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Monsanto passe sous pavillon allemand... et est condamné : la justice américaine mène sa guerre
©Reuters

Guerre économique

BNP, SNCF, Alstom... l'extraterritorialité de la justice américaine frappe partout.

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : BNP Paribas condamné à 8,9 milliards de dollars d'amende en 2015, la SNCF à 60 millions de dollars en 2014, Alstom à 772 millions de dollars en 2014 (avant de se faire racheter par General Electric dans la foulée)… La justice américaine vise-t-elle plus spécifiquement les entreprises européennes ?

Nicolas Mazzuchi : Pas exclusivement, mais il faut bien reconnaître que les entreprises européennes réunissent le plus souvent deux caractéristiques importantes. Elles sont d’une part le plus souvent les principales compétitrices des entreprises américaines dans les secteurs les plus technologiques – Alstom était à ce niveau un exemple frappant dans le domaine des services à l’énergie – et, d’autre part, sont bien plus facilement accessibles que les entreprises chinoises ou russes, car elles travaillent souvent sur le territoire américain. De fait elles sont particulièrement exposées à l’utilisation de « l’arme du droit » dans le cadre d’une compétition mondialisée. Toutefois il serait erroné de parler de « guerre économique » tant le terme est fort. Une vision plus juste serait de considérer que les Etats-Unis mettent en œuvre l’ensemble des techniques et outils à leur disposition pour conserver une place de première économie mondiale, surtout avec la compétition exacerbée des entreprises émergentes, dans les secteurs les plus technologiques. En outre il faut également considérer que certaines entreprises européennes pêchent par ignorance ou naïveté. L’acquisition d’une banque privée libanaise, accusée de contribuer au financement du Hezbollah, a notamment amené les autorités fiscales et judiciaires américaines à s’intéresser de près à une grande banque française.

De quels leviers dispose la justice américaine pour faire condamner les entreprises européennes ?

Il faut tout d’abord différencier les leviers purement juridiques – par une intervention directe de la justice – et ceux simplement normatifs. Le droit américain dispose d’un certain nombre de législations dites – un peu abusivement – extraterritoriales comme le D’amato-Kennedy Act de 1996 qui prohibe de fait le commerce avec l’Iran. Toute entreprise étrangère qui commerce avec Téhéran se voit de facto interdite de commercer avec Washington, le choix est donc en ce cas vite fait. C’est en vertu de ces législations que la justice américaine peut poursuivre certaines entreprises européennes. Au niveau des normes américaines, elles sont en réalité présentes partout. Un exemple connu et frappant se retrouve dans le domaine de l’armement  avec la norme ITAR. Celle-ci impose que pour tout matériel de défense incluant des composants américains, les Etats-Unis aient un droit de regard sur la vente, quitte à l’empêcher. Eu égard à l’omniprésence des composants électroniques, notamment processeurs et semi-conducteurs, provenant des Etats-Unis, les matériels dits ITAR-free sont très peu nombreux, complexes et couteux à développer.

Enfin il ne faut pas minimiser le rôle des instruments régaliens que sont la monnaie et le renseignement. Depuis la décision de R. Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or, celui-ci est plus une norme d’échanges internationaux incontournable qu’une monnaie nationale. De fait le contrôle du dollar offre aux Etats-Unis un levier de pression inégalé sur l’économie internationale puisqu’il permet de sanctionner peu ou prou toute entreprise sur la planète pour des échanges avec des pays qui seraient considérés comme dangereux pour les Etats-Unis, du simple fait de l’utilisation du dollar dans les échanges. De même la législation sur le renseignement, en particulier le Foreign Intelligence Surveillance Act, prolongé par le FISA Amendement Act of 2008, permet aux Etats-Unis d’intercepter toute communication sur la planète pour le bien de la sécurité nationale. Les dérives vers la promotion des intérêts économiques américains ne sont en l’espèce jamais très éloignés, surtout en cas de surveillance des entreprises étrangères les plus importantes.

L'Europe est-elle condamnée à subir ou a-t-elle les armes pour lutter contre les Etats-Unis sur ce plan?

L’Europe a fondé sa politique commerciale et économique sur le principe de la concurrence. De fait cette politique de la concurrence européenne, issue partiellement de l’ordolibéralisme allemand, est à l’heure actuel un des piliers les plus importants de la doxa de l’UE. Il s’en suit que les Européens – du moins suivant la philosophie économique de Bruxelles – se doivent d’être plus libéraux que les libéraux. La chasse qui est faite depuis des années par la DG COMP aux monopoles d’Etat et autres entreprises publiques comme EDF est d’ailleurs l’une des principales manifestations de cette situation. Dans ce contexte on imagine bien qu’il est difficile de mettre en place un corpus législatif communautaire qui soit destiné à protéger les secteurs économiques de pointe de l’UE et même de se porter à la conquête de marchés. Outre la question de la politique de la concurrence, les disparités économiques entre Etats de l’Union entrent également en compte. Chaque Etat est de ce point de vue relativement différent, certains sont industrialisés, d’autres se reposent majoritairement sur les services, des modèles mixtes existent, etc. Pour savoir comment agir, il faut d’abord savoir sur quoi agir. Or c’est bien là que le bât blesse puisque l’UE est incapable d’avoir une vision claire de ses intérêts économiques vitaux, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis par exemple. Toutefois des prises de conscience ont eu lieu dans certains Etats. En France les décrets successifs Villepin et Montebourg sur les secteurs stratégiques – en cours de refonte d’ailleurs – ou en Allemagne la récente prise de conscience de la vulnérabilité des fleurons technologiques du pays, suite au rachat de l’entreprise de robotique Kuka par l’entreprise chinoise Midea. De fait la prise de conscience allemande pourrait en ce sens être décisive, si elle était couplée avec une continuité de la volonté française – ce qui est malheureusement peu probable – pour amener le débat au niveau de l’UE, de manière sérieuse. Il n’en reste pas moins qu’une question demeurerait après la prise de conscience, voire la législation : quelle capacité d’action et d’application des lois ? Sur un continent fondé avant tout sur les échanges internationaux et ne pesant que peu – de manière unifiée - dans les grands équilibres économiques, il a fort à parier que cela n’irait pas bien loin.

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