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Le romancier Patrick Besson.
Le romancier Patrick Besson.
©Pascal Ito / Flammarion

Atlantico Litterati

Auteur d’une centaine de livres, Patrick Besson publie « Nice-Ville » (Flammarion). Un guide du lieu qu’il chérit et le portrait de la femme de sa vie. Salvateur, disponible, et sans effets secondaires.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

« Je me dirige vers l’avenue Félix Faure au milieu des piétons. Le tramway se profile. Son petit klaxon en deux temps dont je me demande s’il n’exaspère pas les riverains. C’est devenu, avec celui des vagues, le bruit de Nice  »note Patrick Besson dans « Nice-Ville. Il y a toujours eu du Modiano dans sa littérature. Le passé revisité rend chagrins les écrivains. « Nice-Ville »   affiche le processus inverse : le passé ? Peu importe. Nous n’avons que cette vie sur terre. Vivons.Surtout lorsque par chance nous sommes à Nice. Nice, perle de cette Riviera que le monde nous envie ; Nice certes fermée, figée, prisonnière de la pandémie, cet autre nom de la mort, mais Nice qui renaitra demain, comme bat ce cœur qui est le nôtre dans l’amour en ses débuts puisque « L’amour dure trois ans », disait Sagan ( c’est aussi l’avis de Frédéric Beigbeder ).A Nice, Cajarc, sans oublier la Normandie, l’auteure de « Bonjour Tristesse » n’était pas certaine de la durée ; elle croyait plutôt aux instants miraculeux. Ce n’est pas parce que tout passe et tout lasse que nous n’avons pas le droit de frémir quand l’Autre survient, car pensait Sagan dans chacun de ses livres, l’amour avait beau être éphémère, il était le sel de la terre, le paradis retrouvé. Ce pourquoi « Nice-Ville », roman sentimental et fragmentaire, semble vibrer d’une manière si particulière. Déguisé en guide touristique paré des bonnes adresses, des sites à explorer, avec la liste des Niçois qui comptent ( et ces adresses où le visiteur peut les rencontrer, en général à la « Petite Maison », « théâtre le midi et cinéma le soir. Le Nice intellectuel bourgeois y déjeune et y dînent les grosses fortunes de la région. Les serveurs minces en noir sont des danseurs. Nicole Rubi, la propriétaire, arrive un peu après le début du service, avec un visage lointain dont les yeux voient tout. Elle se déplace d’une table à l’autre avec un sourire d’enfant ne s’amusant qu’à moitié. Elle semble toujours émue, surtout par la politique »)Nice-Ville inspire à Patrick Besson ses meilleurs pages.« Au final je ne suis pas niçois, et c’est peut être ça qui me fait autant aimer la ville », dit –il dans une interview.L’auteur ajoute : « Le besoin de Nice (..)aura occupé, avec d’autres petites manies, les trente dernières années de mon existence insolite (…) J’ai tenté de l’enfermer dans ce livre pour l’avoir toujours sur moi » . Autant de pages radieuses consacrées à Nice et ses arts de vivre l’amour. « Tous nous sommes le résultat d'une nuit ou d'une après-midi d'amour, ce qui devrait nous mettre de bonne humeur en permanence. Et pourtant non.» constatait hier cet écrivain vaguement morose - Grand Prix de l’Académie Française avec « Dara », Prix Renaudot avec les Braban, aujourd’hui rayonnant. Du coup, et pour la première fois, Patrick Besson se « lâche » (c’est beau) :« Tu t’es baignée à la Mala pour me faire plaisir, puis tu t’es rhabillée sans te sécher et nous avons fui vers Monaco par le chemin des douaniers, évitant le pique-nique de nos amis. Notre dîner au Café de Paris, tes paupières barbouillées de rimmel, ce qui te donnait l’air d’une tuberculeuse affamée. ». Car ce promeneur de l’avenue Félix Faure est devenu un homme amoureux. Métamorphose qu’il doit à sa nouvelle épouse, Anne-Sophie. Ce bonheur, Patrick Besson l’ offre à son lecteur. L’instinct du romancier ne le trahissant pas, Patrick Besson sait qu’il le peut, que dis-je, il le doit : la littérature est à ce prix.« Ma première visite en été 2016 du musée Matisse avec Anne-Sophie mais sansYannis ( le fils d’Anne-Sophie NDLR)avenue du Monastère. Avons ensuite marché dans le parc des Arènes de Cimiez où, lors de ses séjours solitaires à Nice contemporains des miens, Anne-Sophie allait lire, ce que je faisais de mon côté dans mon hôtel. Les chemins des lecteurs ne se croisent pas, sauf accident heureux. »L’auteur s’expose pour la première fois après une centaine d’ouvrages dans lesquels, caché derrière ses personnages, il dissimulait le fait qu’il n’était -peut-être- pas vraiment heureux.Pas comme il l’aurait voulu, en tous cas. Ce détail existentiel, Patrick Besson, en avait- il conscience, d’ailleurs ? Il savait tout ce qu’il sied de savoir afin de lier ses fictions mais quid de sa science de la vie, en particulier sa propre vie ? Patrick Besson avait pourtant tout vu entre Nice et Paris. Les amis surtout intéressés par son influence au Renaudot, les amis -réalisateurs de basses œuvres à la saison des Prix …Tout ce que dans les villes on appelle l’amitié, et qui n’est que le masque des courtisans ou des esclaves. Besson ne se fait pas d’illusions. Pour ce qui est de l’amour, c’est la même chanson. Soit cela sonne faux. Soit la « petite musique » résonne à côté de la plaque. Depuis qu’il a rencontré Anne-Sophie, sa femme, Besson perçoit ce qui lui manquait. Cela arrive une ou deux fois dans une vie.Il se souvient des temps anciens, et des séparations. «Ce soin que nous avons mis, pendant un quart de siècle, à nous éloigner l’un de l’autre. Le moment où, à force de nous écarter, nous ne nous sommes plus vus. Qui a coïncidé avec la rencontre d’Anne- Sophie. Le choix entre une femme avec qui je faisais tout et une autre avec qui je n’avais fait qu’un enfant. Je suis parti à petits pas de la Butte-aux- Cailles qui restera pour moi le quartier d’un bonheur trop conjugal pour en être un ».A ce stade, nous comprenons que « Nice-Ville » cache son jeu. Patrick Besson nous donne certes les clefs d’une des plus belles villes de la terre, mais il en profite pour peindre cette révolution intérieure qu’il doit à Anne-Sophie. « Nous sommes allés si souvent seuls à Nice sans nous connaître que marcher ensemble aujourd’hui dans la ville nous semble un miracle doux et silencieux ».

