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Nous sommes déjà des hommes bioniques !
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Cyborg

Des médecins espagnols viennent de greffer deux jambes à un patient amputé suite à un accident. Une première mondiale. Jusqu'où ira la techno-médecine ? Selon le médecin Roland Moreau, auteur de l'ouvrage "L'immortalité est pour demain", les progrès de la science permettront à l'homme de vieillir à l'infini. Au point de ne plus mourir ?

Roland Moreau

Roland Moreau

Roland Moreau est biophysicien et inspecteur général des Affaires sociales.

Il a notamment écrit L'immortalité est pour demain (Bourin Editeur, 2010). 

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Atlantico : La greffe récente de deux jambes chez un homme a suscité de nombreuses critiques.  « Manipuler l’humain », est-ce un problème ?

Roland Moreau La manipulation de l’humain remonte aux origines les plus lointaines de la médecine, puisque les « chirurgiens » du néolithique pratiquaient des trépanations et des amputations.

Quelques millénaires plus tard, le 11 juillet 2011,  le chirurgien espagnol Pedro Cavadas est parvenu à greffer deux jambes à un jeune patient amputé à la suite d’un accident. En France, où le principe de précaution est inscrit dans notre constitution, les réserves, les doutes et  le scepticisme fusent de toutes parts, à l’exception de la position courageuse du professeur Dubernard.

Sans entrer dans des considérations techniques, il me semble que l’on peut aborder  le problème général de la manipulation de l’humain en distinguant plusieurs approches.

Celle des greffes d’organes est en voie d’être dépassée en raison du développement rapide et spectaculaire des organes artificiels : la rétine, la main, les jambes mécaniques reliés aux neurones des patients permettent déjà à des aveugles de voir, à des amputés et à des paralysés de se servir de  leur main ou de marcher. Dans un avenir très proche, l’équipe du professeur Carpentier sera en mesure de greffer le premier cœur artificiel humain. Certes, nous ne sommes qu’au début de ces développements technologiques qui devront être améliorés pour être utilisés à grande échelle, mais ils ne soulèveront pas le moindre problème éthique. Ils seront même vraisemblablement mieux acceptés par certaines catégories de populations qui refusent le don d’organe pour des raisons religieuses - mais qui acceptent de bénéficier d’une greffe.

A l’échelle microscopique, les nanotechnologies permettront dans un proche avenir d’introduire dans l’organisme humain des nano-robots capables de détecter et de détruire des toxines, de cibler des cellules cancéreuses et de réparer des cellules défectueuses.

L’utilisation de cellules souches embryonnaires ne devrait pas non plus entraîner de problèmes éthiques pour les patients qui en bénéficieront. Elle pose en revanche des problèmes théologiques au Vatican qui a réussi à faire interdire par la loi française les recherches dans ce domaine… et d’exclure ainsi notre pays de la compétition mondiale dans ce secteur de la recherche qui ouvre un immense potentiel thérapeutique.

La « priorité du mauvais diagnostic sur le bon », selon l’expression de Hans Jonas, est particulièrement redoutable dans le domaine de la bioéthique. Alors que nos parlementaires procèdent à la révision d’une loi bioéthique qu’ils maintiennent dans le même carcan  obscurantiste, ils ignorent totalement la grande révolution de la biologie de synthèse.

De la "biologie de synthèse" ?

De la création de la vie, rien de moins ! En juin 2010, Craig Venter, pionnier du séquençage génomique humain, créa la première cellule vivante dont le génome synthétique était fabriqué à partir de molécules chimiques.

Au-delà de la prouesse technique, il s’agit d’une véritable révolution métaphysique : l’homme est désormais un démiurge qui peut créer la vie à partir de molécules qu’il assemble comme des briques de Lego.

L’un des rêves les plus anciens et les plus fous de l’histoire de l’humanité est ainsi réalisé. Il n’en reste plus qu’un à accomplir : l’accroissement de la longévité humaine… jusqu’à l’immortalité. La science est déjà engagée dans cette voie puisque de nombreux travaux tels que ceux qui ont valu le prix Nobel de médecine 2009 à Blackburn, Szostak et Greider ont pour but de faire vivre des êtres humains jusqu’à 200 ans avant la fin de ce siècle, grâce à des manipulations génétiques.

Il faut aussi parler d’une autre catégorie de manipulation de l’humain: il s’agit des recherches menées activement aux Etats-Unis, au Japon et en Allemagne qui visent à créer des hybrides homme-machine (bienvenue dans le monde des Cyborg ), tandis que d’autres développent des programmes destinés à « améliorer » le cerveau humain par la génomique, les neurosciences et l’intelligence artificielle.

