Moyen-Orient : pourquoi les Occidentaux - et encore plus la France - n’y comprennent plus rien<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Moyen-Orient : pourquoi les Occidentaux - et encore plus la France - n’y comprennent plus rien
©ABDULLAH AL-QADRY / AFP

Nœud gordien

Les différents intervenants ont, pour la plupart, des perspectives à courte vue réagissant à l’évènement immédiat de manière à parer au plus pressé.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

La situation évolue au Moyen-Orient sans que plus personne ne semble y comprendre quelque chose. Cela est dû au fait que les différents intervenants ont, pour la plupart, des perspectives à courte vue réagissant à l’évènement immédiat de manière à parer au plus pressé.

Une fois n’est pas coutume, nous commencerons par le Yémen, ce conflit qui laisse l’opinion occidentale totalement indifférente car les réseaux d’influence bien connus aux États-Unis et en Europe, sont un peu gênés aux entournures devant l’ampleur humanitaire catastrophique qu’a pris ce conflit et par le fait que le « grand allié saoudien » s’y retrouve ensablé. La rébellion Houthi est toujours bien présente dans l’ouest du pays et à Sanaa malgré la défection d’une partie des troupes de feu le président Saleh qui a payé de sa vie sa tentative de rapprochement avec Riyad. Il a eu l’imprudence de tenter cette manœuvre alors qu’il n’était pas personnellement en sécurité. Peut-être a-t-il pensé qu’il parviendrait à contrôler la capitale yéménite en en chassant les rebelles houthi, erreur qui lui fut fatale même si le mouvement s’en est retrouvé affaibli. Les Houthi ont comblé ce manque en multipliant les tirs de missiles sol-sol en direction de Riyad, la plupart ne causant pas de dégâts car interceptés par la défense aérienne ou plus simplement, pas assez sophistiqués pour obtenir un résultat tactique significatif. Cela permet néanmoins à Washington d’accuser Téhéran d’avoir fourni des armements aux Houthi, un « remake » copie conforme des accusations ayant permis l’invasion de l’Irak en 2003.

Tout semblait donc s’améliorer pour le gouvernement légal dont le siège se trouve installé à Aden, le président Abdrabbo Mansour Hadi étant lui bien à l’abri en Arabie Saoudite. C’était sans compter sur les velléités séparatistes des « sudistes » qui mettent tous leurs espoirs dans une nouvelle coupure du Yémen en deux (Yémen du Sud et Yémen du Nord). Ces "sudistes" ont repris le contrôle de la région d'Aden assiégeant le gouvernement légal retranché dans un hôtel situé en périphérie de la ville. Le problème réside dans le fait qu’ils sont soutenus par les Émirats Arabes Unis (EAU) théoriquement alliés à l’Arabie Saoudite. Mais les EAU ne veulent pas entendre parler des Frères musulmans qui sont derrière le parti yéménite al-Islah malgré ses nombreuses dénégations qui lui ont permis de s’assurer quelques faveurs de la part de Riyad. Résultat des courses, le Yémen n’est plus partagé en deux mais en trois sans compter les zones tombées en déshérence sous la coupe d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) ou de Daech qui a trouvé là un nouveau terrain de chasse à sa mesure.

Les Occidentaux, Américains en tête, continent à soutenir Riyad car ils n’ont guère le choix. Ils fournissent les bombes qui sont larguées sur le Yémen, mais on ne sait plus trop bien sur qui… Pour le lobby militaro-industriel, cela n’a pas trop d’importance dans la mesure où il fonctionne en plus tendu fournissant - contre larges rétributions - les appareils de Mohamed Ben Salman, le prince héritier et ministre de la défense en titre. Quant à l’État hébreu, il ne lui est pas possible d’émettre la moindre critique au moment où il est parvenu à nouer des relations constructives avec Riyad.

Et la Syrie ! La situation est plus que confuse. Depuis le 20 janvier 2018, l’armée turque épaule quelques milices insurgées qu’elle a largement contribué à former - tout en doutant de leur réelle valeur opérationnelle - pour envahir une partie du canton d’Afrin peuplé majoritairement de Kurdes accusés d’être liés au Parti de l’Union Démocratique (PYD), le cousin germain du PKK turc (ce qui est totalement vrai)! Le président Recep Tayyip Erdoğan menace, une fois la ville d’Afrin prise, de poursuivre sur Manbij où sont stationnées des unités US en appui des Forces démocratiques syriennes (FDS) constituées majoritairement d’unités dépendant du PYD. « Si nous sommes attaqués, nous répliquerons » affirme l’état-major américain local ! Heureusement, pour l’instant nous n’en sommes qu’au niveau des gesticulations, cela dit, elles commencent à être assez coûteuses en vies humaines pour l’armée turque qui rencontre une défense kurde qui, si elle cède quelques kilomètres, crée des pertes dans ses rangs. De plus, il semble que depuis qu’un chasseur bombardier Su-25 russe s’est fait abattre le 3 février au-dessus de la province d’Idlib voisine, Moscou pourtant prévenu de l’assaut turc, aurait « demandé » à l’aviation d'Ankara de rester dans son espace aérien, ce qui n’empêche pas les pilonnages d’artillerie…

