Moi (Le Pen) ou le chaos (Macron) : quand la présidente du RN subvertit le discours de son principal adversaire<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, et Jordan Bardella ont déposé une gerbe de fleurs devant la statue de Jeanne d'Arc à Paris le 1er mai 2021.
La présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, et Jordan Bardella ont déposé une gerbe de fleurs devant la statue de Jeanne d'Arc à Paris le 1er mai 2021.
©Bertrand GUAY / AFP

Apaisée au carré

En marge du traditionnel hommage à Jeanne d’Arc, ce samedi, Marine Le Pen a prononcé un discours de 1er Mai très chiraquien dans l'inspiration. Elle a également confié aux journalistes qu'Emmanuel Macron était un danger pour l'unité de la Nation. Marine Le Pen a prédit un « chaos général » en cas de réélection du candidat LREM.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Dans son discours du 1er Mai, face à la « désunion » Marine Le Pen appelle au redressement national et à la reprise en main du destin du pays. Quel est le message que souhaite faire passer la candidate ? Est-il audible ? Son discours visait-il à convaincre un nouvel électorat ou à mobiliser le sien ?

Arnaud Benedetti : Marine Le Pen est confrontée à une double exigence : cliver juste ce qu’il faut pour assurer sa différence avec ses concurrents dont elle diagnostique, conformément à l’histoire de sa famille politique, qu’ils sont cosolidaires des impuissances et autres impasses du moment ; et parallèlement au regard des sondages qui ne l’ont jamais projetée à un tel niveau à un an de la présidentielle, il lui faut démontrer sa capacité à rassembler pour faire « sauter » ce fameux « plafond de verre » dont d’aucuns lui prédisent qu’il serait infranchissable. Elle renverse le postulat macroniste qui a fait de la lutte contre l’alternative populiste son mantra sous le format du « Moi ou le chaos ». Lors de la saison une, c'est-à-dire 2017, la performativité de la rhétorique d’Emmanuel Macron tenait à la nouveauté de son offre. Évidemment cinq années plus tard, le sortant, même s’il tend à vouloir reproduire cette stratégie, se heurte lui aussi à une sorte de plafond qui n’est autre que celui de son bilan. Crise sociale, crise sécuritaire, et crise sanitaire ont accentué le sentiment de fractures d’une société qui l’était déjà depuis plusieurs décennies. Le problème, c’est que par son style propre, Emmanuel Macron n’est pas parvenu à recoudre les déchirures. Marine Le Pen s’engouffre dès lors dans cette béance et par son recentrage entamé depuis quelques mois elle entend se profiler comme la candidate de l’apaisement. Cette thématique monte dans son registre politique. Elle a d’ailleurs été utilisée par sa nouvelle recrue, tête de liste à Paris pour les régionales, le journaliste Philippe Ballard afin de justifier son ralliement au Rassemblement national. Marine Le Pen désormais subvertit la dialectique de son principal concurrent au vu des sondages. Elle l’assigne comme le candidat du chaos et se présente comme la garante de l’unité. Tout se passe comme si la présidente du RN entendait se chiraquiser : peu dire, s’exposer en rassembleuse, réactiver la lutte contre les fractures sociales, sur souligner la dimension clivante du sortant.

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Faire du 1er mai, fête du Travail et commémoration de Jeanne d’Arc, un moment pour envoyer un message aux jeunes, est-ce une stratégie de communication cohérente ? Quel est l’intérêt pour Marine Le Pen de s’adresser ainsi aux jeunes ?

La bataille autour du vote des jeunes a commencé. En 2017, au premier tour, Marine Le Pen était arrivée en tête chez les 18/34 ans devant Jean-Luc Mélenchon. Des sondages récents confirment sa domination, notamment chez les jeunes actifs (25/34 ans), Emmanuel Macron, lui, la devançant chez les primo-votants (18/25 ans). Se dessine là un des enjeux matriciels de la compétition à venir : mobiliser les jeunes, notamment ceux plus nombreux des classes populaires et moyennes, pour s’assurer une dynamique notamment de 1er tour qui permettrait de creuser l’écart avec Emmanuel Macron. Un autre phénomène est à relever dans la nature des intentions du vote jeune en faveur de Marine Le Pen : ce n’est plus seulement un vote protestataire, mais d’adhésion également qui chez les primo-votants atteint près de 60 %. Pourquoi s’adresser à cet électorat ? Parce qu’il est inquiet pour son avenir, parce qu’il subit, mécaniquement, plus fortement les conséquences économiques et sociales de la crise, parce que sa mobilisation enfin permettra de contrebalancer celle d’un électorat plus âgé en faveur d’Emmanuel Macron et plus inquiet d’une victoire potentielle de Marine Le Pen. En outre, il s’agit sans doute d’un potentiel électoral moins marqué par l’historique des mobilisations anti-Le Pen : il a assisté cognitivement à un double phénomène, la banalisation de Marine Le Pen et la validation du système de menaces dans les faits du diagnostic du RN sur la mondialisation, le terrorisme islamiste ou la perte de l’autorité de l’Etat. En outre, Marine Le Pen lui a donné des gages sur le sociétal, contrairement au passé du FN qui était plus conservateur sur ces enjeux.

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Les élections régionales sont tributaires de deux inconnues majeures : la participation au regard du contexte sanitaire et les rapports de forces entre les grandes offres politiques. Pour la première, on a vu qu’aux municipales le RN avait souffert de l’abstention et de la démobilisation des catégories populaires. Une participation plus élevée, notamment de ces dernières, pourraient lui être favorables. Pour le second paramètre, tout dépendra de l’état de la concurrence au soir du premier tour. De triangulaires, voire de quadrangulaires, le RN pourrait tirer profit. Dans certaines régions, la marque Le Pen exerce au vu des sondages une forte pression sur les sortants : c’est le cas en PACA avec Thierry Mariani dont la candidature incite Renaud Muselier à un accord avec les marcheurs qui pose néanmoins problème au sein de sa famille politique, y compris localement; c’est le cas  en Bourgogne Franche-Comté où la liste RN est située très haute dans les sondages ; c’est aussi le cas dans les Hauts-de-France où Xavier Bertrand n’est pas aussi confortable que ne peuvent l’être, par exemple, Valérie Pécresse ou Laurent Wauquiez dans leurs régions respectives. A-t-elle intérêt pour autant à insister sur la nationalisation de ce scrutin ? Le risque, si elle ne gagne pas de régions, est de sur-souligner alors sa difficulté à rompre avec la représentation du plafond de verre et ce que celle-ci peut avoir comme effet de démobilisation. En laissant une temporalité locale à cette consultation, elle limite non seulement ce risque et peut éventuellement, si un scrutin régional était favorable à l’une de ses listes s’approprier un succès dont elle ferait l’emblème de sa dynamique à venir.

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