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Mensonges assumés, racisme à peine voilé : comment Donald Trump surfe sur sa stratégie du dérapage permanent
©Reuters

Borderline

Le candidat républicain à la primaire de l'élection présidentielle américaine multiplie les prises de parole provocantes. Une manière pour lui d'appuyer une stratégie populiste et anti-système. Toutefois, bien qu'il récolte des intentions de vote élevées selon les sondages, la primaire est loin et rien ne permet d'affirmer que sa stratégie s’avérera payante.

François Clemenceau

François Clemenceau

François Clemenceau est rédacteur en chef International au Journal du Dimanche. Il était précédemment rédacteur en chef de la matinale d’Europe 1 après avoir été correspondant de la radio à Washington pendant sept ans. Son blog USA 2008 sur la campagne présidentielle américaine a reçu la Coupe de l’Info 2009 du meilleur blog politique et économique.Son quatrième livre sur la politique américaine, Hillary Clinton de A à Z vient d'être republié dans une édition augmentée (éditions Du Rocher). 

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Atlantico : En pleine campagne électorale, le républicain Donald Trump multiplie les propos polémiques. Il a ainsi relayé, sur son compte Twitter, un tableau indiquant que 81% des blancs assassinés aux Etats-Unis le sont par des noirs alors que les statistiques officielles du FBI démontrent que ce chiffre est de 14,8%. Comment expliquer une stratégie de campagne aussi outrancière, et ici, délibérément mensongère ? 

François Clemenceau : Donald Trump n'est pas un politicien classique. Il n'a aucune expérience, bien peu de culture exécutive et il s'en vante. Pour lui, les institutions, les élus et la classe politico-médiatique dans son ensemble ont failli. De ce point de vue, il est en phase avec la majorité des électeurs américains qui n'ont jamais aussi peu fait confiance aux pouvoirs publics pour résoudre les problèmes auxquels ils font face. En ce qui concerne la criminalité et l'immigration, Donald Trump préfère traiter le "ressenti" des électeurs plutôt que leur capacité à regarder les faits tels qu'ils sont. Nous sommes là dans une posture typiquement populiste et démagogique qui correspond avec cette phase des périodes pré-primaires où l'opinion publique s'adonne à une forme d'exutoire, de défoulement où l'on peut se plaindre de tout sans forcément adhérer à des propositions de changement sociétal dans la mesure où la campagne proprement dite n'a pas encore commencé. On peut en dire autant pour ce qui se passe dans la mouvance démocrate où un Bernie Sanders, sur un ton plus idéologique, "vend" un programme qui revigore l'aile gauche du parti en sachant que la majorité du courant démocrate est plus centriste.

Lorsque ses propos s'avèrent mensongers, pourquoi est-il tout de même difficile de le contrer ? Peut-on en conclure que l'électorat potentiel de Donald Trump est dans une situation de rupture, plus enclin à croire son candidat plutôt que les faits ?

Je ne suis pas certain que les électeurs "croient" en ce que raconte Donald Trump ou en ses promesses. Mais toute une frange droitière de l'électorat est ravie de le voir mettre les pieds dans le plat et remuer le couteau dans la plaie sur des sujets tout aussi importants que polarisants. Les médias "sérieux" décortiquent les paroles de Trump pour en dénoncer les approximations, les contre-vérités ou les outrances, mais le candidat populiste en profite pour les jeter dans le même sac que les autres institutions, responsables selon lui du manque de résultats des politiques publiques. L'extrême droite, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, aime à dénoncer les médias, coupables, selon elle, de connivence avec les élus et d'être éloignés des réalités que vivent les gens au quotidien. Il reste encore aux Etats-Unis un mouvement important de prise de distance vis à vis du monde des médias nationaux installés sur la côte Est (à Washington et New York), accusé d'e ne pas respecter les valeurs traditionnelles et d'être trop respectueux à l'égard de la classe politique. Donald Trump, idéologiquement, n'est pas un héritier de l'extrême droite américaine, incarnée par le Tea Party, mais il la courtise parce qu'elle pèse encore pour un gros tiers de l'électorat républicain.

Après avoir proposé de "déporter" des millions d'immigrés, cette nouvelle polémique renforce l'idée d'une approche raciste de Donald Trump. Une telle stratégie est-elle vouée à l'échec, aussi bien dans le cadre des primaires que de dans le cadre de l'élection présidentielle elle-même ?

Je ne sais pas si elle est vouée à l'échec. Il est encore trop tôt pour le dire car les primaires débuteront le 1er février. Mais on notera que dans tout cycle électoral pour une présidentielle, la majorité des sympathisants des deux partis finissent par procéder par élimination dans le choix qui leur est proposé. Et l'un des premiers critères qui finit par s'imposer,  au-delà de la sympathie (« likability »), c’est la capacité à se faire élire (« electability »). Autrement dit, les républicains auront à répondre à la question de savoir qui est le mieux placé d'entre tous pour battre le candidat d'en face, probablement à ce stade, Hillary Clinton. Or, plus le candidat adverse est centriste plus son challenger doit savoir rassembler au plus large. Sauf coup de théâtre, nous serons dans ce cas de figure vers le mois de mars, au plus tard en avril. On verra bien à ce moment-là si Donald Trump est toujours aussi prometteur. On peut en douter. Car s'il se recentre, une grande partie de ceux qui l'ont encensé à l'automne se sentiront trahis.

Cette stratégie mène-t-telle le camp républicain, dans son ensemble, vers une défaite assurée, par la voie d'un manque de crédibilité général au sein du parti ? 

Non, je ne crois pas. Ce n'est pas parce que Donald Trump ou Ben Carson, très bien placé lui aussi dans les sondages, sont sous les feux de la rampe et font la course en tête aujourd'hui, en raison de leur capacité à faire scandale, que leurs rivaux républicains vont rester muets. On voit bien qu'aujourd'hui, des hommes comme Jeb Bush, Marco Rubio ou John Kasich attendent leur heure et micro-ciblent leur campagne tout en continuant de récolter des fonds pour les batailles de l'hiver. Or ces candidats, plus modérés, obtiennent des scores d'intention de vote non-négligeables au cas où ils auraient à faire face à Hillary Clinton l'été prochain. Comme si ce choix par élimination commençait déjà à fonctionner dans les esprits des sympathisants de la droite américaine. En attendant, il est vrai que rien ne ferait plus de mal au Parti républicain que de se droitiser de plus en plus en fonction du seul rythme que lui imposent un Donald Trump ou un Ben Carson. A ce jeu-là, si personne ne vient siffler la fin de la récréation, les héritiers de Nixon, Reagan et Bush pourraient bien rater leur 3ème rendez-vous d'affilée avec la Maison Blanche.

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