« Nice –Ville » est donc un guide extrêmement avisé- je dirais même pointu, décalé, branché, ultra-chic de Nice ET la mise en mots de sa passion pour Anne-Sophie :« Les galets que tu as pris sur la plage en novembre 16 et qui nous ont suivis dans notre appartement de la rue des Abbesses ». Patrick Besson demeure toujours aussi pudique malgré ce qui nous est confié. L’intime chez un écrivain n’est pas sa vie privée.« Loin de livrer un secret qui lui préexisterait, l’écriture ne construit-elle pas plutôt un objet inédit ? » affirmait d’ailleurs Roland Barthes.Les voyeurs passeront donc leur chemin.L’homme Besson a pas mal vécu et bien qu’il soit encore et toujours jeune, il sait de quoi il retourne. Il a vu tomber ses amis - fondateurs du Freustié, qu’il a aussitôt quitté ; il a subi les promesses non tenues, les serments révolus, il sait le cœur changeant des hommes. Et le secret des choses qui durent, l’art par exemple, la littérature survivant à ceux qui la font.Au centre de cet univers, il y a donc Nice. « Un repaire métaphysique », précise l’auteur de « Jours intimes » ( 2012/Bartillat), autobiographie  certes sensible, mais n’offrant pas cette plongée dans les émotions et l’inconscient de Besson que « Nice- Ville » accomplit . « Nice Ville », en effet, va beaucoup plus loin. «  Nice-Ville », c’est l’autre nom d’Anne- Sophie. Sous couvert de « tuyaux » de première main sur l’art de vivre à Nice (nous sommes entre artistes de la « french touch » intellectuelle, légendes d’aujourd’hui et/ou de demain, d’où ces portraits Fitzgeraldiens), Patrick Besson cerne le concept de son nouvel essai: Anne-Sophie en est le personnage central . Sans elle, point de souffle à Nice, pas de miracle, rien. En parfait romancier, l’auteur de « Nice-Ville » tient l’amour à distance. Il y a de la noblesse dans ce parler-vrai. Besson caresse son bonheur comme s’il s’agissait d’un chat aventureux que cette douceur assagirait.. « Nice-Ville » est l’un de ses meilleurs livres.. Comme quoi « l’édition est un métier d’intuition » selon Anna Pavlowitch, qui dirige la littérature chez Flammarion, c’est -à -dire tout.