De leur côté, les Américains solidement installés à l’est de l’Euphrate - les forces gouvernementales appuyées par les Russes et les Iraniens étant globalement à l’ouest, Manbij excepté - auraient repoussé le 7 février une offensive de « milices progouvernementales » syriennes - sans que l’on sache bien lesquelles -, contre le QG des FDS dans la région de Deir ez-Zor en faisant « une centaine de victimes » (une vingtaine selon d’autres sources). L’affaire semble plus compliquée qu’annoncée, Washington cherchant à priver Damas à l’accès à ses ressources en hydrocarbures de manière à étrangler économiquement l’administration actuellement aux commandes. Il faut rappeler qu'une des constantes de la politique des États-Unis suivis par les Occidentaux reste la chute de Bachar el-Assad. 

Pour toutes les parties, surtout pour les Américains et les Russes, Daech est vaincu. Les Russes ont alors décidé de renvoyer des troupes dans la mère Patrie mais, d’un autre côté, ils ont procédé à des renforcements pour tenir quelques bases aériennes qui leur sont nécessaires en dehors de Hmeimim. Les Américains pour leur part, après un moment d’hésitation, semblent décidés à rester pour ne pas laisser le champ libre aux Russes, aux Iraniens (à la demande de leur allié israélien qui multiplie les frappes aériennes - plus d’une centaine selon leur propre aveu - sans que personne n’y trouve quelque chose à redire) et aux forces gouvernementales syriennes régulièrement accusées d’employer des gaz chlorés à défaut de sarin.

Paris exige (si, si, exige …, nous doutons de rien) que les forces qui n’ont rien à faire en Syrie s’en aillent : les Iraniens, le Hezbollah et, en sous-entendu, les Russes ! Un détail semble avoir échappé aux responsables politiques français : ces forces sont présentes à la demande d’un gouvernement légalement reconnu à l’ONU même s’il est accusé des pires crimes de guerre. Si on s’en tient aux textes, et il est vrai rien qu’aux textes, les seuls envahisseurs « illégaux » sont les Turcs et les forces occidentales qui soutiennent les FDS sans aucun mandat international ! Si l’affaire se poursuit, il n’est même pas exclu que les Turcs affrontent des forces occidentales dans un pays étranger, la Syrie ! On ne sait pas où on va mais il semble qu’on y est… À noter que des acteurs majeurs ont littéralement disparu de la scène accaparés par leurs propres problèmes relationnels : l’Arabie Saoudite et le Qatar. Là aussi les Occidentaux sont gênés car ils sont dans l'impossibilité de choisir. Il est vrai que c'est aussi le cas pour Moscou.

Par contre, les salafistes-djihadistes dépendant - officiellement ou pas - d’Al-Qaida « canal historique » sont toujours bien présents, en particulier dans la province d’Idlib que les forces gouvernementales syriennes sont dans l’incapacité tactique de reprendre, dans la région de Damas, de la Ghouta orientale, de Deir ez-Zor et dans le sud du pays. Même Daech est réapparu là où personne ne l’attendait vraiment : au sud-est de la province d’Idlib (déclaré pour l’occasion « wilayat du califat »).

Il semble seulement qu’une partie des combattants étrangers s’est retrouvée abandonnée après la chute de Raqqa. Paris s’interroge sur ce qu’il convient de faire pour ses concitoyens aux mains des Kurdes (une centaine selon le ministre des Affaires étrangères). Là aussi, une lecture attentive des textes régissant les relations internationale serait nécessaire. La France ne dicte pas ses volontés à la planète. De toute façon, ces prisonniers sont aux mains des Kurdes qui n’ont pas d’existence « légale » en tant qu’« État ». Cela ne peut se passer qu’à travers des négociations secrètes mais il faudrait avoir quelque chose à offrir en échange. Étant déjà dans l’illégalité (ce qui n’est pas le cas en Irak où nos forces sont présentes - au moins pour partie - à la demande de Bagdad) comme cela a été évoqué plus avant, pourquoi s’arrêter en si bon chemin… Le problème réside dans le fait que Paris n’a aucun moyen pour imposer ses volontés à qui que ce soit !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !