Marseille : quand la politique de la ville finit par être cause de violence<!-- --> | Atlantico.fr
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Marseille est gangrénée pas la violence.
Marseille est gangrénée pas la violence.
©Reuters

Les racines du mal

Il y a une semaine, trois jeunes âgés de 15 à 24 ans sont morts dans une fusillade à l'arme automatique, dans les quartiers au nord de la cité phocéenne. Malade de la violence, Marseille est devenue le symbole de l'échec des politiques de la ville.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Jours tranquilles dans les fameux "Quartiers Nord" de Marseille. Derniers en date, trois garçons à nouveau foudroyés par des rafales d'armes de guerre. Aragon 1931, "Front rouge", poème stalinien : "L'éclat des fusillades ajoute aux paysage une gaité jusqu'alors inconnue". A la favela des Lauriers, on en est là, désormais.

Quinze ans, les deux plus jeunes assassinés.

Aux Etats-Unis, lors des guerres entre gangs type Crips ou Bloods, cela s'appelle un "Drive By Shooting". A Marseille ? Non bien sûr : on connaît le refrain, d'usage bêlé par un élu affolé : "Marseille n'est pas Chicago".

Comme à chaque fois, le manège démarre donc :

- Une étape du tourisme-gore de ministres cavalant comme des dératés parmi l'immense Zodiac perforé de partout qu'est devenue la France, y posant à la volée de fragiles rustines et - de cars de retraités calcinés en flaques de sang au sol de maints ghettos - y haletant des mots usés jusqu'à la trame "intolérable... inadmissible... insupportable".

- Pénible remontée d'huile soviétique, un préfet annonce, la voix blanche, qu'on va dans le bon sens, que la sécurité s'améliore : le Gosplan, camarades ? réalisé à 100%. L'avenir radieux dans la poche : lisez les chiffres.

- Les médias-des-milliardaires font diversion : le prix de la kalachnikov... monte-t-il ou baisse-t-il ? Oui mais quel modèle... L'Albanais... le Tchèque ? Variante : ah lala ! Le taux de chômage... les discriminations.

Bien sûr, nul de ces médias n'écrira le mot crime, dont la mort médiatique est signée à la fois par les milliardaires-propriétaires (anxiogène... pas bon pour la pub) et par les bobo-journalistes mutés en Garde de Fer de Mme Taubira. Mauvais le crime... la Cour d'assises, la répression. Ca pourrait gâcher à la Garde des sceaux sa lecture des poèmes de Mme Andrée Chedid.

- Ces médias s'abstiendront encore - ils censurent ça à mort, même - de relier les effets et les causes, entre les drames marseillais et leur invariable topographie : les territoires de cette folle et ruineuse "politique de la ville". Pas d'amalgame ! Revoici la génération spontanée : la peste ravage la ville, les cadavres jonchent les carrefours - mais c’est la malédiction divine (le « racisme ») qui en est la cause.

Bien entendu, ce cinéma, ces artifices, bloquent tout accès au réel criminel ; bouchent tout horizon ; interdisent sans rémission à tout officiel de poser un diagnostic éclairé.

Seuls réconforts ; voire, les chétives hirondelles d'un possible printemps :

- Le Premier ministre a dit "crime organisé". Or la nomination est ici cruciale et le "politiquement correct", sûrement mortel. Chez le médecin, au garage, quand surgit un nouveau corps céleste - on commence par nommer (c'est l'appendice... le delco... la comète de Dupont-Durand...) - cette nomination et elle seule conférant au phénomène son existence même. Pauvres sots qui insultent Heidegger au lieu de le lire : « Les noms sont des mots qui exhibent... Par la vertu de l’exhibition, les noms attestent leur souveraineté magistrale sur les choses ».

- Les Diafoirus-sociologues disciples de la "culture de l'excuse", ont pour l'heure disparu. Hier encore, des assassins surarmés étaient pour eux de "malheureuses victimes de l'exclusion et du racisme". Les voici aux abonnés absents. Un progrès.

Tel est donc le paysage - plutôt désolé - en ce lendemain de tuerie.

Que faire alors ? Qu'imaginer pour éviter que demain quatre ou dix cadavres ne jonchent encore les rues des favelas marseillaises ?

