Loi de modernisation du dialogue social : les leçons des 3 premières années du quinquennat Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre du Travail, François Rebsamen, présente mercredi 22 avril son projet de loi relatif au dialogue social.
Le ministre du Travail, François Rebsamen, présente mercredi 22 avril son projet de loi relatif au dialogue social.
©Pixabay

Le changement, ça devait être maintenant

Le ministre du Travail, François Rebsamen, présente mercredi 22 avril son projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi en Conseil des ministres. Objectif affiché par le gouvernement : faire du dialogue entre patronat et syndicat "un progrès social majeur".

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Dominique Andolfatto

Dominique Andolfatto

 

Dominique Andolfatto est professeur de science politique à l’université de Bourgogne et un chercheur spécialiste du syndicalisme. Ses travaux mettent l'accent sur des dimensions souvent négligées des organisations syndicales : les implantations syndicales (et l'évolution des taux de syndicalisation), la sociologie des adhérents, la sélection des dirigeants, les modes de fonctionnement internes, les ressources, la pratique et la portée de la négociation avec les employeurs et l'Etat.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont 

- "Un échec français : la démocratie sociale", Le Débat, Gallimard, sept. 2019 (avec D. Labbé).

- "The French Communist Party Confronted with a World that was Falling Apart", in F. Di Palma, Perestroika and the Party, Berghahn, New York, 2019 : 

https://www.berghahnbooks.com/title/DiPalmaPerestroika

- "Faire cause commune au-delà de la frontière ? Le syndicalisme transjurassien en échec", in M. Kaci et al.,  Deux frontières aux destins croisés, Presses UBFC, Besançon, 2019.


- Chemins de fer et cheminots en tension , EUD / Ferinter, Dijon, 2018 :

https://eud.u-bourgogne.fr/sciences-sociales/623-chemins-de-fer-et-cheminots-en-tension-9782364412927.html?search_query=andolfatto&results=1

- "Organisations syndicales", in Y. Deloye et J. M. De Waele,  Politique comparée / Traités de science politique , Bruylant, Bruxelles, 2018 (avec D. Labbé) :

https://www.larciergroup.com/fr/politique-comparee-2018-9782802760771.html


- La démocratie sociale en tension, Septentrion Presses Universitaires, Lille, 2018 : http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100096680

- Syndicats et dialogue social. Les modèles occidentaux à l'épreuve, P. Lang, Bruxelles, 2016 (avec S. Contrepois) : https://www.peterlang.com/view/9783035266177/9783035266177.00001.xml

- Les partis politiques, ateliers de la démocratie, Ed. uni. Bruxelles, 2016 (avec A. Goujon) : http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2768

 

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  • Principal changement prévu par la réforme du dialogue social prévue par le gouvernement : la mise en place pour les entreprises de moins de 11 salariés de commissions paritaires interprofessionnelles au niveau régional.
  • La réforme des institutions représentatives du personnel ne répond pas à la demande du Medef, qui souhaitait voir émerger une seule entité fusionnant comité d’entreprise, délégués du personnel et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Mais elle permet de mettre en place une délégation unique du personnel (DUP) dans les entreprises de moins de 300 salariés, alors que ce n'était le cas jusqu'à présent que pour les entreprises de moins de 200 salariés. En outre, cette DUP concerne aussi le CHSCT.
  • L'objectif est d'essayer de mettre fin aux échecs des négociations entre les syndicats et le patronat

Atlantico : Avec le projet de loi qu'il présente au Conseil des ministres ce mercredi 22 avril, François Rebsamen – et le gouvernement avec lui – veut transformer le dialogue social entre syndicats et patronat en "progrès social majeur". A l'heure actuelle, quel bilan du dialogue social est-il possible de tirer pour l'économie française ? Que doit l'économie à trois ans de dialogue social hollandais ?

