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Mort subite de l’adulte : le mythe de la rupture d’anévrisme
©LOIC VENANCE / AFP

Santé

La peur de la mort est toujours fortement présente dans l'esprit de beaucoup de personnes. L'instant où frappe la mort est en revanche mystérieux.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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La mort, cet événement qui survient fatalement

L'expression "issue fatale" parfois employée pour désigner la mort exprime bien le caractère obligatoire de cet évènement que l'on ne vit qu'une fois, à part les rarissimes personnes qui auraient connu un état de mort imminente avant de reprendre une vie pleine et entière. C'est pratiquement la seule certitude concernant l'avenir de tout individu : il mourra un jour. Il s'agit d'un fait plus empirique que scientifique. Faut-il croire les transhumanistes qui affirment que l'espérance de vie à la naissance sera prochainement élevée à des centaines d'années ?
L'être humain vieillit et meurt. Meurt-il parce qu'il vieillit ou vieillit-il parce qu'il est mortel ? Il est clair que le vieillissement et la mort – celle qui est plus ou moins programmée - sont liés.
Chacun reconnaît aisément un mort : il est immobile, sans réaction, le regard vide et figé, le corps rigide et froid. L'instant où frappe la mort, cette seconde terrible et magique, ce brutal passage dans le monde inerte et sans relation, est en revanche mystérieux. Deux organes sont prééminents dans la vie et dans le passage de la vie à la mort : le cœur et le cerveau. En général, l'arrêt cardiocirculatoire (la mort "cardiaque") précède l'arrêt du fonctionnement du cerveau (la mort "cérébrale") : le plus souvent, c'est l'arrêt de la pompe cardiaque qui est l'événement déclenchant le processus de mort. Le flux artériel cesse, les organes nobles ne sont plus perfusés (cerveau, muscle cardiaque, poumons, foie et reins) et ils ne reçoivent de ce fait plus d'oxygène ni de glucose et ne peuvent pas non plus éliminer le gaz carbonique. Le processus de mort va très vite : c'est le cerveau qui meurt le premier, car il a un très gros besoin en oxygène et en glucose (il commence déjà à souffrir au bout de quelques minutes).

La notion de mort subite

La mort subite est une mort brutale qui ne prévient pas. On emploie également l'expression de "mort inattendue". C'est un sujet de discussion récurrent qui réapparaît à chaque fois que survient un cas chez une personne non sénile. Typiquement, c'est le cas de cet homme âgé de 47 ans qui rentre en fin d'après-midi d'un déplacement professionnel de quelques heures. Il descend du train, se dirige vers sa voiture et au moment d'ouvrir la porte s'écroule et meurt sur-le-champ. La mort subite frappe à toute heure du jour ou de la nuit et à tout âge. Elle est particulièrement impressionnante et choquante quand elle touche de jeunes sujets, a fortiori des enfants. Celle qui frappe les nourrissons a été médiatisée : c'est un drame que l'on sait mieux prévenir aujourd'hui. Il n'est pas rare que la mort subite soit immédiatement précédée d'une sensation de malaise général, mais ce prodrome (ou signe annonciateur) survient en règle générale beaucoup trop tard pour que l'on puisse éviter le décès.
Quand on parle de mort subite, on évoque habituellement un décès brutal qui survient chez une personne en relative bonne santé, en général active. Mais la mort subite peut également se produire au cours d'une maladie non habituellement mortelle. D'où l'intérêt d'utiliser aussi cette autre expression de "mort inattendue". Cette mort est inattendue parce que les témoins et les proches la voient et la vivent comme quelque chose qui ne devait pas arriver. Elle est en quelque sorte foudroyante. Elle se distingue de la mort qui survient dans un contexte de maladie ou d'accident graves : une méningite bactérienne, une encéphalite, une pneumonie, une diphtérie, une fièvre typhoïde, une septicémie, une leucémie, un cancer avec plusieurs métastases, une hémorragie interne, une occlusion intestinale aiguë, une inhalation de corps étranger avec asphyxie, une noyade, un violent traumatisme (chute, agression, accident de la voie publique, accident de sport…), un empoisonnement accidentel ou volontaire sont des exemples de circonstance favorisant une mort non subite, car s'inscrivant dans un contexte causal bien identifié. Lors de ces différentes situations, non seulement le décès se produit dans des circonstances permettant de le prévoir, mais de plus il est fréquent que le dernier souffle du sujet survienne au cours d'une agonie plus ou moins lente : le mourant se meurt.

