Marine Le Pen poursuivie pour "diffusion d’images violentes" de l’Etat islamique : quand la lutte anti-FN se transforme en furie propagandiste doublée d’un grave déni de réalité<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen a publié, sur Twitter, trois photographies d’assassinats communiquées, via internet, par la propagande de l’Etat islamique, et accompagnées de la phrase suivante : "Daech c’est ça!"
Marine Le Pen a publié, sur Twitter, trois photographies d’assassinats communiquées, via internet, par la propagande de l’Etat islamique, et accompagnées de la phrase suivante : "Daech c’est ça!"
©Reuters

Cachez moi ce Daech que je ne saurais voir

La Présidente du FN, usant d’une méthode à la Paris Match, « Le poids des mots, le choc des photos » accuse aussi monsieur Bourdin de « dérapage inacceptable » et lui demande de « retirer ses propos immondes ».

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Suite à l’émission de Jean-Jacques Bourdin, hier, excédée par les rapprochements avec Daech, dont son parti fait l’objet depuis la campagne des régionales, Marine Le Pen a publié, sur Twitter, trois photographies d’assassinats communiquées, via internet, par la propagande de l’Etat islamique, et accompagnées de la phrase suivante : « Daech c’est ça! »

La Présidente du FN, usant d’une méthode à la Paris Match, « Le poids des mots, le choc des photos » accuse aussi monsieur Bourdin de « dérapage inacceptable » et lui demande de « retirer ses propos immondes ».

En réponse, soutenu par Manuel Valls, qui a qualifié le tweet de « faute politique et morale », Bernard Cazeneuve déclare, devant l’Assemblée nationale, devoir saisir la direction centrale de la police judiciaire pour « contenu illégal » du tweet de la Présidente du FN, et le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire pour « diffusion d’images violentes ».

L’interdiction, tacite, aux médias, de publier une image du Bataclan, après l’assaut des islamistes de Daech, soulevait déjà quelques interrogations légitimes.[1] Mais, dans cette nouvelle affaire politico-idéologique, déclenchée par la volonté morale de lutter contre les deux nouvelles figures du diable, Daech et le FN, le déni de réalité, autant que la crétinerie intellectuelle, atteignent des sommets.

De l’Etat qui refuse que soit vue la barbarie de Daech au, pourtant brillant, journaliste, qui nie avoir dit ce qu’il a dit, au lieu de s’excuser d’avoir fair une bourde lorsqu’il estime ses propos légitimés par la science de son invité, le déni de réalité atteint des proportions insoupçonnées.

Le choix de ne pas rendre publiques, au prétexte qu’elles en font la propagande, des photographies exhibant le niveau délirant de férocité barbare des adeptes de l’Etat islamique, tranchant la tête de leurs ennemis, est un argument défendable, mais jusqu’à un certain point. La limite morale me parait atteinte quand elle contribue à maintenir les gens dans l’ignorance de la réalité. On veut les protéger, mais de quoi ? Qui peut en juger ? Et de quel droit ? Quel gouvernement, à une époque où la communication visuelle submerge l’information, peut décider de ce qui est regardable ou non ? En démocratie cela mérite débat.

Les photographies montrent une image de la réalité. Doit-on supprimer toutes les images de l’abjection, les clichés des horreurs de la guerre et des génocides du XXème siècle. Faut-il que soit supprimé le « musée de l’horreur », à Berlin, qui retrace en images l’histoire du nazisme? Faut-il attendre que l’Etat islamique soit réduit en cendre pour en montrer la réalité ?

On est en droit en tout cas de s’interroger sur la logique qui sous-tend le choix des censeurs. Tout semble se passer comme si l’on pensait que voir les photographies inciterait le spectateur à deux types de comportements inéluctables :

Soit la vengeance aveugle, contre des compatriotes de confession musulmane, en une sorte de manifestation ultime d’un réflexe identitaire tel qu’un certain discours le qualifie d’islamophobe ?

Soit, selon une interprétation psychanalytique discutable, le désir mimétique poussant le quidam à rejoindre les rangs de Daech afin d’y accomplir les mêmes gestes.

Je ne défends pas la publication, mais on ne peut que constater l’absurdité des raisonnements de ce type, conduisant à légitimer, ici ou là, son interdiction. Outre que ces photos circulent sur le net et sont donc accessibles à n’importe quel individu attiré par l’islamisme, confrontées à la dignité dont ont fait preuve, en janvier puis en novembre, les Français, ces idées leur font insulte.