« C’est l’intime qui veut parler en moi, faire entendre son cri face à la généralité (…) » déclara Barthes. Comme s’il avait su que la pandémie allait tenir longtemps Nice prisonnière, Patrick Besson nous montre le chemin ( le moral des français étant au plus bas).Du côté de la vie, il ose combattre avec Eros l’enfer des lits de réanimation . « Je l’ai aimée et n’ai aimé qu’elle, et tout ce qui est arrivé, je l’ai voulu, et n’ayant eu de regard que pour elle, où qu’elle ait été et où que j’aie pu être, dans l’absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes (…)» précise d’ailleurs un autre adepte des textes fragmentaires, Maurice Blanchot.

Un extrait de Nice-Ville : 

Proust à Nice

« Le plus grand problème des lecteurs: on les dérange. Ça énerve les gens de nous voir avec un livre, alors ils nous adressent la parole. J’ai trouvé, il y a une trentaine d’années, la parade : Nice. À Nice, on n’est pas dérangé dans sa lecture. Peut- être y a-t-il eu un décret municipal. Émis par Jean Médecin ? Son fils Jacques ? L’ancien para Peyrat ? Le jeune marié motard Estrosi ?

J’avais mis vingt-sept ans (1967-1994) à finir les sept volumes du second roman du Beauceron, commencés à onze ans sur la ligne 9 du métro parisien et terminés à trente-huit sur la plage de Sörmjöle (Suède). Quand je suis arrivé au Temps retrouvé, j’avais oublié ce qui se passait dans Du côté de chez Swann. Lire Proust une fois dans sa vie, ce n’est pas assez. Il en faut au moins deux : quand on est jeune et quand on est vieux. D’abord on imagine l’existence telle qu’elle est, puis on la retrouve telle qu’elle fut. » Patrick Besson/Copyright Flammarion.

« Nice-Ville » /Patrick Besson/ Flammarion 19 euros

A Lire aussi : Le roman du confinement

Le narrateur de ce roman ultra-court mais d’une profondeur spectaculaire passe sa convalescence chez lui à Ostende. Il a été victime d’une explosion. Accident ? Attentat ?Il semble avoir perdu la mémoire ; pour aller d’une pièce à l’autre, il se promène en fauteuil roulant. Sa femme lui rend visite de temps en temps. Sa seule « sortie » de la journée c’est de regarder la mer, et les promeneurs sur la plage. Sans doute les travaux qui ont lieu dans cet immeuble en face de lui vont -ils devenir dérangeants. Le bruit, la poussière et puis les ouvriers semblentvouloir surélever le bâtiment. Nous tournons les pages et notre propre confinement nous étouffe un peu plus,comme si la solitude pathétique de cet hommeenfermé nous rappelait quelque chose.Par exemple l’absence totale de sorties, de rendez-vous avec des amis dans les cafés,les restaurants. Le narrateur de Jean-Philippe Toussaintreste à sa fenêtre du matin au soir.  « C’est le même paysage que j’ai sous les yeux depuis des mois ».L’homme ne voit personne et ne sort jamais. Jadis, il aimait se promener longtemps sur la plage car le mouvement provoquait «  un glissement spirituel vers l’imaginaire, que je n’avais qu’à accompagner en douceur en suivant le cours inconscient de mes pensées. »

La vie devient un éternel présent. Le narrateur est toujours devant sa fenêtre mais il voit de moins en moins Ostende car « Le niveau du bâtiment monte toujours devant moi, lentement, inexorablement et ma vue se bouche à mesure que la construction prend de la hauteur ». Le narrateur confiné étouffe dans le noir. A lire par tous ceux qui, confinés eux aussi de gré ou de force, se sentent de plus en plus mal : enterrés vivants en quelque sorte ?

Auteur fameux de « La Salle de bains » ( Minuit/poche) et de« L’urgence et la patience » (Minuit/poche), sans oublier sa fameuse série « Faire l’amour », « Fuir », « La vérité sur Marie » « Nue » Jean-Philippe Toussaint est l’un de nos meilleurs écrivains. « Mon horizon se scelle, le paysage disparaît irrémédiablement ».Du grand art en petit format.

La disparition du paysage/Jean-Philippe Toussaint/48 pages/6 euros80

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