La mort subite frappe à tous les âges

Quand elle survient chez un nourrisson, un petit enfant, un grand enfant, un préadolescent ou un adolescent, la mort subite est révoltante : pourquoi lui, pourquoi elle, pourquoi nous ? Elle paraît déjà plus "acceptable" quand elle frappe un adulte d'âge mûr, mais c'est chaque fois un coup de tonnerre dans un ciel serein. Au contraire, si une mort subite survient chez une personne âgée et surtout très âgée, elle est plus facilement acceptée. Surtout, elle est très souvent non reconnue comme telle : "Elle est morte de vieillesse ; il était déjà très âgé ; elle était vraiment fatiguée ; il avait bien vécu ; elle était usée ; il est mort de sa belle mort, etc." Alors que la mort subite existe bien sûr chez la personne âgée ou très âgée. Elle est même fréquente et chaque décès a une explication.
Mourir de vieillesse est une formule commode, mais qui n'a pas grand sens médicalement. On pourrait à la rigueur l'employer pour qualifier la fin de vie d'une personne très âgée dont l'état physique et psychique se serait affaibli d'une façon très progressive sur des mois et des mois, jusqu'à en arriver de jour en jour à s'éteindre comme une bougie qui n'a plus de cire à brûler. Ce n'est tout de même pas le cas habituel, mais on ne cherche le plus souvent pas à comprendre la cause exacte du décès d'un grand senior. Sans faire de l'amélioration de l'espérance de vie un objectif essentiel, cela permettrait tout de même de progresser en matière de prévention. Par exemple cette femme âgée de presque 89 ans, vivant dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui, un lundi vers midi est retrouvée morte alors qu'une aide-soignante lui avait parlé dix minutes plus tôt et qu'elle allait bien : "C'est sûrement une rupture d'anévrysme, dit l'infirmière coordinatrice", "Elle avait bien décliné depuis sa fracture, dit l'infirmier"… Il fallait plutôt chercher du côté de son traitement : c'est à la vérité une intoxication au potassium, sur un terrain d'insuffisance rénale chronique proche du niveau sévère. Cet exemple véridique est l'occasion de préciser que beaucoup de décès "inexpliqués" ont probablement une origine médicamenteuse et cela plus spécialement en EHPAD. L'iatrogénie médicamenteuse a encore frappé, hélas.

La mort subite de l'adulte : le choc et les tentatives d'explication

Ce drame est tellement choquant que l'on essaie de se rassurer. Car beaucoup de gens se disent que cela pourrait aussi leur arriver. La peur de la mort est toujours fortement présente dans l'esprit de beaucoup de personnes. Particulièrement dans les pays en développement et dont les peuples sont imprégnés de religiosité et de mysticisme, les explications vont bon train : "C'est un châtiment de Dieu, il s'agit d'une malédiction divine", ou "Le Seigneur avait décidé de sa mort tragique, c'était écrit", ou "Cette mort est mystique", ou "On lui a jeté un mauvais sort ; c'est du maraboutage, de la magie noire, de la sorcellerie", ou encore "C'est l'œuvre du diable". Ces explications mystiques désignent un coupable : soit la victime elle-même dont la mort subite serait auto-expiatoire, soit ses ennemis agissant par satanisme. On va parfois jusqu'à penser qu'une mort subite a été programmée lors d'un pacte entre un acteur de magie noire (marabout, sorcier…) et Lucifer, afin d'offrir une victime à ce dernier dans le but d'obtenir une faveur de sa part, faveur commandée par un client du premier.
Une autre explication est fréquemment mise en avant, tout aussi irrationnelle : une rupture d'anévrysme, la fameuse rupture d'anévrysme qui se situerait on ne sait où.