Jean-Charles Simon :Le dialogue social interprofessionnel a un bilan particulièrement mince sur les dernières années. Outre les négociations de gestion paritaire, qui ne font hélas que constater les déficits abyssaux des systèmes paritaires de protection sociale – assurance chômage, retraites complémentaires –, et compte tenu de l’échec pitoyable des partenaires sociaux sur la réforme du dialogue social, on ne recense vraiment que deux accords, celui de janvier 2013 sur le marché du travail et celui sur la formation professionnelle. Le second n’a modifié qu’a minima l’écheveau toujours aussi complexe de la formation professionnelle, sans qu’il y ait lieu d’en attendre quoi que ce soit de transformant pour les salariés comme pour les entreprises. Quant au premier, qui avait été indûment célébré, il ne change quasiment rien, quand il ne complique pas. Les principales mesures mises en avant côté employeur, comme les accords de compétitivité, quasiment pas utilisés, ou les évolutions de la juridiction prud’homale, de pure forme, sont sans impact. En revanche, avec cet accord, la problématique du temps partiel minimal de 24 heures par semaine s’est imposée comme une nouvelle contrainte. Et l’obligation de la complémentaire santé en entreprise à horizon du 1er janvier 2016 va créer de sérieuses difficultés à nombre de petites structures.

Pour le reste, dans les relations directes entre l’Etat et les partenaires sociaux, les vœux de ce gouvernement ont fait long feu. Sur la pénibilité, il a été ainsi indispensable de passer hors du cadre des partenaires sociaux. Quant à la gesticulation des grands "sommets sociaux", le boycott de la CGT et de FO lors de la dernière édition, et plus encore l’inanité de telles grands-messes ont eu raison de la formule, qui a été abandonnée.

Les mesures issues du dialogue social mis en œuvre depuis trois ans sous le gouvernement de François Hollande permettent-elles de répondre aux enjeux de l'économie française ? 

Jean-Charles Simon : Absolument pas. Pour s’en convaincre, outre le bilan fort mince de ce dialogue social que j’effectuais précédemment, il suffit de constater la situation sociale et économique du pays aujourd’hui. Le chômage paraît particulièrement virulent en France, presque sept ans après le début de la crise, alors qu’il recule en moyenne dans l’Union européenne. A ce sujet, la France fait donc moins bien que la plupart de ses voisins, et même moins bien que sa performance économique devrait le laisser supposer, car la croissance française n’est pas en-dessous de la moyenne européenne sur la période considérée. De ce point de vue, c’est un échec de la réponse de notre marché du travail et de notre système social à un environnement économique certes difficile, mais pas vraiment plus qu’ailleurs. Et alors même que tous les subterfuges ont été mis en place sur la période, notamment avec les contrats aidés ou encore l'augmentation des effectifs de la fonction publique. Il n’y a donc eu aucune réforme structurelle de notre marché du travail, qui se retrouve plus que jamais cloisonné, entre des insiders relativement protégés, qui ont même continué à voir leurs salaires augmenter pendant la crise, des précaires plus nombreux - jamais les CDD courts n’ont représenté une telle part du flux des nouveaux contrats – et des outsiders de plus en plus éloignés du marché du travail, avec une durée moyenne au chômage qui atteint un record, un an et demi, et plus de 700.000 personnes au chômage depuis au moins 3 ans, là aussi du jamais vu.

Dans quelle mesure a-t-il facilité la prise de décision ?

Jean-Charles Simon : Les résultats du dialogue social interprofessionnel ont été pour la plupart traduit dans des lois, comme à l’accoutumée, ce qui n’en modifie pas pour autant la faiblesse de son bilan. Pour le gouvernement, il aura été l’occasion de s’enorgueillir d’une loi sur la réforme du marché du travail, mais on a vu que l’appellation était vraiment pompeuse au regard de la consistance des mesures adoptées. Le dialogue social a aussi pu servir, avec beaucoup de contorsions, d’alibi à certaines mesures du gouvernement. Le cas le plus frappant étant celui du pacte de responsabilité, avec des négociations de branche qui ont dû faire comme s’il était possible de prévoir des créations d’emploi par secteur en contrepartie des mesures annoncées en faveur des entreprises… Tout ça avait un petit côté "planiste", décalé et pas très sérieux, mais le gouvernement a peut-être limité ainsi le nombre de "frondeurs" au sein de sa majorité face au CICE ou aux autres allégements de prélèvements obligatoires sur les entreprises.

En fin de compte, le dialogue social est-il possible à l'heure actuelle en France ? Le gouvernement est-il parvenu à mettre en place un cadre permettant de conduire un dialogue social dans les meilleures conditions ? 

