Mais pourquoi les régimes sans gluten sont-ils en croissance exponentielle alors que les allergies au gluten, elles, n’augmentent pas ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il existe deux types de maladies très différentes en rapport avec le gluten. La première est l’intolérance au gluten également appelée maladie cœliaque, la seconde est l’allergie alimentaire au blé.
Il existe deux types de maladies très différentes en rapport avec le gluten. La première est l’intolérance au gluten également appelée maladie cœliaque, la seconde est l’allergie alimentaire au blé.
©Pixabay

Cherchez l’erreur

Selon de nouvelles recherches, le nombre d'Américains qui suivent un régime sans gluten a triplé entre 2009 et 2014, alors que le nombre de personnes intolérantes au gluten est resté stable sur la même période. Une paranoïa collective qui touche aussi la France et qui n'a pourtant, selon les professionnels de santé, aucun lieu d'être.

Florence Trébuchon

Florence Trébuchon

Le Dr Florence Trébuchon est médecin allergologue. Elle a fondé l'École de l'asthme au service des maladies respiratoires de l'hôpital Arnaud-de-Villeneuve, à Montpellier. Elle est l'auteur de Vaincre l'asthme et les allergies aux éditions Albin Michel (2011).

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Atlantico : Pouvez-vous détailler  les tenants et les aboutissants de la nouvelle étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (voir ici? Comment expliquer que le nombre d'Américains qui suivent un régime sans gluten a triplé entre 2009 et 2014, alors que le noblémbre de personnes intolérantes au gluten est resté stable sur la même période ? Peut-on observer le même paradoxe en France ?

Florence Trébuchon : Cette nouvelle recherche a démontré que le pourcentage d'Américains suivant un régime sans gluten avait augmenté de 50% entre 2009 et 2014, alors que le pourcentage d'Américains souffrant d'une intolérance au gluten, appelée aussi maladie cœliaque, a baissé de 0,70% en 2009 à 0,58% en 2014. Par ailleurs, l'analyse des données du moteur de recherche de Google montre que, au cours des sept dernières années, le "régime sans gluten" est le mot le plus cherché de tout ce qui concerne l'alimentation.

Ces chiffres signifient tout simplement que les personnes non allergiques au gluten se mettent à suivre un régime sans gluten pour d'autres raisons. Ce phénomène, d’un point de vue médical, est assez surprenant. Il est habituel en médecine d’être confronté à des patients qui ont des difficultés à accepter leur maladie, et c’est compréhensible. Ici, c’est exactement l’inverse : des personnes se diagnostiquent elles-mêmes intolérantes aux gluten, alors qu'elles ne le sont pas !

On observe le même paradoxe aux Etats-Unis comme en France, ce qui agace beaucoup les professionnels de santé, consternés par cet effet de mode alimentaireIl m’arrive régulièrement de recevoir des personnes qui se sont auto-diagnostiquées allergiques ou intolérantes au gluten sur la base de divers symptômes qui seraient soulagés pas le régime. Ces patients sont en demande d’une confirmation médicale et pourtant, quand le verdict tombe - pas d’allergie ni d’intolérance au gluten - elles décident la plus part du temps de poursuivre leur éviction.

Parmi les personnes prônant un régime sans gluten, beaucoup affirment que leurs problèmes de santé ont disparu. Au-delà des constats empiriques, que sait-on scientifiquement des effets du gluten sur notre santé ? Qu'est-ce qui est prouvé, et quelles questions restent en suspens ?

Il existe deux types de maladies très différentes en rapport avec le gluten. La première est l’intolérance au gluten également appelée maladie cœliaque, la seconde est l’allergie alimentaire au blé.

La maladie cœliaque provoque des troubles digestifs importants : diarrhées chroniques, douleurs abdominales, fatigue, amaigrissement. Il s’agit d’une impossibilité pour le tube digestif d’assimiler le gluten contenu dans le blé, le seigle ou l’orge. Cette intolérance digestive entraîne une inflammation chronique du tube digestif à l’origine des symptômes. Le diagnostic de la maladie repose sur la recherche de certains anticorps dans le sang et il est confirmé après biopsie lors d’une coloscopie.