Quant à la thèse pour le moins simpliste selon laquelle on retrouverait, chez les électeurs du Front National et les islamistes se réclamant de Daech, un désir identique de « repli identitaire » ? C’est un peu la tarte à la crème hissée au rang de concept sociologique. Comment concevoir qu’une idée aussi floue que « le repli identitaire » permette de conclure que le Front National et Daech participent d’une même logique ? C’est aussi vrai que faux. L’argument fut-il paré, comme c’était le cas ce matin chez Jean-Jacques Bourdin, d’une légitimité scientifique, cela revient quand même à prendre les Français pour des zozos et à faire considérer les électeurs du FN pour des assassins en puissance.

Voici donc l’extrait du dialogue entre le journaliste et son invité Gilles Keppel lors de l’émission Bourdin direct :

JJB :  « Dans votre livre, vous faites le lien entre le djihadisme français et la poussée du Front National, C’est bien sûr pas la même chose.  

GK : Oui ce sont deux phénomènes qui participent, comme on dit en sociologie de la même congruence, qui se ressemblent.

(…)

JJB : Revenons sur le repli identitaire. Je veux revenir sur les liens, enfin pas les liens directs entre Daech et le Front National, mais sur le repli identitaire qui, finalement est une communauté d’esprit parce que l’idée pour Daech c’est de pousser la société française au repli identitaire.

GK : Oui, la fracasser en deux. Faire d’un côté une sorte d’enclave où il n’y aurait que des musulmans s’identifiant aux radicaux parce que persécutés et de l’autre des identitaires qui rejettent l’immigration et l’islam. Cela casse la société.

JJB : Donc chacun considérant l’autre en fonction de son appartenance identitaire?

GK : Voilà, entre autre chose, et finirait par se faire la guerre. On est dans une société clivée. la faiblesse de l’inclusion favorise le clivage.

Après de tels propos, Jean-Jacques Bourdin et Gilles Keppel s’étonnaient de concert, et en direct, que Marine Le Pen, Présidente d’un parti ayant recueilli six millions huit cent mille voix aux élections régionales dimanche dernier, réagisse de manière négative au fait qu’une émission ayant 2 479 000 auditeurs quotidiens[2] compare ses idées et les intentions de ceux qui ont voté FN à celles de Daech !

Toute la journée d’hier sur BFM on a moqué gentiment son comportement. On la traite de mauvaise perdante aux régionales, on juge qu’elle « sur-réagit » aux paroles de l’émission, qu'elle "sur-interprète". Jean-Jacques Bourdin, de son côté, ne comprend pas qu’un auditeur, André, technicien informatique dans l’Eure et Loire, électeur du FN lui reproche : « Vous faites un lien avec des assassins. Votre but c’est de faire peur aux Français. Je ne suis pas un rebut de la société. Il n’y a pas de repli identitaire au FN, l’identité du FN c’est les Français et la France ». Insistant, le journaliste lui répond : « Y’a pas de repli identitaire à l’intérieur du FN, mon cher André, chez aucun membre du FN ? » Bref, un dialogue de sourds.

Car la critique anti-Front National, qui associe sa doctrine certes nationale et populiste, au « fascisme » et au « racisme », n’a pas changé d’un iota, depuis les années 1980. Le déni de réalité à son égard, parce que les discours en politique sont des actes, conduit à refuser d’accepter que la doctrine du FN se soit « désextêmisée » de sorte que cela affaiblit, voire détruit les arguments, devenus, incongrus, de ses adversaires politiques.

Pourtant, majorité et opposition ont constaté que le Front Républicain ne suffirait pas à « barrer la route » à un parti pesant six millions huit cent mille voix, et se plaçant à égalité, dans la course à la Présidentielle, avec le PS et LR, mais surtout, disposant désormais, d’un nombre d’élus considérable pour renforcer une structure militante s’identifiant volontiers, et non sans raison, à un mouvement social de fond.

Face à cela, la stratégie de monsieur Keppel et de tant d’autres intellectuels et politiques, est résumable en un seul mot : « diabolisation ». Ils vont donc, au delà du raisonnable, chercher cette argumentaiton chez le diable lui-même, qu’incarne aujourd’hui, l’Etat islamique.

Dès lors, contrer le FN est moins que jamais une lutte politique entre deux adversaires. Pour cause de déni du réel, dans le contexte actuel de recompostion des idéologies, cela devient un combat de propagande entre idéologies concurrentes.

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