Jean-Charles Simon : Le dialogue social est possible, il peut même être dense, mais il a très peu de chances d’aboutir à des résultats consistants et qui soient susceptibles de réformer la société française. Et à mon sens, c’est structurel. Le gouvernement a été, comme ses prédécesseurs, particulièrement attentiste, ânonnant le même discours sur la priorité au dialogue social et aux partenaires sociaux. Et mis à part sur la mise en œuvre de la pénibilité dans le cadre de la réforme des retraites, un sujet décidé de longue date, il a joué la montre, attendu que les partenaires sociaux avancent et, pour le reste, rafistolé à la petite semaine le système social français. A coup de rallonges budgétaires, d’économies de bouts de chandelle ou d’expédients réglementaires. Mais à aucun moment il n’a renoncé à la doxa d’un dialogue social prééminent, et qu’il faut encourager. Comme il sait ce dialogue impossible ou infructueux, cela ne le dérange guère et lui offre l’alibi idéal pour ne pas toucher au modèle social français.

Dominique Andolfatto : Il y a un dialogue social en France, notamment au niveau national, des branches d'activité, des entreprises. Mais ce dialogue reste beaucoup trop fondé sur des prescriptions juridiques. Du coup, il est souvent très formel, très procédural, n'a pas non plus d'obligation de résultats.

C'est la raison pour laquelle il n'est pas vraiment productif, ne fait pas vraiment évoluer les situations. Il n'est donc pas vraiment moteur pour dynamiser le tissu économique ou favoriser l'emploi, par exemple. Bien au contraire, il peut être source de lourdeurs, de bureaucratie. Il faudrait plus de souplesse, de volontarisme de la part des différents acteurs, pour favoriser véritablement la performance économique.

L'avant-projet de loi essaye de tenir l'équilibre entre attentes patronales et syndicales. Mais en gros, les mêmes propositions ont déjà été rejetées par les partenaires sociaux en janvier dernier. Les syndicats craignaient notamment une réduction du nombre de leurs élus dans les entreprises, donc une perte de moyens pour eux. Ils craignaient également une centralisation des institutions représentatives du personnel, c'est-à-dire une perte des élus locaux, et une disparition des CHSCT en tant qu'entités autonomes. Il est probable que ce texte va être combattu par les députés ou les parlementaires les plus à gauche, et notamment les frondeurs.

Quels sont les véritables freins à l'efficacité du dialogue social ? Ne sont-ils pas liés notamment à un manque de représentativité des syndicats en France ?

Jean-Charles Simon : Les freins sont nombreux, et c’est pourquoi le dialogue social doit être vu aujourd’hui non pas comme une solution – ce que prêchent la plupart des politiques – mais bien comme une composante à part entière du problème français. Le premier défi tient aux partenaires sociaux eux-mêmes. Ils sont pour la plupart archaïques et peu représentatifs, et cela vaut aussi bien pour les syndicats de salariés que pour les organisations patronales. Ils sont aussi beaucoup trop nombreux, huit à l’échelle interprofessionnelle, alors qu’ils sont souvent deux ailleurs, une organisation patronale et un syndicat. Dès lors, chacun est dans un jeu de postures, et le consensus est par construction un plus petit commun dénominateur peu ambitieux. Ce sont aussi des organisations qui sont accaparées par des permanents du paritarisme, dont l’intérêt premier est la survie du système tel qu’il est. Rien ne les motive à remettre en cause des circuits et des règles qui paralysent notre système social puisqu’ils y trouvent leurs ressources et plus encore leur justification, à titre collectif et individuel. Enfin, il est très difficile de faire vivre un dialogue social dans un pays déjà aussi collectivisé et étatisé. Il y a de telles couches d’obligations, de réglementations et de prélèvements de toute sorte que seul l’Etat, aux prérogatives considérables, peut être en mesure de transformer le système social. Il ne faut donc plus songer à comment rendre le dialogue social plus efficace en France, mais à comment se passer du dialogue social chez nous. Tout au moins si l’on veut vraiment réformer notre pays.