Ces recherches n’ont pas pour objet de traiter des maladies, mais d’augmenter sans limite les capacités, les performances et les possibilités humaines. C’était de la science fiction il y a dix ans , c’est aujourd’hui un axe de recherche-développement prioritaire pour le président des Etats-Unis.

L’homme accèdera-t-il un jour à l’immortalité comme le suggère votre livre « L’immortalité est pour demain » ?

Les progrès de la médecine contemporaine permettent de prévoir qu’un enfant sur deux qui nait aujourd’hui en France sera centenaire. Au cours des prochaines décennies, les avancées extraordinaires des thérapies ciblées et des « molécules intelligentes » en cancérologie, l’utilisation des cellules souches embryonnaires dans le cadre des maladies neuro-dégénératives, le développement des bionano-technologies et les progrès constants de l’imagerie devraient permettre d’envisager - dans les pays développés - qu’un nombre croissant de personnes atteigne l’âge de 120 ans. Mais il s’agira alors d’un plafond indépassable puisque l’homme est génétiquement programmé pour vivre jusqu’à cet âge, au même titre que la tortue des Galapagos l’est pour vivre jusqu’à 100 ans.

Depuis plus de vingt ans, des milliers de chercheurs dans le monde tentent précisément de modifier ce programme génétique et travaillent sur les gènes qui interviennent dans le vieillissement. Les expériences menées sur des vers, des mouches, des souris et des chiens ont permis de doubler la durée de vie de ces animaux. En dépit de la complexité des gènes qui possèdent plusieurs fonctions, il ne fait aucun doute que les chercheurs parviendront, grâce au développement de la biologie de synthèse, à prolonger la vie humaine jusqu’à 200 ans ou plus.

Quant à l’immortalité, elle est pour demain au sens biblique du terme (mille ans, peut-être) et elle me paraît certaine puisque les outils existent (génomique, biologie de synthèse…). Mais, surtout, les modèles animaux existent dans la nature puisque les hydres et certaines bactéries sont immortelles. Dans ces conditions, rien ne s’oppose, en théorie, à  la possibilité de transférer des biobricks issus de l’ADN de ces organismes immortels dans le génome humain.

La question de fond sera alors de savoir ce que les hommes feront de cette immortalité « qui est longue, surtout à la fin », comme le soulignait Woody Allen.

Ira-t-on vers l’homme bionique ?

L’homme bionique est déjà parmi nous ! Des dizaines de milliers de personnes sont porteuses d’un pace maker , et des milliers de malades parkinsoniens se promènent avec deux électrodes implantées dans leur cerveau connectées à un neuro-stimulateur fixé sous la peau du thorax .Certains patients peuvent même cumuler ces deux dispositifs !

Les cœurs, les jambes, les bras, les mains artificiels, les interfaces cerveau-ordinateur qui permettent aux tétraplégiques de commander un ordinateur à partir de l’activité de leur cerveau, tout cela constituera un progrès extraordinaire lorsque ces techniques seront accessibles à un grand nombre de personnes. Cet aspect de la bionique, qui consiste à prolonger le corps humain par des systèmes reliés aux neurones et commandés par le cerveau, ne peut être accueilli qu’avec enthousiasme.

Il n’en va pas de même de la bionique qui part d’un robot relié au cerveau d’un animal et autres recherches sur les systèmes hybrides et les cyborgs. On peut s’indigner, s’insurger… c’est trop tard : aucune avancée scientifique ni technologique n’a jamais été interrompue par quelque institution que ce soit.

Jusqu’où les inventions vont-elles aller ?

Cette question est au cœur d’un concept qui commence à s’imposer dans la communauté scientifique internationale : la singularité. Le point de départ est bien connu des physiciens : la singularité est le moment où l’on ne peut plus décrire un phénomène parce que l’une de ses variables devient infinie. En transposant la loi de Moore (la puissance de calcul des ordinateurs double tous les 18 mois), Vinge a défini la « singularité technologique » comme le moment où l’évolution exponentielle de la technologie atteindra un point au delà duquel il ne nous sera plus possible de la maîtriser. A partir de ce point de rupture, tout devient possible.

Kurzweil a même imaginé que l’on pourrait transférer notre conscience dans des ordinateurs ! Pour tous les adeptes de cette théorie, une seule chose est certaine: entre 2020 et 2035, l’homme aura créé une intelligence supérieure à la sienne. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.

Propos recueillis par Philippe Lesaffre.

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