Najat Vallaud-Belkacem : "en dépit d’une loi très claire sur les mariages forcés, les drames existent en France, nous ne pouvons les ignorer"<!-- --> | Atlantico.fr
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Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.
Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.
©Reuters

Ce n'est pas une fatalité

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, réagit aux 15 propositions émises cette semaine par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) pour améliorer les droits des femmes étrangères en France, afin de les protéger notamment contre les mariages forcés.

Najat Vallaud-Belkacem

Najat Vallaud-Belkacem

Najat Vallaud-Belkacem est ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement.

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Atlantico : Dans le cadre de votre groupe de travail interministériel vous dénoncez les mariages forcés. Qu'entend-on par mariage forcé ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je ne suis pas là pour dénoncer mais pour agir. Pour les mariages qui ont eu lieu sur notre territoire ou qui impliquent l’un de nos ressortissants, le code civil est clair : il n’y a pas de mariage sans consentement. Dès lors que les futurs époux n’ont pas librement et sincèrement consenti à leur mariage, alors ce mariage est nul, et peut être annulé par le juge. Tout notre défi est de libérer la parole des jeunes filles concernées et de leur assurer une protection efficace. Pour les mariages qui sont intervenus à l’étranger, nous sommes parfois confrontés à des situations beaucoup plus complexes et nous devons repenser notre arsenal. Ce sont des drames humains, des vies déchirées pour les victimes qui les subissent. Le mariage forcé s’inscrit dans le continuum des violences faites aux femmes : lutter contre les mariages forcés, c’est aussi lutter contre les violences conjugales, y compris les viols conjugaux.

La ministre des Français de l'étranger a relayé le chiffre de 70 000 jeunes femmes en France par an qui seraient contraintes à une union. Quels sont les profils de ces jeunes filles qui sont forcées à se marier ? Qui les pousse à ces unions ? Et dans quelles circonstances ?

Les associations témoignent de la grande diversité des femmes, des jeunes filles parfois, contraintes au mariage. 70 000 ? C’est le chiffre retenu par le Haut conseil à l’intégration, à partir des témoignages des associations. Nous n’avons aucune certitude. Leurs histoires sont toutes très différentes. Une responsable nous relatait par exemple le récit de deux sœurs qui partaient en vacances au Mali et qui ont été amenées dans un village pour célébrer leurs mariages, arrangés bien avant leur naissance par leurs parents. Après avoir été violée, l’une des sœurs a pu s’échapper et rejoindre notre consulat pour être rapatriée. Chacune de ces histoires est bouleversante et c’est pourquoi nous prenons ce sujet à bras le corps.

Ces chiffres sont inquiétants, comment expliquer qu'une telle situation perdure en France ? Est-ce lié à l'échec du processus d'intégration ? Par souci de ne pas stigmatiser, a-t-on laissé des situations intolérables perdurer ? 

Gardons-nous des caricatures. Même en dépit d’une loi très claire, les drames existent et traversent notre territoire. Nous ne pouvons les ignorer. Mais tout se joue en amont. Un projet de loi est actuellement présenté au Parlement qui introduit dans notre code pénal un nouveau délit, celui de tromper quelqu’un afin de l’emmener à l’étranger pour lui faire subir un mariage forcé. C’est une avancée très concrète. Au-delà, nous devons mieux informer les potentielles victimes et mieux dissuader, c’est tout l’objet des recommandations qui nous ont été présentées lundi 8 juillet par la CNCDH. Les collaborations entre les services de police, de justice et les services consulaires sont la clef.  C’est le modèle de la Forced Mariage Unit au Royaume-Uni, que j’ai visitée l’année passée et dont nous devons nous inspirer.

Vous avez établi une typologie des situations à risque et des pays à vigilance normale à vigilance renforcée. Qu'en ressort-il ?

Effectivement, avec Hélène Conway-Mouray, nous avons demandé aux consulats d’établir une typologie des situations à risque. Leur travail est très éclairant et permet d’intervenir de façon efficace. La vigilance normale s’applique aux pays où cette situation est peu fréquente et ou la tradition du mariage arrangé subsiste mais se base sur le consentement mutuel des époux : c’est le cas du Cameroun ou de la Thaïlande par exemple. La vigilance renforcée concerne neuf pays dans lesquels les ressortissants touchés par les mariages forcés sont le plus souvent de jeunes femmes mariées de force dans le pays d’origine de leurs parents.

Quelles sont vos propositions pour lutter contre ces pratiques ? Cela passe-t-il par des mesures ciblées ou par une réflexion plus globale sur l'éducation et l'intégration ?  

Comme je vous le disais précédemment, nous avons d’ores et déjà introduit un nouveau délit dans le code pénal pour lutter davantage contre les mariages forcés. Nous travaillons aussi avec les acteurs éducatifs pour faire passer des messages de prévention à l’approche des vacances. Avec les associations sur l’accompagnement des jeunes femmes, leur hébergement lorsqu’elles n’ont d’autre choix que de fuir, etc. La CNCDH nous propose ainsi aussi de mieux informer les femmes sur leurs droits lors des divorces. C’est une suggestion tout à fait intéressante qui va dans le sens de ce que nous avons déjà engagé et que nous allons développer.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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