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Mega trou d’air chez Apple, alunissage d’une sonde chinoise : mais qui sera le maillon faible 2019 du trio Chine - Etats-Unis - Europe ?
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Et le perdant est...

La sonde chinoise "Chang'e-4" s'est posée hier sur la face cachée de la Lune. Une étape importante pour le programme spatial et une illustration de la tentative de montée en gamme du modèle économique chinois.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : De la déception des résultats d'Apple, notamment en raison des ventes sur le sol chinois, à l'alunissage réalisé par Pékin sur la face cachée de la lune, que peuvent nous dire ces événements apparemment déconnectés de la situation technologique actuelle ?

Rémi Bourgeot : L’alunissage chinois sur la face cachée est une étape importante pour le programme spatial chinois, au-delà du symbole lié à la première de cette prouesse. La difficulté à poser un module sur la face cachée de la lune provient en particulier de l’absence de contact radio direct ; ce qui nécessite la présence d’un transmetteur en orbite, qui avait été lancé avant l’été. Les Américains et les Russes en auraient également la capacité technologique, mais la complexité de la procédure dans son ensemble indique dans le cas chinois une avancée significative en termes de fiabilité.
Cette avancée fait naturellement écho à la volonté de montée en gamme du pays dans un ensemble de secteurs, avec une focalisation largement commentée sur l’intelligence artificielle. Le spatial reste néanmoins un secteur clé par ce qu’il révèle du potentiel technologique des pays, en ce qui concerne la gestion de la complexité et des exigences de fiabilité extrêmes. Comme l’avait illustré l’exemple soviétique, il n’existe pas de lien systématique ou durable entre le niveau des compétences spatiales et les avancées techno-économiques à l’échelle d’une société, mais il s’agit dans tous les cas d’un marqueur important. L’enjeu pour la Chine consiste à réorienter son modèle économique sur la montée en gamme et les gains de productivité dans cette période de ralentissement prolongé. Derrière l’exaltation liée aux annonces d’investissements spectaculaires dans l’intelligence artificielle, il faut garder à l’esprit que les bouleversements technologiques liés à la quatrième révolution industrielle restent de nature en réalité très incrémentale dans le monde, reposant sur des concepts élaborés au cours des décennies passées. La Chine se positionne de façon résolue dans ce contexte par divers moyens, dont certains sont naturellement décriés. Le pays fait plus généralement le pari de la planification technologique, tout comme les Etats-Unis le firent à partir de l’entre-deux-guerres et l’Europe de l’Ouest dans l’après-guerre. Les Etats-Unis, dans leur domination du secteur des technologies informatiques en particulier, continuent à reposer sur la structuration complexe entre la Silicon Valley, un système universitaire décemment financé, et les agences étatiques, sans pour autant suivre une stratégie technologique centrale.

Le cas d’Apple que vous évoquez est intéressant à cet égard. Tim Cook, en prévenant les investisseurs de résultats décevants à venir, a insisté sur le poids du ralentissement en Chine et des tensions commerciales. Il faut naturellement y ajouter la question du positionnement tarifaire et du niveau technologique de la concurrence, alors que l’on assiste à un rattrapage technologique significatif et à une concurrence difficilement soutenable de la part des concurrents d’Apple. En Chine, l’iPhone est l’apanage de jeunes à la recherche de signes extérieurs de branchitude, prêts au sacrifice financier que cela induit, tandis que les classes moyennes supérieures préfèrent acheter des marques nationales. 

La production occidentale reste indispensable à l’appareil industriel chinois, comme on le voit autant dans les semi-conducteurs que dans les machines-outils. Cependant, en ce qui concerne la consommation, qu’il s’agisse des iPhones, de l’automobile allemande ou du luxe français, les entreprises des pays développés ne peuvent reposer sur l’idée que les milliards de consommateurs des classes moyennes émergentes vont plébisciter indéfiniment les produits occidentaux souvent de plus en plus substituables. La clé de la croissance reste dans l’avancement technologique et la réintégration géographique des processus de conception, production et consommation.

Comment placer l'Europe et sa stratégie économique, dans ce contexte ? 


Reprenons l’exemple du spatial. Aujourd’hui, une entreprise comme Arianespace rencontre d’importantes difficultés, avec la concurrence notamment de SpaceX, société d’Elon Musk, et les émules qui verront peut-être le jour ici et là sur la planète, sur la base de coûts fortement réduits et de technologies désormais transposables. De nombreux secteurs où la France et l’Europe plus généralement maintiennent une forte position industrielle connaissent une concurrence accrue que ne parviennent pas à contenir une certaine supériorité en termes de fiabilité ou les effets de marque dans certains secteurs. L’automobile allemande, encore embourbée dans le scandale du diesel, est ainsi tout autant menacée dans le contexte de l’émergence de l’électrique et des véhicules autonomes. Les évolutions industrielles reposent sur des avancées technologiques de nature très incrémentale et souvent lentes dans leur déploiement concret. La compétitivité européenne a tendance à reposer sur des compétences développées il y a désormais plusieurs décennies et qui n’ont pas fait l’objet d’efforts suffisamment continus de développement sur le plan fondamental. La situation est préoccupante en France à cet égard, avec la substitution progressive du primat administratif aux politiques technologiques depuis quatre décennies. A l’échelle européenne, l’idée d’un modèle d’excédents commerciaux chroniques, sur la base de la compression des coûts salariaux et des investissements, et la focalisation sur les fonctions « d’aide à la personne », freinent irrémédiablement le développement technologique. L’insuffisant effort technologique européen intervient à un moment où la Chine fait un effort considérable en ce sens, malgré diverses failles, et où les Etats-Unis parviennent à tirer profit de la structure complexe de leur système d’innovation sur le plan fondamental et entrepreneurial, en particulier dans le secteur informatique où leur position reste prépondérante. 

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