Les anévrysmes artériels et leur possible rupture

Qui n’a jamais entendu parler de l’anévrysme (artériel) ? Car cette maladie a la réputation de tuer. Un anévrysme artériel est une dilatation localisée et anormale d'une artère, qui résulte elle-même d’une faiblesse de sa paroi et d’une forte pression artérielle (hypertension). Cette dilatation de l'artère peut avoir la forme d’un sac, qui s'est formé sur le côté de l’artère : c’est l’anévrysme sacciforme ; ou bien celle d’un fuseau constitué cette fois dans l’axe de l’artère : c’est l’anévrysme fusiforme. Il se développe plutôt après 40 ans. Ses facteurs favorisants qui sont parfaitement admis sont : le tabagisme, l’excès de cholestérol athérogène (VLDL : very low-density lipoprotein ; LDL : low-density lipoprotein), l’hypertension artérielle, le surpoids, le diabète, l’alcoolisme, l’âge avancé, un traumatisme violent localisé et une prédisposition héréditaire. L’anévrysme se constitue surtout, soit sur la grosse artère centrale du corps ou artère aorte : dans le thorax (anévrysme de l'aorte thoracique) ou bien dans l’abdomen (de l'aorte abdominale) ; soit sur l’une des principales artères du cerveau (anévrysme artériel dit intracrânien). Un anévrysme se forme très lentement, durant des mois ou plutôt des années. Mais sa formation est plus rapide après un traumatisme violent. La prévalence (fréquence) de l’anévrysme artériel est estimée entre 3 % et 4 % de la population. Il n’occasionne aucun trouble pendant des années, et reste donc très longtemps inconnu. L’anévrysme artériel est découvert lors d’un examen radiologique ou lors de la survenue d’une complication, qui peut être une compression d’un élément de voisinage tel qu’un nerf ou une veine, une thrombose de l'anévrysme ("caillot") ou surtout une rupture. Cependant, malgré une opinion répandue, la rupture d’anévrysme ne se traduit pas par une mort foudroyante, mais elle évolue le plus souvent en deux phases, bien séparées dans le temps : la première est la fissuration, avec douleurs, malaise général et troubles neurologiques ; la seconde, la rupture hémorragique, qui est en effet souvent très grave ; en l'absence d'intervention, elle conduit généralement au décès. Mais la rupture d'anévrysme qui déclenche une mort foudroyante est un mythe.

L'explication médicale actuelle de la mort subite

Une mort subite est un arrêt cardiaque inopiné, qui survient brutalement, tandis que rien ne permettait de le prévoir. C'est souvent foudroyant, mais il n'est pas rare que des symptômes le précèdent moins d'une heure avant. La mort subite de l'adulte touche de l'ordre de 40 000 personnes par an en France, ce qui est considérable. Les victimes sont relativement jeunes et, dans plus d'un cas sur deux, elles ignoraient qu'elles avaient une maladie du cœur. Car la cause de ce drame est d'origine cardiovasculaire, dans environ 90 % des cas ; et il s'agit plus précisément d'un infarctus du myocarde, dans 80 % des cas. Un infarctus du myocarde consiste en l'obstruction complète de l'une des artères du muscle cardiaque ou myocarde. Ces artères sont appelées coronaires, car elles font le tour du cœur comme une couronne fait le tour du crâne. L'arrêt du cœur est en fait une fibrillation ventriculaire, se traduisant par un état d'inefficacité cardiaque totale, due à la contraction rapide et désordonnée des fibres musculaires striées du myocarde. Cette fibrillation est parfois précédée d'une sensation de malaise avec nausées. Si elle peut se produire au repos, elle est nettement favorisée par l'exercice physique : la fibrillation ventriculaire survient fréquemment pendant une activité sportive ou lors de son décours.
Deux actions successives peuvent permettre de sauver une personne en état de fibrillation ventriculaire : le massage cardiaque, puis l'utilisation d'un défibrillateur automatisé. Il s'agit d'une urgence extrême, dans laquelle chaque minute est vitale. On connaît maintenant de mieux en mieux les prédispositions à la mort subite : un pouls rapide au repos et qui de plus augmente progressivement avec l'âge, est un facteur de risque. Les personnes dont le pouls augmente de plus de douze battements par minute, lors du stress psychique qui est présent immédiatement avant un effort physique important, ont elles aussi un risque plus élevé de fibrillation ventriculaire ; il en est de même de celles dont le pouls n'augmente qu'assez peu lors d'un effort physique. En revanche, la pratique d'une activité physique régulière et assez modérée est une mesure de prévention efficace. Est-il bien nécessaire d'ajouter encore que l'absence de tabagisme et un indice de masse corporelle (IMC : poids en kilos divisé par le carré de la taille en mètres carrés) inférieur à 25 kilos par mètre carré, sont des éléments de prévention de base ? À titre d'exemple d'IMC, un poids corporel de 65 kg pour une taille de 1,75 m donne un IMC d'un peu plus de 21 kg/m² ; de 25 à 35 d'IMC, c'est un surpoids ; au-dessus de 35, c'est une nette obésité.

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