Les petits français marchent de moins en moins car nous les en empêchons <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Les enfants entre 11 et 17 ans marchent moins qu'en 1994.
Les enfants entre 11 et 17 ans marchent moins qu'en 1994.
©Reuters

Bébés Wall-E

Le classement médiocre de la France sur la mobilité des enfants s'explique par le fait que nous limitons volontairement leurs déplacements.

Alain Legendre

Alain Legendre

Psychologue environnementaliste. Chercheur au CNRS.

Voir la bio »

Atlantico : D'après l'étude de 2008 du commissariat général au développement durable CGDD, les enfants entre 11 et 17 ans marchent moins qu'en 1994. Une autre étude anglaise de juillet 2015 sur la mobilité des enfants classe la France à la 8ème place sur 16 pays participants. Pourquoi nos enfants marchent-ils si peu ?

Alain Legendre : Et encore, le 8ème rang français décerné par l'étude PSI sur 16 pays pourrait paraître une « honorable moyenne » alors qu’en fait, les résultats obtenus sur les « licences » ou autorisations à sortir et de se déplacer nous placent loin derrière le peloton de tête et même à l’écart de l’Angleterre qui occupe le 7ème rang.

L'une des causes principale de la régression de la mobilité des enfants est l'inquiétude parentale pour les risques routiers. Selon l'étude citée, en France, presque 75% des parents se disaient inquiets ou très inquiets sur la question. En Suède, cette proportion tombe à 60%. Un écart  qui s'explique par un contrôle aigu de la circulation dans ce pays et s'il y a une infraction, elle est sévèrement punie.

Les enfants et les adolescents, eux, ne sont pas vraiment inquietés par le trafic routier (25% des enfants seulement).  Quand ils se déclarent gênés, c'est à cause des bruits des camions etc. En revanche,  ils ont des peurs sociales: peur de "l'étranger". Ils ont aussi peur peur de se perdre, d'être agressés -souvent par d'autres enfants ou peur des chiens dans la rue.

On retrouve cette perception des risques sociaux chez les parents. Dans l'étude du PSI, les questions étaient indirectes mais on comprend quand même en double fond que les parents craignent que leurs enfants se fassent aggressés s'ils sont seuls et ne font pas vraiment confiance à leurs voisins pour prendre en charge leur enfant à l'extérieur. Et là, on note une différence entre la France et les autres pays du peloton de tête de l'étude, comme les pays scandinaves, le Japon et l'Allemagne. En Allemagne, tout adulte exerce un contrôle social sur les enfants dans l’espace publique, ce qui est perçu comme sécurisant par les parents. Même si le PSI souligne la diminution du sentiment de sécurité des parents allemands par rapport à une enquête précédente effectuée en 2000.

Vous parlez de "perception de risques". La différence entre le ressenti et le réel est-elle importante ?

En ce qui concerne les risques routiers, c'est difficile à dire. Nous avons tenté de connaître les chiffres réels des accidents routiers en Bretagne pour l'étude du PSI. Mais entre les chiffres de la gendarmerie, ceux de la police, dont certains se recoupaient, d'autres pas, il était impossible d'en déduire quoi que ce soit de précis.

En revanche, côté risque social, on peut dire qu'il y a un net décalage entre la perception et le réel. Enquêtant dans un petit village tranquille sur les enfants de l'école élémentaire, une petite de 8 ans me dit alors: "J'ai peur d'être volée". Elle voulait dire peur d'être enlevée. Pourquoi? "Monsieur, vous ne regardez pas Plus belle la vie? Ou au moins les informations?" m'interroge-t-elle.  Le battage médiatique affecte beaucoup les enfants. Il n'était pas question ici d'une peur associée à une expérience personnelle, mais à des informations véhiculées par les médias. Ils ont bien quelques peurs fonfées sur des expériences réelles, peur des personnes saoules ou droguées. Mais c'est en général anecdotique.

La différenciation entre l'information transmise par le média et le risque réel est difficile à appréhender pour les jeunes comme pour les moins jeunes. Ainsi, même si statistiquement, le risque réel est très faible, la peur est là.

D'une manière générale, on constate que l'autonomie de déplacement des filles est plus restreinte que celle des garçons. Dans les quartiers  défavorisés,  nous avons observé que les filles ont une autonomie d'accès aux espaces extérieurs qui augmente jusqu'à 10 ans et après diminue. Le contrôle social sur les filles est impressionnant dans ces quartiers.  A 11 ans, beaucoup d'entre elles n'ont plus le droit de sortir.

Aux vues des perceptions du risque par la société, la pression sur les parents doit-être importante ?

En France aujourd'hui, il est mal vu de laisser son enfant aller seul quelque part. Les parents se sentent obligés de se justifier quand on les interroge sur la mobilité autonome de leurs enfants. Ils laissent leur enfant acheter le pain? "Oui, mais, ajoutent-ils, on peut le voir depuis la fenêtre". La norme sociale a changé.  Aujourd'hui, un enfant doit être surveillé et accompagné à l'extérieur. Comme le montre les études du PSI, jusque dans les années 70, 80% des enfants allaient à l'école seuls, aujourd'hui 80% des enfants sont accompagnés par des adultes et plus de la moitié d'entre eux sont accompagnés en voiture. 

