Mariage homosexuel : simple évolution des moeurs ou changement civilisationnel profond ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation contre le mariage homosexuel a lieu ce dimanche
Une manifestation contre le mariage homosexuel a lieu ce dimanche
©Vincent Kessler / Reuters

Les temps changent

Ce dimanche à partir de 13 heures a lieu la "Manifestation pour tous", qui rassemble dans les rues de Paris les opposants au mariage homosexuel, qui divise la société française. Le débat parlementaire qui débutera le 29 janvier marquera-t-il le début d'une nouvelle ère sociétale ?

Éric  Fassin,Daoud Boughezala et Jean-René Binet

Éric Fassin,Daoud Boughezala et Jean-René Binet

Éric Fassin est chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (sciences sociales, politique, santé), unité mixte de recherche associant le CNRS, l’Inserm, l’EHESS et l’université de Paris XIII.

Daoud Boughezala est journaliste, rédacteur en chef adjoint du journal Causeur.
 
 

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté. Spécialiste réputé des questions de bioéthique, il est auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit des personnes et de la famille, à la bioéthique et au droit médical, il a dernièrement publié, aux éditions Lextenso Montchrestien un cours de Droit médical en octobre 2010 et La réforme de la loi bioéthique, aux éditions LexisNexis en mars 2012.

 

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Atlantico : Malgré une désaffection des Français pour le mariage, le débat sur le mariage gay a mis en évidence l’importance qu’ils attachent à cette institution. Que représente-il sur le plan social et juridique ? 

Eric Fassin : Certes, le mariage n’est plus ce qu’il a été, du fait de la banalisation de la sexualité préconjugale mais aussi des naissances hors-mariage (plus d’un enfant sur deux). Il n’empêche : le mariage entraîne des droits et des devoirs ; et il continue de fonctionner comme une norme, dans la mesure où il engage l’État.

Or, que signifie la fermeture du mariage aux couples de même sexe ? C’est le principe symbolique qui institue la hiérarchie des sexualités, soit l’idée que l’hétérosexualité, c’est mieux, et l’homosexualité, c’est moins bien. Autrement dit, l’hétérosexisme d’État légitime l’homophobie ordinaire. Reste qu’en France, les résistances à l’égalité des droits portent moins sur la conjugalité que sur les enfants – adoption et PMA: aux Etats-Unis, la sacralisation porte sur le mariage ; en France, sur la filiation. Tout se passe comme si on voulait la soustraire aux logiques démocratiques.

Jean-René Binet : Le mariage est aujourd’hui, et l’a toujours été, un acte fondateur d’une famille, d’une filiation et d’obligations réciproques entre les époux. Il met en place les conditions essentielles visant à assurer la possibilité d’un accueil favorable pour les enfants : fidélité respective, cohabitation, entraide, assistance mais aussi une certaine cohésion du patrimoine. Tout est articulé autour de la meilleure manière d’élever les enfants car c’est bien cela la véritable fonction du mariage depuis sa création. La plus vieille institution humaine du monde n’a pas pour but de donner le droit d’avoir des enfants comme on a souvent tendance à le penser mais sert à les éduquer sur la durée et dans la stabilité. Les enfants humains ont besoin de cette logique à la différence du monde animal dans lequel l’apprentissage est court et peut être assuré par le groupe ou la tribu. S’il y a un tel engouement de la part des français dans le débat sur le mariage pour tous, c’est justement parce qu’ils sentent bien que ce qui se cache derrière ce problème va bien plus loin que ce simple questions de mariage, d’amour et de sexualité. La véritable problématique est la structure de la filiation et de la transmission au sein de notre société.

Daoud Boughezala : Il est légitime de se poser cette question à l’heure où un mariage sur trois se conclut par un divorce –  voire un sur deux dans l’agglomération parisienne – et que les « unions libres » et les familles monoparentales fleurissent. Je pense que les débats sur le « mariage pour tous » ont révélé la puissance symbolique d’une institution que l’on jugeait désuète. En fait, la force du mariage réside moins dans sa pérennité – qui peut aujourd’hui être certain de se marier pour la vie ?- que dans ses bases anthropologiques.

Rappelons que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, indépendamment de leurs pratiques sexuelles (depuis l’Antiquité, des homosexuels se marient) dans le but de procréer. Si tous les mariages ne donnent pas naissance à des enfants, tant s’en faut, l’infécondité reste une cause de résiliation reconnue par le Code civil. C’est dire si le mariage est consubstantiellement lié à la parentalité : d’ailleurs, le projet de loi du gouvernement entend généraliser le mariage ET l’adoption. Tout en dénaturalisant ces deux notions : sous couvert d’égalité, on voudrait faire du mariage et de l’enfant des droits-créances, disponibles à tout un chacun.

Or, la société ne se construit pas sur l’accord précaire d’individus libres et éclairés : sans être économiste ni juriste, on peut prévoir que la dérégulation du mariage et de l’adoption fragilisera l’une des dernières institutions qui résistent un tant soit peu à l’individualisme triomphant. Sur ce point comme sur bien d’autres, la gauche française fait la part belle à l’idéologie libérale, beaucoup plus présentable médiatiquement lorsqu’elle se drape dans le langage des droits de l’homme et du progressisme sociétal.

J’ajouterai que la mutation du mariage en « mariage pour tous » ainsi que la transformation du père et de la mère en « parent 1 » et « parent 2 » sur les livrets de famille écrivent un chapitre supplémentaire de la guerre contre le sens. Pour les sociaux-libéraux qui nous gouvernent – mais on pourrait en dire autant de leurs devanciers libéraux-conservateurs, adeptes de la dérégulation à la carte – il n’y a plus ni homme, ni femme, ni citoyens. À l’ère de la politique managériale et de la théorie des genres, nous ne sommes plus que des administrés et des machines désirantes avides de reconnaissance légale : mes ancêtres ont souffert, je dois donc disposer du statut légal de victime, ma sexualité ne me permet pas d’attendre un enfant par les voies naturelles, la loi et la science doivent donc pallier à cette insuffisance ! Cette inflation des désirs, qui doivent urgemment être traduits en loi, dissout le bien commun, donc la démocratie, dans la concurrence des volontés individuelles. Je serai curieux de savoir ce qu’un Rousseau, théoricien de la volonté générale et du contrat social, dont on connaît le peu d’appétence pour ses propres enfants, penserait de la dérive actuelle. 

Quant à la stratégie du gouvernement qui consiste à masquer son impuissance économique et sociale derrière le paravent sociétal, celle-ci est si manifeste qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder. Je remarquerai simplement que les principaux hiérarques du PS ne se donnent même plus la peine de croire à la lutte des classes ou à la possibilité de « changer la vie » hors des mairies et des registres d’état civil. De ce point de vue, l’imposture sémantique du « mariage pour tous » est paradoxalement salutaire !

La société française a-t-elle connu dans son histoire des changements d’une telle ampleur ou est-ce le premier (loi de 1905, instauration du code civil napoléonien ou autres )? Va-t-elle au contraire l’absorber sans difficulté ? 

Daoud Boughezala : Avec un zeste de cynisme, je dirais que cette réforme ne fait qu’entériner des évolutions sociétales fort préoccupantes : l’éclatement de la famille, la dislocation des liens communautaires, la perte de la transmission du capital culturel au profit des seuls capitaux sociaux et économiques – le patrimoine et le réseau, aisément monnayables sur le marché de l’emploi-, l’abandon de l’éducation parentale au nom de l’enfant-roi et de la soi-disant expertise des thérapeutes spécialisés, etc.  Comme ne le cessent de le répéter ses défenseurs, ce texte de loi accompagne le mouvement de la société, et c’est bien le problème ! Je ne suis pas Cassandre ou Jérémie pour savoir comment la société intégrera ces changements, dont on ne connaît d’ailleurs pas la limite : on nous promet d’élargir la Procréation Médicalement Assistée dans un second projet de loi, ce qui poserait de sérieuses questions bioéthiques sur lesquels nous reviendrons.

À quelques encablures de la France, un petit pays a généralisé le mariage, l’adoption et même la Gestation pour Autrui depuis de nombreuses années. La Belgique annonce peut-être le futur de la France, une société d’individus atomisés où tout est dérégulé, des flux migratoires à l’institution familiale. Malgré tous les outils légaux mis à leur disposition, les homosexuels belges ne sont pas plus heureux qu’ailleurs. Ils subissent le poids du chômage, de l’exclusion et de la pauvreté sans que les PMA, GPA et autres mariages universels – qu’ils boudent allègrement- ne les consolent. 

À la différence du code napoléonien ou de la loi de 1905, je crois que le projet actuel, s’il est adopté,  ne sera pas prescriptif. Le politique n’a plus cette capacité d’entraînement, il se contente d’enregistrer ou d’accélérer les mutations sociétales de ce qui était la nation France. Mais le pessimisme de la raison ne doit pas empêcher l’optimisme de la volonté ! Il est heureux qu’une grande partie des Français refuse la mise au pas du mariage et de la famille, au point de peut-être faire plier le gouvernement.

Eric Fassin : Les conservateurs sont un peu comme les millénaristes qui annoncent la fin du monde – sauf qu’ils l’annoncent à répétition, comme avant la loi Naquet de 1884 sur le divorce. Sans remonter si loin, rappelons-nous les batailles sur la contraception en 1967 ou l’avortement en 1975. En 1999, pour le Pacs, on nous annonçait la fin du monde. Or, c’était seulement la fin d’un monde.

Qui demande encore l’abolition du Pacs ? Aucun des onze États dans le monde qui ont ouvert le mariage n’a fait marche arrière. Parions que, quand la droite retrouvera le pouvoir, elle ne reviendra pas sur cette réforme. La société se polarise aujourd’hui dans le feu de la controverse politique : dans les sondages, l’écart est maximal entre électeurs de droite et de gauche. Mais une fois la loi adoptée, le clivage s’estompera.

Jean-René Binet : Pour être honnête, il est complexe de savoir si cette « révolution sociétale » comme l’a qualifiée la garde des sceaux, va pouvoir être absorbée ou pas. Le fait est que la société française a connu d’autres grands changements sur le plan juridique et idéologique et elle s’en est toujours relevée et nous en sommes la preuve. La question pourtant n’est pas de savoir si la France va pouvoir s’adapter ou pas, elle est de savoir si cette loi va améliorer la vie des Français ou la complexifier. Quand le législateur réfléchit à une réforme aussi profonde que celle du mariage pour tous, il doit le faire sur la base certaine d’une amélioration des conditions de vie, du progrès, or ce n’est pas le cas dans le cas dans le projet proposé par le gouvernement socialiste. Celui s’appuie en réalité sur des arguments indigents et peu étoffés et non pas sur la volonté d’un véritable progrès.

L'instauration du mariage pour tous tel qu'il est proposé par le gouvernement socialiste implique-t-il des risques pour la famille au sens juridique et social telle que nous la percevons ?  Quelles sont les dérives possibles (Marchandisation des enfants, perte de la filiation et du suivi généalogique, déstructuration sociale) ?

Daoud Boughezala : Sans père ni mère ni repères, il est certain que la construction subjective de l’enfant ne part pas sur les meilleures bases. Le pédiatre Aldo Naouri évoque une « expérimentation sur le vivant », c’est ce que nous nous apprêtons à réaliser aux dépens de nos enfants. On me rétorquera à raison qu’il vaut mieux être élevé par un couple d’homosexuel(le)s aimants que par les époux Dutroux ou Fourniret. Je n’en doute pas ! Mais, comme le mariage, les notions de père et de mère structurent le futur adulte, y compris lorsque l’un des deux référents est absent. Bernard Poignant, le maire socialiste de Quimper, a courageusement décrit le désarroi qui était le sien lorsqu’il avait dû se construire en l’absence de son père disparu.

Au-delà du mariage et de l’adoption, si un second texte venait à élargir le recours à la Procréation Médicalement Assistée, nous entrerions dans un nouveau régime familial et bioéthique. Précisons que 50 000 enfants naissent chaque année en France grâce aux méthodes de la PMA, principalement par insémination artificielle et fécondation in vitro. Bruno Le Roux, chef du groupe PS à l’Assemblée, n’entend donc pas légaliser pas la PMA mais en déréguler l’accès afin de permettre à un nombre croissant d’individus de « générer » artificiellement des enfants.. Aujourd’hui, l’utilisation de la PMA est soumise à de strictes contraintes légales (constat médical d’une infertilité, que les demandeurs soient en âge de procréer, etc.). Encore une fois, l’enfant n’est ni un droit opposable, ni un bien échangeable ou monnayable !

C’est ce que stipulent les lois bioéthiques (1994, 2004, 2011) en s’appuyant sur les principes d’indisponibilité du corps et des personnes et de non-marchandisation. Ces principes ont connu des fortunes diverses à travers les jurisprudences successives mais n’en demeurent pas moins des bornes éthiques fondamentales. En jouant avec la PMA et a fortiori la Gestation Pour Autrui, que l’entrepreneur du luxe Pierre Bergé nous presse d’adopter, nous bousculerions les frontières de la bioéthique. La GPA constituerait le stade suprême de la désinstitutionalisation : la mère porteuse réduite à son ventre pouvant légitimement revendiquer la maternité de l’enfant, au même titre que la donneuse d’ovule… Je vous laisse imaginer les possibles conflits entre les différents « parents » d’un enfant tourneboulé par les conditions filandreuses de sa naissance.

Vous parliez de « marchandisation ». C’est un enjeu essentiel à l’heure où l’on voudrait faire naître les enfants dans des éprouvettes suivant des critères physiques choisis sur catalogue. Un marché mondial de l’enfant existe hélas déjà dans le domaine de l’adoption, il serait désastreux de l’élargir par les moyens de la médecine et de l’eugénique. A ceux qui en doutent encore, je recommande la lecture du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Est-ce vraiment l’avenir que nous aimerions léguer à nos enfants ?

Jean-René Binet : Le projet tel qu’il est conçu est profondément mal pensé et c’est en cela qu’il est dangereux. En effet, l’objectif n’est pas l’union de gens du même sexe, ni de la reconnaissance sociale de l’homosexualité, ni même de laïcité comme ce fut évoqué un temps mais plutôt de créer une nouvelle structure filiation entre un enfant et deux hommes ou deux femmes qui composent le foyer dans lequel il sera élevé. La question essentielle qui n’est jamais posé dans ce débat est de savoir si la société est prête à voir son système de filiation généalogique, pour l’instant complètement sexué et cela depuis toujours, être remplacé par un filiation totalement artificielle basée sur les volontés individuelles.

Or le débat dans la manière dont il est abordé ne peut pas prendre en compte cette problématique puisque tous les arguments tournent autour de l’homosexualité et l’homophobie qui sont en fait des questions réglées puisque l’homosexualité est légale et l’homophobie condamnée. Ce que l’on ne sait pas c’est si le fait d’élever des enfants au sein d’une filiation absolument pas crédible pour l’enfant, qui sera tout à fait conscient qu’il n’est pas issu biologiquement de deux femmes ou de deux hommes, posera des problèmes identitaires ou pas. Il faudrait peut-être se poser cette question avant de légiférer. Pour faire un parallèle, il suffit de se rappeler de l’insémination artificielle à propos de laquelle on a allègrement cru que l’on pouvait priver un enfant de ses origines. Conclusion, la situation actuelle nous montre bien qu’il existe de nombreux contentieux d’enfants qui réclament de savoir qui sont les êtres dont ils sont les descendants et je ne vois pas au nom de quoi nous leur refusons ce droit. Le sens que doivent prendre les lois est celui du bien-être des enfants et de la simplification de leur rapport à leurs parents, non pas de tout compliquer et de créer des silences. Il suffit de se pencher sur la structure du projet pour comprendre qu’il n’aborde pas les bonnes questions. Sur les vingt pages qui constituent le projet de loi, une seule est consacrée au mariage, les trois suivantes sont consacrées à l’adoption et tout le reste à la neutralisation des termes sexués. Est-il vraiment cohérent de faire disparaitre les termes de « père » et de « mère » pour ne laisser la place qu’aux « parents », de supprimer le « mari » et la « femme » pour n’avoir plus que des époux. Nous sommes là au cœur d’une question complexe qui mérite une réflexion juridique, sociale et idéologique profonde et non pas simplement de d’agir vite sans réfléchir pour satisfaire à des questions politiciennes. Apporter une réponse simpliste à une question complexe n’est jamais une bonne solution. Il ne s’agit pas simplement de savoir si un couple homosexuel peut convoler ou pas.

Eric Fassin : Pourquoi les risques de marchandisation seraient-ils plus grands, en matière d’adoption ou de PMA, si les parents sont de même sexe ? Ce qui est frappant, dans le débat actuel, c’est que les inquiétudes prétendument anthropologiques s’accompagnent d’un grand ethnocentrisme : il suffit d’aller chez nos voisins belges ou espagnols pour voir qu’il ne se passe rien de tel. Le monde sera structuré autrement, et non déstructuré… Les normes changent, elles ne disparaissent pas pour autant !

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