Dominique Andolfatto : Légalement, aujourd'hui, les syndicats impliqués dans les négociations sont représentatifs. Les nouvelles réglementations depuis 2008 supposent d'avoir 10% d'audience aux élections professionnelles. Toutefois, les syndicats d'aujourd'hui sont des syndicats de représentants dans la mesure où l'on ne vérifie leur représentativité que tous les quatre ans. Avoir des adhérents est donc une condition très secondaire. Les salariés ne sont finalement guère consultés dans la mesure où ils ne votent que tous les quatre ans, mais pas réellement en dehors de cette période.

Par conséquent, du moment où l'on parle de dialogue social, ne faut-il pas également enrichir la relation qui existe entre les syndicats et les salariés ? Les directions d'entreprises et les salariés ? Le dialogue social est toujours réduit à ce syndicalisme de représentants, dont la représentativité n'est vérifiée qu'une fois tous les quatre ans. Cela est-il suffisant pour parler de dialogue social ? L'expression n'est-elle pas plaquée sur une réalité qui n'est pas vraiment un dialogue ?

Si l'on veut lier dialogue et performance économique, il faudrait peut-être tendre vers une démocratie sociale un peu plus participative. C'est le modèle politique que l'on a transposé dans le modèle de l'entreprise, mais c'est peut-être un peu réducteur.

Le syndicalisme à l'heure est relativement institutionnel et bureaucratique, même si les situations sont différentes en fonction des entreprises. C'est un vrai problème de fond qui touche à la tradition syndicaliste en France. Dans les autres pays européen, un syndicat, pour être légitime et reconnu, doit avoir des adhérents, des cotisants et soutiens actifs et continus des salariés. Ce n'est pas le cas en France, et cela biaise d'une certaine manière le dialogue social.

L'arsenal de mesures présentées par François Rebsamen sont-elles susceptibles de changer la donne et améliorer les conditions du dialogue social en France ?

Jean-Charles Simon : Pour l’essentiel, il s’agit vraiment de gadgets démagogiques et sans intérêt. La représentation des salariés dans les TPE par des instances régionales externes est ainsi une vaste blague. Qui peut imaginer qu’il faille créer quoi que ce soit dans ces micro-entreprises où patrons et salariés passent toute leur journée ensemble, souvent dans la même pièce ? C’est absurde, et il ne s’agit, on le sait bien, que de donner de nouveaux mandats et de nouveaux moyens aux organisations syndicales, que ces salariés ignorent jusqu’à présent complètement. Le regroupement des instances du personnel et la simplification des institutions représentatives des salariés en entreprise est un sujet important, mais son traitement est un nouveau gâchis. Pour ne fâcher personne, on modifie les appellations mais on ne change ni les moyens, ni les prérogatives, ni les heures de délégation ! C’est vraiment de la cosmétique. Le gouvernement a laissé négocier des partenaires sociaux sur le dialogue social, et ceux-ci, en partie à cause des divisions internes dans chaque camp, n’ont même pas réussi à faire comme d’habitude, c’est-à-dire aboutir à un consensus mou. Le gouvernement a repris les textes en négociation, et a choisi la voie du milieu… Autant dire qu’on aurait pu se passer de ce texte de loi, qui ne changera rien aux problématiques économiques et sociales françaises.

Dominique Andolfatto : La loi cherche une simplification, une remise à plat de certaines institutions du dialogue social, une réduction d'ailleurs de ces institutions. Si la loi aboutit, on aurait bien un commencement de simplification. Pour autant, toute complexité ne va pas disparaître.

L'un des problèmes de fond de cette réforme, comme d'ailleurs de toutes les réformes sociales, c'est que l'on ne demande pas vraiment comment les salariés conçoivent ce dialogue. Tout se passe entre l'Etat et un syndicalisme de représentants, qu'il s'agisse des syndicats de salariés ou des organisations d'employeurs.

L'avant-projet de loi fait près de 80 pages. Même si on promet une simplification, un tel projet reste quelque chose de très complexe. La réglementation de ce dialogue risquera donc d'être encore très pointilleuse, malgré un début de simplification. Des procédures vont être simplifiées, des institutions fusionner… Cela va dans le bon sens mais nous n'en sommes qu'au début. Encore faut-il que trop de concessions ne soient faites aux frondeurs ou à la gauche de la gauche, pour éviter de rajouter de la complexité à la simplification, sous peine de se trouver avec quelque chose de plus complexe que la situation ne l'est actuellement.

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