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Massacre à Alep : faut-il retirer son prix Nobel de la paix à Barack Obama ?
©Kevin Lamarque / Reuters

Quelques années plus tard...

Si la responsabilité de la Russie dans la situation actuelle à Alep est évidente, l'ambiguïté de la politique étrangère de Barack Obama sur ce théâtre a également joué un rôle non négligeable, et ce alors que le président américain a reçu le Prix Nobel de la paix en 2009.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Alors que la situation en Syrie et notamment à Alep est aujourd'hui plus tendue que jamais, comment peut-on évaluer la responsabilité des États-Unis et de la présidence de Barack Obama dans cette situation ?

Guillaume Lagane : La ville d'Alep est aujourd'hui sur le point de tomber aux mains des forces pro-Assad. On estime que 85% de la zone jusque-là tenue par les rebelles est passée aux mains des milices chiites et de l'armée syrienne. Cette lourde défaite pour l'opposition vient conclure de longues années d'ambigüité de l'administration Obama et des Occidentaux vis-à-vis de la guerre en Syrie. On se souvient que lorsque le conflit a commencé en 2011, c'était dans un contexte de printemps arabes que personne n'avait vu venir, et sans doute pas l'administration Obama. Ce dernier avait été élu en 2008 avec l'idée que les principaux problèmes que connaissait le Moyen-Orient étaient en grande partie de la responsabilité des États-Unis et de l'administration Bush. Dès le discours du Caire en 2009, il a eu pour objectif d'expliquer aux Arabes que les États-Unis ne s'impliqueraient plus comme autrefois dans les affaires des pays de la région. On peut dire qu'il a tenu parole et lorsque le conflit a commencé, le soutien américain aux forces rebelles est resté principalement verbal, il n'y a jamais eu de livraisons massives d'armes ou de soutien politique très fort qui se distinguerait de la "simple" condamnation de la répression du régime Assad. L'apogée de cette politique est intervenue en 2013 lorsque Bachar el-Assad a utilisé dans la région de Damas des armes chimiques contre les populations civiles dans les zones tenues par les rebelles. Les États-Unis, qui avaient pourtant expliqué que l'usage de telles armes était une ligne rouge à ne pas franchir, ont finalement décidé de ne pas intervenir. Cela a été le signal, en particulier chez les rebelles, que l'on ne pouvait pas compter sur Washington et qu'il fallait mieux chercher à se concilier les factions plus radicales. Ce fut alors le début de l'expansion de l'État Islamique.

Si beaucoup d'observateurs pointent le rôle de la Russie dans ce qu'il se passe à Alep actuellement, dénonçant ce qui arrive lorsqu'une puissance mondiale intervient dans les affaires d'un autre pays, dans quelle mesure peut-on penser que la situation résulte aussi (au moins en partie) de ce qu'il se passe lorsqu'une puissance décide de ne pas exercer son influence ?

À l'évidence, dans le bilan catastrophique de la guerre en Syrie (environ 300 000 morts), la Russie porte une lourde responsabilité. Premièrement, elle a constamment livré des armes au régime de Bachar el-Assad, dont elle est un allié stratégique depuis les années 1970 et l'ouverture de la base militaire de Tartous. Deuxièmement, elle a décidé en 2014 d'intervenir directement sur le sol syrien en créant une deuxième base militaire et en faisant venir des forces aériennes et terrestres. Aux côtés de l'Iran, elle porte bien sûr une grande responsabilité dans le bilan humain de la guerre.

Cela dit, il faut bien reconnaître que la Russie n'a fait qu'appliquer ce qui est sa politique constante : le soutien à ses alliés et le refus de ces révolutions qui ont pu renverser des régimes proches d'elle au Moyen-Orient ou dans son étranger proche (Ukraine). La politique russe, qui a toujours été une politique réaliste fondée sur la réalité des rapports de force et pas tellement sur les idées, a réagi au fait que l'administration américaine semblait lui laisser le champ libre.

Sur ce point, il y a tout un débat sur la question de savoir si les États-Unis ont eu une attitude légèrement hypocrite, en soutenant l'opposition en surface mais en laissant en réalité à la Russie le soin de la réprimer, ou s'ils ont finalement été pris à leur propre piège. La politique de Barack Obama étant isolationniste, ont-ils laissé la Russie devenir la grande puissance du Moyen-Orient, ce qu'elle est en train de devenir ? On peut d'ailleurs dresser un parallèle ici avec la fin des années 1970, quand l'URSS gagnait en influence après la révolution iranienne et l'invasion de l'Afghanistan alors que les États-Unis perdaient petit à petit le contrôle de la région. La comparaison entre Barack Obama et Jimmy Carter peut être faite de ce point de vue-là.

Rétrospectivement, la décision d'attribuer le Prix Nobel de la Paix à Barack Obama en 2009 a-t-elle porté ses fruits selon vous ? Au-delà de son bilan en matière de politique extérieure (qui n'en était alors qu'à ses débuts en 2009), sur quels autres critères peut-on penser que Barack Obama a reçu ce prix ?

Je pense que Barack Obama a obtenu ce prix Nobel car le jury suédois était avant tout satisfait de la défaite des Républicains à la présidentielle de 2008 et voulait montrer toute l'antipathie qu'il avait eue pour la politique de George W. Bush. Il y a donc un paradoxe et une ironie un peu amère au souvenir de l'attribution de ce prix. On voit bien huit ans que Barack Obama laisse un monde en proie à la violence et au chaos. Même si l'administration Bush a commis des erreurs, elle a quand même dû réagir à une situation que Barack Obama n'a pas connue (le 11 Septembre). Elle a réagi en transformant sa politique, c'est-à-dire en passant d'une politique isolationnisme à un interventionnisme libéral, dont le but évidemment trop ambitieux était de démocratiser le Moyen-Orient. Barack Obama est arrivé au pouvoir en critiquant cette politique. Il faut se souvenir qu'il vient de l'aile gauche du parti démocrate, qui a condamné la guerre en Irak et toute forme d'interventionnisme extérieur des États-Unis. Il a appliqué sa politique, et on voit bien finalement aujourd'hui que cette politique de retrait stratégique des États-Unis a un bilan plus négatif que celle de l'interventionnisme précédent, en laissant le champ libre à des puissances qui perçoivent désormais l'Amérique comme un État hésitant, faible et incapable de s'opposer à leur politique.

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