Motion de censure : Ensemble, Nupes, LR, RN… qui a le mieux compris la logique des institutions françaises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne s'adresse aux députés lors de sa "déclaration de politique générale" pour lancer la session législative à l'Assemblée nationale, le 6 juillet 2022.
Elisabeth Borne s'adresse aux députés lors de sa "déclaration de politique générale" pour lancer la session législative à l'Assemblée nationale, le 6 juillet 2022.
©BERTRAND GUAY / AFP

Retour aux fondamentaux

La compréhension de la logique des institutions françaises est au cœur du jeu politique. Mais les différents groupes parlementaires présents à l'Assemblée ont-ils vraiment saisi leur subtilité ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Avec cette nouvelle assemblée, la compréhension de la logique des institutions françaises est au cœur du jeu politique. Par exemple, la Nupes hurle au scandale relativement au fait qu’Élisabeth Borne n’ait pas demandé un vote de confiance et elle feint de ne pas comprendre que le régime français n’est pas parlementaire. À l’inverse, la majorité relative feint d'ignorer le fait qu’elle n’est pas en situation de légiférer sans aller chercher une vraie logique de co-construction des lois. Mais est-il possible de légiférer sans majorité pour Renaissance ? Peuvent-ils gouverner sans voter de nouvelles lois ? 

Christophe Boutin : Il faut, je crois, en revenir ici aux fondamentaux. La Ve République, telle qu’elle a été mise en place par Michel Debré et le général De Gaulle, est bien un régime parlementaire, c’est-à-dire un régime d’équilibre et même de collaboration entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le régime s’est présidentialisé, avec l’effacement du chef du gouvernement - qui, dans le texte de la constitution, aux articles 20 et 21, est censé « diriger et conduire » la politique de la nation - au profit du président de la République. Depuis son élection au suffrage universel direct en 1962, celui-ci a acquis une légitimité particulière, et le renversement de calendrier qui a suivi la mise en place du quinquennat, et qui fait précéder les élections législatives par l’élection présidentielle, a abouti, du moins le plus souvent, à renforcer cette « monarchie républicaine » qui est la nôtre.

Est-il possible de légiférer sans majorité ? La réponse est théoriquement négative, car une loi résulte toujours d’un vote majoritaire à la Chambre. Il y a cependant la possibilité de forcer les parlementaires à adopter un texte sans le voter, en passant par la procédure de l’article 49-3 : le gouvernement engage alors sa responsabilité devant les députés sur un texte, et sans vote d’une motion de censure, qui fait chuter le gouvernement et écarte donc logiquement le texte, ce dernier sera considéré comme ayant été adopté, bien que non voté. Mais nous sommes ici dans une procédure que la révision de 2008 a tenté de limiter, et l’article 49-3 ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire en sus du budget et de la loi de financement de la sécurité sociale.

Peut-on gouverner sans passer par la loi ? On peut procéder par voie d’ordonnances (art. 38), mais cela suppose le vote d’une loi d’habilitation que l’opposition sera naturellement peu tentée d’accorder. Il ne faut pas oublier ensuite qu’un grand nombre de nos normes sont des textes réglementaires, pris donc par le pouvoir exécutif sous la forme de décrets et d’arrêtés, mais il n’en reste pas moins que l’article 34 de la constitution, qui fixe le domaine de la loi, lui donne, et c’est bien logique, une place majeure. Toutes les réformes d’une certaine ampleur supposent nécessairement un travail législatif.

Régime parlementaire donc, mais non régime d’assemblée, dans lequel cette dernière aurait fait tous les pouvoirs, comme semble le croire NUPES. En ce sens, Élisabeth Borne a tout à fait raison, stratégiquement et constitutionnellement, lorsqu’elle considère qu’elle n’a pas à demander obligatoirement la confiance à l’Assemblée. D’autres Premiers ministres ne l’ont pas fait avant elle, et, contrairement à ce qu’a soutenu la présidente du groupe de La France insoumise, cela n’est pas devenu une sorte d’obligation coutumière.

Qui a le mieux compris cette nature de la vie, dans cette phase sans précédent de majorité très relative et d’opposition elle-même divisée en blocs irréconciliables ? Ces blocs jouent-ils avec différentes grilles de lecture des institutions ? 

La situation que nous connaissons aujourd’hui n’est pas sans précédents. Il y a déjà eu, en moindre nombre certes, des parlementaires du Front National siégeant à l’Assemblée nationale, et dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’avaient guère de possibilités de se concilier avec, par exemple, les parlementaires communistes ou écologistes. Quant au fait qu’il y ait seulement une majorité relative pour la coalition présidentielle, là encore, nous avons connu de pareilles expériences sous la Ve République. Dans la phase surjouée que nous vivons, l’interprétation des institutions sert en large part des tactiques politiciennes. 

La coalition présidentielle se sert ainsi de la légitimité d’un président de la République dont elle prétend qu’il a été élu sur un programme pour justifier ses projets, et, tout en cherchant à prendre les Français à témoin qu’elle veut mener une politique de conciliation, engage en fait de manière systématique un bras de fer avec l’opposition. En a témoigné ce long et surprenant compte-rendu du dernier conseil des ministres, avec plusieurs ministres se succédant à la tribune en sus de l’habituel porte-parole du gouvernement, pour expliquer, et parfois dans le détail, les mesures en faveur du pouvoir d’achat que le gouvernement comptait mettre en place. C’est pourtant devant le parlement, et notamment devant les commissions parlementaires, que cette présentation aurait dû se faire d’abord, et la tactique est claire : on annonce urbi et orbi des mesures dont on estime qu’elles peuvent séduire un certain nombre de Français, ici des mesures d’aides diverses et variées, et si ces mesures ne sont pas purement et simplement validées ensuite à la Chambre, on fera porter la responsabilité de ce que l’on présentera comme un blocage sur l’opposition - évitant de voir posée la question de savoir s’il n'y avait pas d’autres manières d’aider les Français, que ce système de chèques infantilise et contraint à la dépendance.

Pour tenter de contrer cette tactique, mais aussi parce que c’est sa propre logique, NUPES cherche à se montrer comme la voix d’un peuple qui n’aurait pu s’exprimer correctement à la présidentielle, et à peine aux législatives, et présente dès lors comme illégitime tout ce qui ne viendrait pas de la Chambre… et surtout de son groupe. Cela lui permettra pense-t-elle de démontrer aux Français que l’éventuel blocage, quand bien même résulterait-il de ses votes, ne serait qu’une réponse à l’illégitimité du pouvoir de la coalition présidentielle.

Dans les deux cas la tactique est la même : essayer d’imposer un « récit » médiatique bien plus que mettre en œuvre un jeu institutionnel dont on se soucie finalement fort peu. Nous sommes dans le gouvernement de l’opinion et dans la gesticulation. Pour la coalition présidentielle, le blocage institutionnel pourrait peut-être être avantageux : il aurait la défaveur des Français en bloquant des mesures d’aide quand la crise économique semble certaine, et soulèverait ainsi une colère qui pourrait lui profiter après une dissolution. Pour NUPES, le jeu est plus difficile au regard justement des textes actuellement soumis à la Chambre, mais il s’agit de continuer ainsi à exister comme l’opposition principale – sinon la seule – à Emmanuel Macron, exactement comme la France insoumise avait réussi à le faire pendant le premier quinquennat, pour capitaliser sur ce statut après une dissolution.

Au final quel bloc a adopté la stratégie politique la plus intelligente et la plus alignée avec ce que sont vraiment les institutions françaises ?

Les groupes qui ont actuellement les stratégies les plus conformes au fonctionnement d’un régime parlementaire sont sans nul doute Les Républicains et le Rassemblement National. Ils ne sont ni dans la provocation de l’épreuve de force, comme la coalition présidentielle, ni dans la gesticulation des Insoumis, mais attendent que le texte arrive dans les commissions parlementaires pour l’analyser, le disséquer, le critiquer en ce qu’il peut avoir de critiquable, l’amender pour le modifier dans un sens qui leur semble préférable, et négocier avec les autres formations parlementaires les modifications proposées. 

Nous sommes ici, véritablement, au cœur du fonctionnement normal du régime parlementaire, et il faudra être très attentif à la manière dont les médias mainstream vont rendre compte de ces débats à la Chambre. Si, en effet, on continue à ne mentionner que l’opposition entre le diktat présidentiel et les révoltes mises en scène des Insoumis, on va réussir à faire croire aux Français que cette Assemblée, qui est pourtant la mieux équilibrée politiquement depuis des décennies, en ce qu’elle représente bien mieux que les précédentes la diversité des courants politique soutenus par les Français, rendrait le pays ingouvernable. 

Ce serait pourtant faux : seul des blocages réguliers et constants à l’issue de quasiment toutes les procédures législatives engagées, empêchant de facto toute adaptation des normes aux circonstances auxquelles l’État doit faire face, se rapprocherait d’une ingouvernabilité. Mais cette mise en cause de la stabilité parlementaire pourrait justifier des projets de modifications de nos institutions qui nous pourraient nous conduire vers d’inquiétantes évolutions de notre système politique.

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