Interroger des experts professionnels ; exiger d'eux qu'ils relient les effets et les causes. Appellent les choses par leur nom. Ce sera simple : sur le cloaque de corruption marseillais, tout fut dit lors du procès de Mme Andrieux, élue socialiste locale : le pillage des fonds de la "politique de la ville" ; modernes nervis, des gangsters fichés orientant les votes. Et ces terribles rumeurs sur des élus éminents, pris dans de sordides affaires de mœurs et de fric.

Cautériser cette gangrène là, c'est priver de leurs vitales protections les tueurs et leurs parrains. Le poisson dans l'eau, disait Mao du guérillero. Vider l'aquarium-ripoux de Marseille est la seule voie pour rendre le calme aux quartiers nord. There is no alternative martelait en son temps Maggie Thatcher. De fait, pas d'alternative à Marseille. Tout le reste sans ça, n'est que cataplasme sur jambe de bois. Et assurance de tueries sans fin.

Atlantico : Vous dites que les médias oublient de relier les effets et les causes des violences. Depuis les années 1970, on parle de remédier au malaise dans les quartiers populaires de Marseille. Or, rien n'a changé. Comment l'expliquer ?

Xavier Raufer : De 1900 à 2015, il y a deux échecs qui dans leur ampleur absolue écrasent tous les autres : l'agriculture soviétique et la politique de la ville en France. C'est exactement du même niveau. Et à l'origine des deux catastrophes, l'idéologie qui dit que lorsqu'il est clair que rien ne va, c'est qu'on manquait de planification. La planification a ruiné l'agriculture soviétique : plus de planification remédiera à ce léger inconvénient.

La politique de la ville c'est la même chose. La première monture de la politique de la ville remonte au gouvernement Messmer, sous Pompidou. On a commencé à se dire que si ça allait mal dans les quartiers, c'est parce qu'on n'avait pas assez fait de social et pas assez d'urbanisme. La concrétisation de ça, ça a été le "plan Bonnemaison", après l'affaire des Minguettes. Et depuis, le disque est rayé : plus ça va, plus on nous refait la même chose. On vient annoncer des centaines de millions d'euros pour repeindre des immeubles, et à chaque fois ça devient un peu plus grave.

En 50 ans, les sommes que ça a coûté sont incommensurables. Et ça ne produit aucun résultat. Au début de la politique de la ville, en 1981-82, on voyait déjà les premiers succès du Front national. Et explicitement, l'un des acteurs de la politique avait dit dans le Figaro qu'elle avait deux objectifs atteignables : casser la progression du FN et décrire les ghettos. Voyez où l'on est en 2015.

A chaque fois qu'il y a une tuerie dans une cité à Marseille, les médias ne font qu'un seul article : le prix de la Kalachnikov. Or, une Kalachnikov n'a jamais tué personne : si vous la laissez sur une table, elle prend la poussière. Ce qui est dangereux, ce sont les individus qui s'en servent. Et toute tentative de nous fasciner avec des récits sur la Kalachnikov est absurde. S'ils n'avaient pas de Kalachnikov, les individus concernés s'entretueraient avec quelque chose d'autre.

Pourquoi je dis cela ? Parce qu'il n'y a pas de "politique de la ville" qui tienne. Une ville n'a jamais fait une émeute. Une ville, ce sont des bâtiments, de l'éclairage, du chauffage urbain. Ce qui pose problème, ce n'est pas l'urbanisme, ce sont les populations qui y vivent. Vous les mettez dans une riante bourgade de 800 habitants, elle sera à feu et à sang en huit jours.

Si le médecin se trompe de diagnostic, il ne peut pas soigner le patient. Et le simple fait de nommer cela "politique de la ville" la conduit à l'échec. SI l'on nomme les choses de travers, si M. Cazeneuve continue à nommer "délinquants" des gens qui sont des criminels graves car ils tirent à la Kalachnikov sur la police, on est impuissant, on ne peut rien changer.

L'homme politique a une chose à faire dans sa vie : c'est décider. Dans le domaine du diagnostic, le plus important est de nommer. Dans le domaine de la politique, c'est de décider. Et si le ministre me dit qu'il n'arrive  pas à décider, je peux lui expliquer ce qui se passe dans les pays voisins. En Grande-Bretagne, en Allemagne ou au Danemark, ça ne pète jamais.

Ici, en quelques années, on est passé de gens qui brûlent des voitures à des gens qui tirent à l'arme de guerre sur des policiers. Ca porte un nom : ça s'appelle une guerre civile. Et tout le monde fait comme si cela n'existait pas.

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