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Municipales en Turquie : Erdogan a perdu sur son extrême-droite
©OZAN KOSE / AFP

Starfoullah

Les élections municipales qui se sont déroulées ce dimanche en Turquie ont abouti à un revers inédit pour le parti au pouvoir et encore plus pour son maître incontesté, le président Recep Tayyip Erdogan.

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie.

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Celui qui se voyait par avance enfoncer le dernier clou sur le cercueil d’Atatürk pour le centenaire annoncé de la république en 1923 vient de subir un échec cuisant, avec notamment la perte notable des municipalités d’Ankara et sans doute d’Istanbul, le fief de l’ancien gamin de Kasim Pacha qu’il était.

L’analyse la plus directe, la plus commune et la plus crédible de cette déroute attribue le retournement de situation aux performances de plus en plus piteuses de l’AKP en matière économique. Avec une inflation de près de 20%, avec un chômage de 13% - 24% chez les jeunes – et avec une livre turque qui a perdu la moitié de sa valeur face à l’euro en cinq ans, il est vrai que l’heure est à la morosité chez les Turcs et en particulier au sein des couches populaires. Pour beaucoup, cette crise se traduit très prosaïquement par l’impossibilité d’acheter des biens de première nécessité, et on a pu évoquer une « crise de l’oignon » ou de l’aubergine, éléments de base de la cuisine locale.

Confronté à un tel défi systémique – en vérité plus lié à des dynamiques mondiales qu’aux mérites ou aux fautes de la politique économique turque – Erdogan a longtemps usé et abusé de la cavalerie, escomptant les bénéfices de demain pour régler les ardoises d’aujourd’hui. Il s’est également employé à rétribuer symboliquement son électorat par de prestigieux mais dispendieux projets propres à flatter une grandeur ottomane fantasmée : la grande mosquée de Çamlica et le nouvel aéroport – le plus grand du monde – à Istanbul, le pont Yavuz Selim sur le Bosphore ou le pharaonique palais présidentiel d’Ankara. Tous les symptômes d’une politique populiste donc, qui n’auraient pas suffi face à la dure réalité économique. En témoignerait également la fatigue d’une partie de l’électorat avec un taux de participation en baisse de cinq points par rapport aux municipales de 2014.

Ce récit contient sans doute bien des éléments de vérité mais tombe en fait un peu court. Car à y regarder de près, le score de l’AKP qui dépasse 44% des suffrages exprimés est supérieur à celui des mêmes élections municipales de 2014 où il n’atteignait « que » 42%. En revanche, c’est bien le MHP, allié ultranationaliste d’Erdogan au sein de « l’alliance du peuple » qui a subi une large désaffection, son score passant de 17% à 7%. Les bénéficiaires des déboires du MHP sont un peu le parti kémaliste (CHP) dont le score global passe de 26% à 30% mais surtout le IYI parti – nouvelle formation de Mme Akşener –  dissidente du MHP ayant fondé son propre parti auquel elle tente de donner une figure respectable. L’IYI qui est allié au CHP au sein de « l’alliance de la nation » était inexistant en 2014 et a recueilli plus de 7% des suffrages lors des municipales de dimanche. Même si par des effets d’alliance l’IYI et le MHP étaient formellement absents de la compétition à Istanbul et à Ankara, la perte par l’AKP de ces deux villes doit sans doute beaucoup à cet effet de bascule entre électorats de ces deux formations ultranationalistes. Si l’IYI à lui seul reste marginal, son alliance avec le CHP a considérablement affaibli le MHP directement, et l’AKP par ricochet. Ceci est flagrant à Adana, quatrième ville du pays perdue par le MHP et gagnée par le CHP. Il est donc bien possible que les « faiseurs de roi » ne soient pas seulement les progressistes et les Kurdes du HDP – même si leur politique intelligente de retrait à l’Ouest a pu contribuer à renforcer les adversaires du pouvoir  – mais le vivier ultranationaliste qui représente bon an mal an un cinquième de l’électorat turc.

Quelles peuvent être les conséquences de ce nouvel équilibre des forces. D’une part, il est très probable que ces élections signent la fin de Devlet Bahceli, leader vieillissant du parti d’action nationaliste (MHP) qui avait déjà fait l’objet d’une tentative de putsch voici trois ans par un quarteron de « Jeunes Turcs » … dont Mme Akşener ! D’autre part, il est possible que le président du parti kémaliste – Kemal Kilicdaroğlu – également vieillissant et parfois décrit comme inconsistant, trouve une nouvelle jouvence dans ces résultats. Ceux-ci pourraient néanmoins susciter les appétits des nouvelles stars kémalistes, Ekrem Imamoğlu possible futur maire d’Istanbul, Mansur Yavaş, nouveau maire d’Ankara ou Muharrem İnce, candidat malheureux à la présidentiel de 2018.

Mais pour ce qui est du pouvoir, on peut craindre qu’Erdogan ne fasse que renforcer son discours nationaliste pour recouvrer les brebis égarées du côté de l’IYI. C’est une corde qu’il n’hésite pas à manier, qu’il manie avec brio et qui ne nuit par ailleurs pas à son électorat islamiste : de l’annonce de la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée aux propos incendiaires contre les « infidèles » néozélandais et australiens à l’occasion des attentats de Christchurch en passant par les provocations aériennes dans le ciel d’Athènes à l’occasion des célébrations de l’indépendance grecque. Cela suffira-t-il ? Nul ne le sait mais il n’est pas plus dangereux que les grands fauves blessés.

Car le nouveau contexte met Erdogan et lui seul en difficulté : Ayant coupé toutes les têtes au sein de l’AKP, il se retrouve isolé et en première ligne, avec également le risque de se voir tirer dans le dos par les siens. Aujourd’hui, il est certes  bien difficile de voir une alternative à Erdogan au sein de l’AKP. Mais il est possible que pour les prétendants encore très discrets à sa succession, cette première défaire sonne l’hallali du « Reïs ».

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