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Marine Le Pen, meilleure opposante de France : l’élément qui explique ce “succès” et qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle dit
©Reuters

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Un sondage OpinionWay hisse Marine Le Pen en tête des personnalités politiques capables d'incarner une opposition à François Hollande. Pourtant, ce succès tient moins à son programme qu'à une posture anti-système, toujours plus difficile à maîtriser dans une quête de respectabilité qui l'oblige à proposer une ligne moins clivante.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Le dernier sondage OpinionWay (voir ici) pour Metronews place Marine Le Pen en tête pour incarner l'opposition à François Hollande. La présidente du Front National profite-t-elle d'un rejet des partis traditionnels ?  Quelle est la réelle part d'adhésion à sa ligne politique ?

Vincent Tournier : Ce sondage confirme que Marine Le Pen reste bien placée dans les cotes de popularité. Cela veut dire qu’elle a su éviter les pièges qui pouvaient affecter son image, à savoir son père et ses élus. Pour l’instant, ces deux risques sont plutôt bien gérés. Les déclarations paternelles semblent globalement sous contrôle. Même la condamnation par la justice des propos de Jean-Marie Le Pen sur les Roms n’a pas été très commentée, sans doute parce que le calembour ne méritait pas une levée de boucliers comparable à celles d’autrefois.

On a vu aussi que Marine Le Pen a rapidement fait machine arrière sur le sujet sensible de la torture, probablement par crainte de se retrouver sur une position délicate si son père venait à surenchérir. La seconde source de risque pour elle concerne les élus frontistes dans les mairies. Pour un parti comme le FN, les succès électoraux au niveau local sont toujours à double tranchant : d’un côté ils donnent de la crédibilité au FN, mais de l’autre ils risquent de le discréditer, comme cela s’est passé en 1995 à Vitrolles ou à Toulon. Or, pour l’instant, cette ligne semble également tenir bon. Est-ce parce que les élus sont mieux contrôlés par le parti, ou bien parce qu’ils sont plus compétents que la première génération ? Ce n’est pas impossible. Le FN et ses alliés comme Robert Ménard parviennent à faire parler d’eux sans prendre des positions qui provoqueraient des réactions massives de rejet. Des mesures comme l’interdiction du linge aux fenêtres ou l’interdiction des cantines scolaires pour les enfants de chômeurs existent déjà dans beaucoup de mairies, ce qui en atténue fortement la portée iconoclaste.

Si le sondage en question fait état d'un sentiment, il n'est pas à considérer comme une enquête des intentions de vote. Quel rôle peut-on accorder au fait que ce résultat s'explique aussi par son positionnement, à l’extrémité du paysage politique français, qui la place logiquement en opposante la plus véhémente à la politique de François Hollande ?

Vous avez raison de souligner qu’un sondage ne fait que refléter une situation donnée, et qu’il faut se garder de toute projection. Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici à 2017, dans un sens ou dans l’autre. Nul ne peut exclure un nouveau krach boursier ou pétrolier, voire une aggravation des tensions internationales, autant de paramètres qui modifieraient radicalement la donne politique.

Pour en revenir au sondage, il est clair que Marine Le Pen profite surtout d’un effet de calendrier. Certes, il ne faut pas sous-estimer son pouvoir d’attraction. Qu’elle puisse être choisie par 30% des personnes interrogées pour incarner l’opposition à François Hollande n’est certainement pas négligeable, mais ce n’est pas forcément très nouveau : cela correspond en gros à son potentiel de popularité, lequel ne doit pas être confondu avec son potentiel électoral (d’autant que le sondage porte sur l’ensemble de la population, et pas seulement sur les électeurs inscrits).

A mon sens, la vraie information du sondage concerne donc plutôt la faiblesse des autres prétendants. Au fond, Marine Le Pen bénéficie d’une absence d’alternative. Elle a ainsi tout le loisir d’occuper le terrain. Cela tient à deux raisons : d’abord, les autres mouvements (que ce soit la gauche radicale, les écologistes ou les centristes) restent faibles dans l’électorat ; surtout, la droite n’est pas encore en ordre de marche. Cette situation va changer dans les mois qui viennent, lorsque l’UMP aura officiellement désigné son leader et que celui-ci occupera à son tour le terrain. Les choses sérieuses pourront alors commencer.

L'un des marqueurs qui permet d'identifier la position à l’extrémité du paysage politique est la question de l'immigration et l'identité. En quoi les autres dimensions programmatiques du parti (réalisme économique notamment) occultées par ces sympathisants révèle-t-il une adhésion plus ancrée dans le souhait d'une rupture plutôt que d'un programme cohérent ?

Permettez-moi une rectification : l’immigration est certes un marqueur de l’extrême-droite, mais c’est aussi un marqueur de la gauche. Un marqueur existe parce qu’il y a un clivage entre les anti et les pro. Il ne faut tout de même pas oublier que c’est la gauche qui a fait de l’immigration une question politique au début des années 1980, que ce soit avec l’abandon de la politique du retour prévue par la droite, avec les régularisations massives ou avec l’annonce du droit de vote des étrangers. Ce sont ces mesures qui ont politisé la question de l’immigration, et qui ont provoqué l’émergence du Front national dans les années 1980, alors que ce dernier n’était jusque-là qu’un groupuscule dérisoire. Aujourd’hui encore, la gauche vient régulièrement agiter la question de l’immigration. On le voit bien ces jours-ci avec l’inauguration par François Hollande du musée de l’immigration et la proposition sur le droit de vote des étrangers. Trois jours plus tôt, François Hollande a procédé à l’illumination du sapin de Noël de l’Elysée en étant entouré d’élèves majoritairement noirs : simple hasard ou communication habile ?

Quoiqu’il en soit, reprendre sans nuance le récit d’une immigration heureuse au moment où l’antisémitisme des populations issues de l’immigration atteint des niveaux très élevés, comme l’a confirmé récemment le sondage de la Fondapol, montre bien que le sujet est aussi idéologique à gauche qu’à l’extrême-droite. En jouant sur ce marqueur pro-immigration, la gauche vise plusieurs objectifs : plaire à son électorat pro-immigrationniste, tenter de reconquérir les électeurs issus de l’immigration qui ont déserté la gauche depuis l’affaire du mariage gay et de la théorie du genre, et enfin déstabiliser la droite en faisant monter l’extrême-droite.

C’est de bonne guerre. La gauche gouvernementale a tout intérêt à mettre les questions de société à l’agenda politique. Mais cela va obliger le FN à revenir sur ses fondamentaux anti-immigration, ne serait-ce que parce ses électeurs vont l’exiger. Il pourra moins jouer la carte de l’économie et de l’Europe, qui sont les domaines où il peut espérer engranger de  nouveaux électeurs en raison de la crise. Sur l’immigration, il a sans doute déjà fait le plein.

Ces derniers mois, la présidente du Front national se rétracte discrètement des lignes traditionnelles du Front National, comme par exemple lorsqu'elle évoque l'impossibilité constitutionnelle de la sortie de l'Euro. La dédiabolisation, aujourd'hui passée à une phase de quête de respectabilité de Marine Le Pen pourrait-il alors perdre cette valeur anti-système ?

>> Voir également Ces discrets renoncements dans le discours économique : Marine Le Pen sur le chemin de la respectabilité

L’espoir de conquérir le pouvoir est plus présent chez Marine Le Pen que chez son père. C’est pourquoi on a vu apparaître ce que les médias ont appelé une stratégie de respectabilité. Or, une telle stratégie génère une sérieuse difficulté pour le Front national. A l’époque de Jean-Marie Le Pen, le FN pouvait se contenter d’être dans la provocation, de mettre en avant son côté sulfureux. Cela le maintenait certes dans une situation d’éternel outsider, mais lui permettait de capter tous les électeurs déçus ou mécontents du système, ce qui lui conférait une certaine importance.

Si le but est désormais de prendre le pouvoir, cette logique de la provocation ne peut plus suffire. Il faut aller chercher de nouveaux électeurs, ce qui n’a rien d’évident compte tenu du poids de l’interdit. De plus, il faut aussi conserver les anciens électeurs. C’est un peu comme une entreprise qui cherche à se diversifier sans changer son activité historique sur laquelle repose sa réputation. L’affaire de la vie privée de Florian Philippot montre bien toute la difficulté de cet équilibre. D’un côté, la révélation de Closer officialise le fait qu’il y a des homosexuels dans l’équipe dirigeante du FN, ce qui constitue un atout considérable pour le nouveau FN puisque cela lui donne l’occasion de changer son image. Mais d’un autre côté, son électorat traditionnaliste risque de très mal réagir, à l’image d’une partie des cadres.  

Une difficulté comparable se pose pour toutes les propositions du FN, notamment celles qui quittent le cadre traditionnel de l’immigration. Il lui faut à la fois se démarquer et rassurer. La sortie de la zone euro illustre cette difficulté. En soi, ce n’est pas une proposition scandaleuse (tous les pays européens ne font pas partie de l’euro) mais elle reste fortement tabou en France car les élites continuent de défendre le grand récit de l’intégration européenne et ne peuvent pas envisager une autre option. La présidente du FN doit donc en tenir compte. Elle doit donc d’un côté soutenir cette idée pour confirmer son caractère anti-système, tout en faisant comprendre aux électeurs potentiels qu’elle n’est pas bornée ou irresponsable, qu’elle sait accepter certaines contraintes. Mais elle ne peut pas le dire trop fort, sinon ses électeurs vont lui demander si elle ne fait pas elle-même partie du système.

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