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Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : sommes-nous tous fous ?
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Complètement tarés

Controverse dans le monde de la psychiatrie. Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour décrier les travaux de révision du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) en vue de sa cinquième édition.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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La prochaine édition de la classification américaine des troubles mentaux, la DSM V (Diagnostic and Statistical Manual, 5° révision), suscite beaucoup d’inquiétude. Les critères de diagnostics sont encore élargis par rapport à la version précédente, la DSM IV. Or avec cette dernière, des études statistiques avaient conclu que prés d’un américain sur deux présenterait au cours de sa vie des troubles étiquetables.

Chaque nouvelle version de la DSM suscite beaucoup de débats, parfois passionnels, chez les professionnels de la maladie mentale. C’est la première fois néanmoins que le grand public s’en émeut. La folie est un domaine qui effraie et l’on redoute que la DSM apparaisse comme une base d’arbitrage incontestable à partir de laquelle chacun pourrait être jugé comme « fou ». Un sur deux, c’est beaucoup !

C’est méconnaitre cette classification qui depuis les années 70 tente de regrouper les troubles mentaux sur la base de caractéristiques purement descriptives et « athéoriques » en proposant des définitions sur lesquelles tout le monde s’accorde. Avant la DSM, les diagnostics étaient volontiers attribués selon les perspectives théoriques de chaque psychiatre. La DSM a eu le mérite de mettre de l’ordre dans la cacophonie diagnostique. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles elle s’est très rapidement imposée dans le monde entier.

Pourquoi la DSM V fait-elle si peur ? Si l’on y regarde de près, l’étude faite à partir de la DSM IV ne retrouve que peu de risque de troubles mentaux caractérisés au cours d’une vie si l'on ne considère que les troubles sévères. En fait, l’émotion provoquée par cette nouvelle édition tient à plusieurs méprises.

1° On oublie que la DSM est un instrument de repérage pour des chercheurs ou des professionnels et non une bible d’arbitrage de la folie proposant une liste définitive de détection des « fous ».La DSM se veut évolutive, elle ne révèle rien mais cherche à affiner la description de troubles qui ne peuvent pas être regroupés sur des bases biologiques : c’est pourquoi elle en est à sa 5° révision…

2° On oublie que les troubles mentaux sont gradués et que les troubles légers objectivés par le manuel ne peuvent être confondus avec les troubles sévères.

3° Certes, dans sa volonté de faire une évaluation la plus large possible des troubles mentaux dans leur contexte, la DSM a pris le risque d’étendre excessivement le diagnostic de dysfonctionnement mental au-delà de certaines limites. Rappelons que les troubles anxieux, les troubles de l’humeur et les troubles psychotiques constituent l’essentiel des troubles mentaux caractérisés. Mais la DSM a, dès ses premières versions, pris le parti d’inclure des axes d'évaluation complémentaires (troubles du développement, troubles somatiques associés, stress psychosociaux) ce qui, en soi, est heureux à condition de ne pas confondre ces évaluations avec le diagnostic du trouble lui-même. Surtout, elle s'est étendue aux troubles de la personnalité alors que ceux-ci ne devraient pas être considérés comme un trouble psychiatrique mais plutôt comme un dysfonctionnement psychologique, associé ou non au trouble psychiatrique. Le risque est alors de sous-entendre qu’il existe une normalité psychologique et de psychiatriser tout ce qui s’écarte de cette norme. Enfin, dans le souci d'être une classification neutre à laquelle chacun pourrait adhérer quelle que soit ses perspectives théoriques, elle a développé des critères comportementaux propices à des extensions larges du diagnostic psychiatrique. Elle a inclus ainsi, par exemple, des troubles du comportement attentionnel, des troubles addictifs aussi variés que les substances. Face à cet élargissement comportemental, la question des seuils de critères employés se pose avec acuité.

Le mal n'est donc pas dans la DSM, même V, mais plutôt dans l'emploi qu'on en fait. Certains s’inquiètent toutefois de l’accroissement des diagnostics psychiatriques et l’imputent à ces nouvelles normes diagnostiques. En fait, s'il y a sans doute aujourd'hui plus qu'hier de "troubles mentaux" diagnostiqués, les raisons en sont multiples. Et notamment, ces troubles ne sont plus tabous : on a moins peur d'en parler, on a d’ailleurs également plus le droit de "s'écouter" - parfois trop, peut-être. De plus, on dispose de traitements efficaces, ce qui n’était pas le cas avant les années 50. Enfin, dernière raison et non des moindres : on vit dans une époque de disparition des repères (familiaux, professionnels, sociaux) qui favorise la montée de l’angoisse.  

Mais il est vrai que la culture pousse également à l'abus du diagnostic de "souffrance" en devenant, précisément, intolérante à toute forme de souffrance - alors que la vie est un combat - et en donnant la priorité au "bien-être", considéré comme synonyme de santé - faisant ainsi de tout "mal-être" une maladie. Certes, en étant employée par une culture abusivement orientée vers le bien être, la DSM V pourrait venir légitimer - plus encore que la DSM IV - des prises en charges excessives.

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