-masques notamment parmi les commerçants qui pensaient que les masques effraient les clients. Business as usual ?

Ce qui est intéressant dans les documents d’époque, c’est effectivement le port généralisé du masque. On le voit aux Etats-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Italie, pour les photos que j’ai pu consulter. Bien entendu, les hommes de l’époque avaient une réaction instinctive: le masque risque de détruire la vie sociale. A contrario, je suis étonné de voir à quelle vitesse nous avons accepté, avec les « gestes barrière » - une expression qui dit beaucoup plus que ce que nous entendons superficiellement - la perte rapide de la vie sociale. A vrai dire, il y avait une seule précaution essentielle à prendre: se laver régulièrement les mains. Tout le reste est gesticulation et conduit à nier ce qui fait l’homme et la société: établir et conserver la bonne proximité et la bonne distance entre les individus. Nous nous retrouvons dans la situation grotesque où un. Président de la République attrape non seulement le virus et en tombe malade (l’un ne menait pas forcément à l’autre, faut-il le rappeler) mais déclare que c’est étonnant car il a respecté tous les « gestes barrière ».  Pour nos ancêtres il y a un siècle, qui sortaient de la guerre, rien ne pouvait s’opposer au fait d’être à nouveau ensemble après quatre ans de guerre atroce.  

Les Français avaient-ils confiance en l’avenir ? Et étaient-ils aussi critiques que nous envers leurs dirigeants dans la façon de gérer l’épidémie ?

Encore une fois, ne déplaçons pas le centre de gravité. Les soldats avaient côtoyé la mort au quotidien pendant quatre ans. Les femmes avaient vécu dans l’angoisse de ne pas voir leur mari revenir; les parents avaient redouté de voir leur fils disparaître avant eux. Les hommes revenaient au foyer en gardant pour eux une partie de l’horreur qu’ils avaient vécue. C’était cela l’étalon en 1918. La grippe était vue comme une queue de comète de la guerre, elle contribuait à resserrer encore plus vite les liens sociaux et familiaux, non à les distendre comme aujourd’hui. 

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