Cette norme a été en partie façonnée par les médias. Je me rappelle de ce journaliste qui culpabilisait une mère dont l'enfant venait d'être enlevé. "Elle discutait avec une amie" insistait ce journaliste. Sous entendant ainsi que c'était un peu de la faute de la mère dont la surveillance n'avait pas été assez vigilante.

Cette pression nous mène à des extrêmes: l'avènement d' "enfants d'intérieur".  C'est une étude hollandaise qui a utilisé la notion d'indoor children pour décrire la situation. 10 à 15% d'enfants ne sortent pas jouer à l'extérieur. Cette même étude montre qu' à l'intérieur ils ont une grande liberté. Toutes les inquiétudes se concentrent sur l'extérieur.

Trottoirs trop étroits, place de l'Eglise devenue parking. L'espace urbain est il aussi un obstacle à la mobilité des enfants ?

Il existe des espaces dédiés aux enfants. Le problème vient de l'accessibilité de ces espaces. Pas vraiment à cause des trottoirs. Mais plutôt  à cause de la distance qui les sépare de cet espace. Le réseau des villes a donné des critères de conception urbaine pour des parcs et aires de jeux en milieu urbain dense: les enfants de l'école primaire doivent être à moins de 200 mètre de l'aire pour pouvoir y accéder de façon autonome. En réalité, le cheminement est souvent beaucoup plus long. La densité d'enfants et des aires de jeux est souvent décalée. Il peut y avoir beaucoup d'enfants et peu d'aires de jeux à proximité.

Les pouvoirs publics communiquent beaucoup autour des grands parcs. Il est vrai que les enfants sont attirés par les parcs avec de grands équipements. Mais les petits espaces de jeux, de proximité sont essentiels. Les enfants ne peuvent aller en centre-ville tous les jours pour accéder aux grands espaces. S'ils veulent voir leurs amis, cela pose un problème.

Il y a trente ans , il n'y avait pas non plus d'aires de jeux définies comme tellesMais les enfants ne rencontraient pas ce problème du conflit d'appropriation: En milieu urbain, il n’existe aujourd’hui plus beaucoup d’espaces libres, de "dents creuses" comme disent les urbanistes, que les enfants puissent investir sans entrer en conflit  avec d’autres catégories de citoyens ou d’usagers.

J'ai réalisé une autre enquête sur cette question. Des garçons jouaient le long d'une voie, sur une pelouse. Ils y avaient inventé un terrain de foot. Mais ne pouvaient plus y aller parce que le voisin leur a interdit. D'après lui, le ballon pouvait abîmer sa barrière. L'enfant est confronté à beaucoup plus d'interdits sociaux qu'auparavant. On arrive à une conception de l'espace totalement normalisée. Les enfants aiment s'approprier des espaces. Aujourd'hui, ils ne peuvent plus s'approprier des espaces  qui ne leur sont pas dédiés. Et encore, la tolérance vis-à-vis des enfants est plus grande que vis-à-vis des adolescents. 

Le développement d'une vie sociale numérique nuit-il à la mobilité de l'enfant ?

Avant 11 ans, cela n'a pas beaucoup d'impact. Pour rentrer en contact avec ses amis, utilisation de portable et internet. Le portable n'est pas un outil de communication pour 73% des enfants entre 9 et 11 ans. Il s'opère une rupture à 11 ans: à cet âge, près de 40% des enfants utilisent souvent ou assez souvent un portable pour communiquer avec leurs amis. Internet est utilisé de manière régulière par  60% des enfants de 11 ans. Pour les petits, c'est très anecdotique.

Notre nouveau mode de vie à 200km/h,  et le peu de temps que les parents accordent aux enfants est-il une raison de la baisse de leur mobilité ?

Sur cette question, tout dépend de la distribution sociale. Les parents des hautes classes sociales n'ont pas le temps, donc en général, ils délèguent. Mais dès la 6ème, l'enfant devient autonome. Dans les classes défavorisées: Les familles n'ont pas non plus le temps de s'occuper des enfants. Alors ils sortent seuls. En revanche, dans les classes moyennes: le contrôle sur les enfants est très important. Leur semaine est totalement programmée: Ils ont des activités cadrées dans des clubs. Le temps libre de la déambulation est réduit à zéro.

Il y a aussi un problème général d'extension des distances. La maman qui a un petit à accompagner à l'école située à 300 mètres le déposera malgré tout en voiture  parce qu'elle doit emmener le plus grand au collège qui se situe à un autre endroit et ensuite partir au travail à un troisième endroit. L'enfant n'est plus accompagné mais déposé en passant dans une trajectoire routière.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !