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La posture d'autorité de Manuel Valls rappelle celle de Nicolas Sarkozy en 2007.
La posture d'autorité de Manuel Valls rappelle celle de Nicolas Sarkozy en 2007.
©Reuters

La guerre des clônes

Manuel Valls, toujours au sommet des enquêtes de popularité, était dimanche l'invité d'Olivier Mazerolle sur BFM Politique. L'occasion pour le ministre de l'Intérieur d'adopter de nouveau une posture d'autorité qui rappelle Nicolas Sarkozy en 2007.

Roland Bargignac et Thomas Guénolé

Roland Bargignac et Thomas Guénolé

Roland Bargignac est un préfet hors cadre. Il écrit sous pseudo pour Atlantico.

Thomas Guénolé est politologue à à Sciences  Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à  l'Université Panthéon-Assas.

Ses tribunes dans la presse et ses interventions télévisées portent  principalement sur l'extrême droite, la droite, le centre et la crise de l'euro.  Il a fondé en 2012 le Projet Constitution Liberté en partenariat avec OpinionWay."

Site internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Manuel Valls, toujours au sommet des enquêtes de popularité, était dimanche l'invité d'Olivier Mazerolle sur BFM Politique. Il s’est déclaré hostile l’amnistie sociale prônée par la gauche du PS et a condamné la violence des leaders syndicaux de Goodyear : « je ne peux pas admettre que des CRS reçoivent des grilles, des coups, des parpaings faits pour blesser. Il ne peut pas y avoir de violences ». Le ministre de l’intérieur excelle dans cette posture d’autorité qui le rend populaire. Une posture d’autorité qui rappelle celle de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.  Manuel Valls saurait- il exécuter le programme de Nicolas Sarkozy en 2007 mieux que Nicolas Sarkozy lui-même ?

Roland Bargignac : Les points de ressemblance entre Nicolas Sarkozy et Manuel Valls sont évidents. Tous deux attachent une importance considérable à la communication et à leur image personnelle. Tous deux ont adopté un discours d’ordre et de fermeté. Enfin tous deux ne dissimulent pas leur ambition et leur stratégie visant à utiliser le ministère de l’Intérieur comme tremplin en vue des présidentielles.

En revanche, pour ceux qui ont approché les deux hommes, les différences ne manquent pas : Sarkozy est un brillant orateur, capable de galvaniser les foules en improvisant un discours; Valls est piètre orateur, ne s’exprimant jamais sans lire ses notes. Le premier a un caractère impossible, le second est d’un abord plutôt convivial et aimable. Même leur vision de la politique diverge. Sarkozy est un meneur d’hommes insatiable d’action qui ne cesse de multiplier les réformes en matière de sécurité : fichier des empreintes génétiques, rapprochement police gendarmerie, interdiction des rassemblements dans les halls d’immeubles, etc. Valls gère habilement son image mais ne cherche aucunement à bousculer ni à chambouler le système. Valls tient Sarkozy pour l’un de ses modèles. Il n’a pas certains de ses défauts. Il n’a pas non plus son talent ni son énergie.

Thomas Guénolé : Il y a deux traditions différentes dans l'espace politique qu'il ne faut pas confondre : celle de l'ordre républicain très largement consensuel et celle de la droite sécuritaire. La droite sécuritaire a pour particularité de définir certaines populations étrangères ou d'origine étrangère comme source d'insécurité. Depuis la fin des années 90 et plus particulièrement depuis 2002 et la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, il y a dans la population le sentiment que l'ordre républicain n'est plus suffisamment assuré. Face à ce sentiment, le discours de retour à l'ordre républicain par des mesures fermes de répression est devenu de plus en plus répandu dans la classe politique tandis que le discours sur les mérites de la prévention et de la réinsertion sociale a de plus en plus été taxé d'angélisme.

Le discours de Manuel Valls est le discours de l'ordre républicain. Ce n'est pas quelque chose de nouveau à gauche : Georges Clemenceau a été un briseur de grève. Le Parti communiste a contribué à éteindre le mouvement de mai 68. En revanche, à partir de 2005,avec sa petite phrase sur "les racailles" et le tournant des émeutes de banlieues, Nicolas Sarkozy passe d'un discours de retour à l'ordre républicain à un discours de droite sécuritaire plus dur. Aujourd'hui, on constate également une inflexion de Manuel Valls dans le sens de la droite sécuritaire. C'est une stratégie possible s'il compte postuler pour la présidence de l'UMP.  Par contre, dans une perspective de conquête du PS, c'est une stratégie suicidaire.

Expulsions des Rom’s et des imams radicaux, reconduites à la frontière des clandestins, zones de sécurité prioritaires dans les quartiers difficiles, au-delà des postures, en matière de sécurité et d’immigration,  la politique de Manuel Valls semble bien se rapprocher de celle de Nicolas Sarkozy. Quel premier bilan peut-on tirer de son action ?

Roland Bargignac : Les chiffres de 2012, présentés par Manuel Valls lors de sa conférence de presse du 18 janvier dernier, sont désastreux : vols avec violence +8,9%, violences sexuelles, +12,2%, cambriolages de résidences principales, +8,5%. Il faut être clair, l’alternance de mai 2012  marque le début d’une explosion de la délinquance, qui était jusqu’alors à peu près stabilisée. Cela, la presse bienpensante s’est bien gardée de le relever…

Les coups de menton de Monsieur Valls ne suffiront pas longtemps à  masquer cette dégradation spectaculaire des conditions de sécurité des Français, résultat non seulement de l’immobilisme du ministre de l’Intérieur, mais aussi et surtout, du laxisme profond, viscéral, du pouvoir socialiste, incarné par Madame Taubira, ministre de la justice.

Le fait que Manuel Valls soit étiqueté à gauche lui donne-t-il finalement plus de liberté et de marges de manœuvre pour assumer une politique de fermeté ? La gauche, traditionnellement moins à l’aise sur le thème de l’insécurité,  peut-elle être paradoxalement plus efficace que la droite sur cette question ?

Roland Bargignac : Manuel Valls est sincère dans sa quête d’ordre et d’autorité. Cependant, il est l’otage de l’idéologie du laisser-faire et de l’angélisme de sa majorité et notamment de ses franges gauchisantes. Quand le pouvoir socialiste annonce la suppression des peines planchers pour les récidivistes ou de la rétention de sûreté pour les auteurs de crimes sexuels considérés comme dangereux, deux mesures essentielles que nous devons à Nicolas Sarkozy, ou bien l’arrêt du programme de construction de 20 000 places de prison, il donne un signal d’impunité aux criminels et commet une véritable incitation à la délinquance, à la violence, à la barbarie. Que peut Manuel Valls face à ce phénomène ? S’il était un véritable homme d’Etat, il s’opposerait à cette politique aux conséquences désastreuses pour la vie quotidienne des Français, notamment les plus fragiles, les plus défavorisés qui n’ont pas les moyens de s’abriter dans les beaux quartiers.  

Thomas Guénolé : La droite dénonce régulièrement le laxisme et l'angélisme de la gaucheen matière de sécurité. Historiquement, ce n'est pas vrai. Il y a un courant de la gauche qui se situe dans la tradition de l'ordre républicain de Clemenceau à Chevènement. En réalité sur les questions de sécurité, le problème est qu'on traite les symptômes, la délinquance, sans traiter la cause, l'absence d'insertion sociale par l'emploi. La réponse durable à la délinquance est le plein emploi. Or, en matière d'emploi, la droite et la gauche ont des bilans relativement identiques. Donc, les résultats de la gauche en matière de sécurité devraient être sensiblement les mêmes que ceux de la droite.

Au-delà des questions de sécurité, Manuel Valls se rapproche aussi de la droite sur le plan économique. Il s’était notamment prononcé en faveur de la TVA sociale ainsi qu’en faveur d’un « déverrouillage » des 35 heures. Manuel Valls serait-il finalement le meilleur candidat de droite pour 2017 ?

Roland Bargignac : Il ne suffit de s’attirer les faveurs de l’électorat de droite par des petites phrases alambiquées, soigneusement calculées, lâchées dans la nature. Pour être un candidat aux plus hautes responsabilités, il faudrait qu’il montre assez de caractère pour s’opposer à la politique de la majorité qui saccage l’économie française par une saignée fiscale de ses forces vives sans précédent, des recrutements massifs dans la fonction publique, et entraîne une crise de confiance dramatique pour notre pays avec un niveau de chômage historique de 3,2 millions de personnes. Manuel Valls ne pourra pas se défausser de ses responsabilités en se désolidarisant d’une politique qui conduit la France à l’abîme et qu’il aura pleinement cautionné en tant que membre du gouvernement.

Thomas Guénolé : Il est intéressant de revoir le débat des primaires du Parti socialiste. Durant ces primaires, Manuel Valls a tellement exprimé des positions proches de celles de l'UMP qu'Arnaud Montebourg a profité de cette opportunité pour l'attaquer directement en disant qu'il ne voyait pas l'intérêt de participer à une primaire socialiste pour faire des propositions de droite.

Le positionnement actuel de Manuel Valls, qui vient de la gauche rocardienne, correspond à l'extrême aile droite du PS ou à l'extrême aile gauche de l'UMP. Sur l'échiquier politique, il se situe sur une zone "frontière". Avec ce positionnement, il lui sera difficile de prendre le leadership du PS composé pour deux tiers de la gauche sociale-démocrate et pour un tiers de la gauche marxiste. Manuel Valls aurait eu sa place en tant que ministre d'ouverture dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy en 2007. D'ailleurs, cela lui a été proposé...

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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