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Mesures en faveur des entreprises : un bilan de l'efficacité réelle des annonces successives du gouvernement depuis 2012
©Reuters

Dupes ou masos ?

En visite dans la Silicon Valley, mercredi, François Hollande a proclamé sa foi dans les entreprises innovantes et les start-up. Symbole de cette lune de miel : le "hug" (accolade) qu'il a accordé à Carlos Diaz, à l'origine du mouvement des "Pigeons".

Atlantico : Les médias ont fait tourner en boucle la désormais fameuse accolade (hug) entre François Hollande et Carlos Diaz, leader du mouvement des Pigeons, voulant y voir le signe d'une réconciliation entre le président et les entrepreneurs. Concrètement, le secteur privé a-t-il pour le moment de vraies raisons de baisser la garde ? Les faits leur donnent-ils raison de croire aux déclarations d'intention de l'exécutif à leur égard ?

Eric Verhaeghe : Toutes les entreprises vivent une période particulièrement difficile. La croissance n'est pas au rendez-vous annoncé et la conjoncture est extrêmement "gluante". Tout le monde se regarde en chien de faïence, dans l'attente d'une lueur à l'horizon. Partout, la pesanteur de la machine bureaucratique est la même. Je prends l'exemple des Big Data : le rapport Lauvergeon nous dit qu'il est une piste d'avenir -  une piste de premier ordre pour relancer la croissance. Mais l'administration, qui est la plus grande collecteur de données en France, refuse toujours de transmettre les fichiers publics, alors même que le droit communautaire l'y oblige. Pourquoi ? Parce que les fonctionnaires ne veulent pas bouger et ont décidé de s'émanciper des lois et des règlements. Il est vraiment temps que la machine bureaucratique soit reprise en main par les politiques.

Jean-Pierre Corniou : Il est clair que l’annonce du Pacte de responsabilité a marqué un tournant imprévu dans le quinquennat mais certainement pas dans le parcours idéologique du deloriste qu’est François Hollande. Il est curieux de penser qu’un homme expérimenté ait à ce point sous-estimé la situation économique de la France où le gouvernement doit concilier la réduction d’un déficit public endémique avec un croissance anémique et surtout une révolution technique mondiale qui bouleverse, les uns après les autres, les secteurs économiques et donc l’emploi.  Mais par prudence, comme la plupart des candidats à cette récompense suprême que représente la présidence de la République il est prudent de ne pas annoncer trop de mauvaises nouvelles pendant une campagne électorale ! Sur le fond, on peut penser que ce virage idéologique qui reconnait une place majeure à l’entreprise dans la croissance économique, est sincère et légitimé par la conscience de l’ampleur des défis que l’économie française doit relever avec un Etat privé de ses marges de manœuvre habituelles. Annoncer successivement dans une logique sociale-démocrate assumée qu’il faut baisser les dépenses de l’Etat de 50 milliards € et restituer aux entreprises 30 milliards de charges sociales n’est certes pas anodin : c’est un changement majeur dont la caractère clair et mesurable engage profondément François Hollande et conditionne sa réélection et sa trajectoire politique.

Quelles marques le président de la République, que ce soit quand il était à la tête du PS, pendant la campagne présidentielle ou depuis qu'il est au pouvoir, a-t-il apporté de sa volonté de soutenir les entreprises ? Quelles sont ses déclarations pro-entrepreneurs les plus marquantes ?

Eric Verhaeghe : François Hollande déclarait déjà en 2004 que la désindustrialisation n'était pas un problème et qu'il fallait simplement la "corriger" en formant les ouvriers qui perdaient leur travail, pour les aider à trouver un autre emploi. Depuis cette époque, sa ligne n'a guère changé. En annonçant le CICE, il a en quelque sorte donné la première formalisation de sa doctrine économique. Le pacte de compétitivité en est la suite logique. Le problème, c'est que cette doctrine est celle d'un homme qui n'a jamais travaillé dans une entreprise, et qui ne connaît celle-ci que par les livres ou par ouïe-dire. Les mesures qu'il préconise sont toutes tournées vers la grande entreprise de main-d’œuvre, comme si rien n'avait changé depuis les mines de charbon et les grandes usines sidérurgiques que Zola décrivait. Les entreprises d'innovation ou les entreprises soumises à la concurrence internationale ont besoin d'autre chose que de subventions plus ou moins déguisées. Elles ont besoin de clients, de possibilité de développements, d'un service public qui fonctionne, d'une sécurité juridique. 

Jean-Pierre Corniou : La relation de François Hollande avec l'entreprise reste profondément ambigüe. Par sa formation HEC, et ses années d’enseignement d’économie à Sciences Po, on peut penser qu'il a gardé une compréhension de la microéconomie qui doit lui permettre de comprendre ce qu'est un compte d'exploitation. Mais son lourd passé de dix ans comme premier secrétaire du Parti socialiste à du enfouir cette culture sous des couches de langue de bois et de discours convenus qui professent depuis longtemps une aversion curieuse envers l'entreprise coupable d’exploitation. 

Les déclarations de François Hollande pendant la campagne électorale traduisent bien cette difficulté à reconnaitre à gauche le rôle central de l’entreprise dans la création de richesse ce qui est normal dans un pays, qui continue à confondre à dessein entreprise et « patrons ». Toutefois, l’exercice du pouvoir face aux dures réalités économiques ont progressivement infléchi le discours. En juin 2013 il affirme clairement « Je pars d’un constat simple qui nous rassemble : ce sont les entreprises qui créent de l’emploi ».  Depuis il ne cesse dans ses interventions de mettre l’entreprise au cœur du dispositif de création d’emploi.  En janvier 2014 il déclare à Strasbourg que « nous devons dégager des marges de manœuvre à la fois pour réduire notre déficit, éviter des prélèvement supplémentaires et permettre que les entreprises aient davantage de ressources pour investir et pour embaucher ». Le schéma de pensé s’affirme. François Hollande semble désormais échapper à son ambiguïté originelle et  son discours récent en faveur d’une politique de l’offre tend à mettre l’accent sur la compétitivité de l’entreprise, que ce soit dans les investissements productifs que dans la réduction des coûts de main-d’œuvre.

Comment ces marques, ces déclarations se sont-elles concrétisées par la suite ? Et avec quels résultats concrets ? Quels effets pervers ?

Eric Verhaeghe : La politique du gouvernement est largement "opérée", mise en pratique, par des gens qui ne connaissent l'entreprise que par les lobbies des grandes entreprises qu'ils rencontrent. Les mesures réglementaires qui en découlent sont donc, dans le meilleur des cas, adaptées aux grandes entreprises. On pourrait prendre la politique d'égalité professionnelle comme parfait exemple de ce travers. Tout le monde est pour l'égalité hommes-femmes, mais personne ne veut s'attaquer aux racines du mal : pourquoi y a-t-il peu de femmes maçons ? pourquoi y a-t-il peu de femmes informaticiennes ? ou tradeuses ? La langue de bois officielle dit que tout cela remonte à la petite enfance et aux préjugés de genre. Donc, on ne peut rien changer avant 30 ans, et notamment on s'interdit d'avoir une grande explication avec les enseignants et les conseillers en orientation qui sont des producteurs conscients de discrimination. En revanche, on surcharge le patron de TPE ou de PME avec des règles terriblement compliquées et donnant lieu à des sanctions si elles sont mal appliquées dans le domaine de l'égalité. Est-il normal que l'entreprise soit chargée de la mission officielle de correction des inégalités, quand l’État a lui-même démissionné dans ce domaine? 

Jean-Pierre Corniou : Le Crédit impôt compétitivité emploi et ses vingt milliards d’abaissement de charges et le Pacte de responsabilité, qui en prévoit trente, sont des engagements intéressants qui veulent apporter une réponse au problème de compétitivité coût de l’industrie française. A cette demande ancienne des chefs d’entreprise, il répond par des mesures claires en rupture avec les réticences idéologiques habituelles de la gauche. Si les orientations du gouvernement apparaissent fermes, l’exécution hésitante montre aussi que tous les membres du gouvernement ont de la peine à partager spontanément cette conviction qui heurte encore l’aile gauche du Parti Socialiste.

Pacte de responsabilité, choc de simplification, baisse des charges... quels engagements restent à tenir ? Au-delà des effets d'annonce, comment le gouvernement s'y emploie-t-il concrètement ?

Eric Verhaeghe : Tous, je crois. Officiellement, la simplification a progressé grâce à la création d'un guichet public unique pour les entreprises. C'est l'attrape-couillon classique, qui fait croire que le problème de la complexité administrative est juste une affaire de formulaire compliqué à remplir. Bien entendu, le problème est de nature différente, mais les fonctionnaires refusent de le voir pour des raisons corporatistes. La complexité administrative, c'est une prime donnée aux initiés, et le problème est là. Prenons l'exemple des marchés publics: ils sont horriblement compliqués. Grâce à cette complexité, l'administration fait à peu près ce qu'elle veut dans l'attribution des marchés. Lorsque j'étais fonctionnaire, j'ai fait de l'achat public. Maintenant que je suis chef d'entreprise, il m'arrive de répondre à des appels d'offres publics. Une réponse mobilise beaucoup de temps, parce que c'est très compliqué. Je me souviens d'avoir eu une note technique de 4/20 sur une réponse, qui était une note éliminatoire. Le dossier que j'ai présenté faisait pourtant 80 pages. Lorsque j'étais acheteur, je n'en avais jamais vu d'aussi bien préparé. J'aurais admis qu'on me colle une note de 12/20 si on n'était pas d'accord avec le contenu. A 4/20, il est évident que j'ai été éliminé pour faire passer un copain du jury. La complexité qui gêne, c'est ça : des procédures supposées extrêmement précises, rigoureuses, et qui en bout de course cache des choses peu glorieuses.

Jean-Pierre Corniou : Il est évident que ce qui risque de dégrader la cohérence de ce nouveau discours, c’est la capacité à mener avec vigueur les mesures nécessaires et qu’elles aient un impact visible sur la confiance des entrepreneurs mais aussi des salariés. C’est la vitesse d’exécution qui va conditionner la crédibilité du message. S’il est difficile, en dépit des rodomontades, de défendre les emplois du passé, c’est l’aptitude à créer de nouveaux emplois qui va induire la dynamique indispensable. Or la tâche est complexe et la notion de « contreparties », bien confuse et impossible à mettre en œuvre.

François Hollande s’est inscrit en continuité dans la logique de développement de l’innovation qui a installé en France un ensemble de mécanismes d’aide comme le Crédit Impôt recherche, dont le montant s’est élevé à 5,8 milliards € en 2013,  dont l’efficacité est reconnue par les grand acteurs mondiaux. Par ailleurs la France avec BPI France dispose d’un système d’aide efficace aux start-ups. Certes aucun pôle de compétitivité ne peut encore arriver aux performances de l’écosystème unique que représente la Silicon Valley. Il y a encore beaucoup à faire en France pour rationaliser la logique fiscale et retrouver les bases sereines d’un consentement à l’impôt. Mais c’est surtout la simplification du Code du travail qui pourrait également rassurer les chefs d’entreprise sans nuire aux salariés. Le Code du travail cherche à gérer des situations très diversifiées avec des règles homogènes de protection. Or pour développer des start-ups les règles classiques de durée du travail ou de représentation syndicale sont inappropriées. Il faut imaginer des dérogations pour ce type d’entreprise qui rassemblent des cerveaux d’œuvre qui ne peuvent fonctionner dans un cadre contraint et normatif. Mais ce chantier, pourtant indispensable selon les inspecteurs du travail eux-mêmes, n’est pas ouvert tant il est complexe et s’oppose à des tabous tenaces.

Quelles décisions prises qui ne visaient pas directement les entreprises ont eu des effets secondaires pour elles ?

Eric Verhaeghe : Incontestablement la suppression des prélèvements libératoires sur les dividendes a causé des dégâts catastrophiques. Anciennement, quand un patron avait un petit salaire, il pouvait se rémunérer avec des dividendes imposés à 20 %. Maintenant, le taux d'imposition est globalement le double. Voilà qui fait très mal.

Quel bilan global faire en terme de concrétisation des engagements ? Les entreprises et leurs salariés s'y retrouvent-ils vraiment ?

Eric Verhaeghe : Là encore, un examen rapide de la réalité montre que, derrière les déclarations d'intention, se cachent des vérités moins enviables. Par exemple la généralisation de la complémentaire santé, qui est une bonne idée, s'est accompagnée d'une fiscalisation de la part patronale qui dégradera brutalement le niveau de vie des cadres et des salariés les mieux payés. Ce phénomène est désagréable, car il rend de plus en plus méfiant vis-à-vis des discours politiques, c'est-à-dire des visions, et il ramène le débat public à des engagements techniques, car ce sont les seuls auxquels les Français peuvent croire. Voilà qui est peu encourageant. 

Jean-Pierre Corniou : On ne peut compter les points qu’à la fin du match et il est prématuré de juger du quinquennat en termes de création de richesse et d’emploi. Les choses peuvent changer même si les nuages s’accumulent sur l’économie mondiale et il est peu vraisemblable que le salut viendra des pays émergents confrontés à des problèmes structurels et politiques.  Mais il est toujours difficile d’attribuer à un gouvernement, et encore plus à un homme seul, le mérite de la performance économique qui résulte d’un ensemble complexe de paramètres dont les responsables politiques ne maîtrisent plus les règles. Ils ne peuvent agir qu’en créant un climat favorable. Pour le moment, il manque encore à François Hollande un discours clair, constant et convaincant pour développer la confiance dont a besoin le pays pour croire à nouveau en son avenir.

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