L’allergie au blé met en jeu le système immunitaire qui va fabriquer des anticorps appelés IgE dirigés contre les protéines du blé. En cas d’ingestion de l’aliment, il y aura une réaction immédiate potentiellement sévère : urticaire, oedeme de Quinck, choc anaphylactique. Le diagnostic se fait grâce au bilan allergologique. Cependant, l’allergie au blé est rare.

Comment expliquer que l'on attribue au gluten des problèmes qui n'ont a priori rien à voir avec ce dernier ? 

De plus en plus de personnes rendent le gluten responsable de divers maux : douleurs articulaires, fatigues, migraines, ect. Elles  affirment qu’un régime sans gluten a été efficace.

Ce qui est ennuyeux, c’est que ces personnes ont un bilan strictement normal : pas de traces d’anticorps de la maladie coeliaque, coloscopie avec biopsie normale, bilan allergologique négatif. Les soignants qui encouragent ces régimes sans preuve d’une quelconque maladie rétorquent : "on peut avoir la maladie sans les anomalies". On peut avoir la maladie sans être malade finalement !

Dans ce contexte, les bénéfices constatés des régimes sans glutens sont très subjectifs et on peut imaginer la participation d’un effet placebo.

Je préconise dans ce cas une grande prudence. L’éviction non justifiée d’un aliment est préjudiciable, en particulier chez l’enfant, car elle l’expose à une marginalisation dans sa vie quotidienne (en particulier à la cantine) et  peut conduire à un déséquilibre alimentaire.

Dans ce cas, en quoi cette "anti-gluten mania" est-elle révélatrice des angoisses de notre époque ? Pourquoi cette frénésie ?

J’ai du mal à comprendre cette diabolisation du blé. Il symbolise probablement pour certains le passage à l’ère de l’industrie agroalimentaire avec tous ses dangers : malbouffe, OGM, pesticides etc. Je pense qu’il y a des combats à mener pour une alimentation plus saine, mais le blé n’est pas le bon combat.

C’est très réducteur et c’est peut être cela qui explique l’engouement des régimes sans gluten : un seul aliment responsable de tous nos maux, c’est plus facile à gérer pour avoir l’impression de protéger sa santé.

Même le blé complet serait mauvais pour la santé selon le cardiologue américain William Davis, dont le livre Pourquoi le blé nuit à votre santé est un best-seller. Est-il possible que le blé ait évolué au fil du temps ? Pourquoi ?

La plupart de nos aliments ont évolué au fil du temps : les poulets sont élevés en batterie, les salades poussent dans des serres, les fraises poussent sur l’eau… C’est une question intéressante mais globale. Je pense que les pesticides que nous mangeons à notre insu quotidiennement sont mauvais pour la santé, il y a des preuves scientifiques, ça c’est un vrai combat. Pour le blé, je n’ai pas connaissance d’une publication scientifique sur les effets toxiques spécifiques au blé.

Quels sont les effets pervers des régimes appauvris en gluten ? 

J’ai constaté chez des personnes qui faisaient des régimes sans gluten non justifiés qu’au bout d’un certain temps ils présentent des difficultés à digérer le blé quand il font une entorse à leur régime.

Ils se plaignent de douleurs abdominales, de ballonnement, alors qu’auparavant ils mangeaient du blé sans problème digestif. C’est comme si leur tube digestif avait oublié cet aliment et qu’il avait des difficultés à le digérer.

Y a-t-il d'autres aliments sur lesquels on projette les mêmes psychoses que sur le gluten ?  

Oui, l’autre aliment diabolisé est le lait, particulièrement chez les enfants. Je vois souvent des enfants qui ne mangent aucun produit laitier sans aucune raison médicale. C’est très dommageable à plusieurs titres : déficit de calcium pour un organisme en pleine croissance, impact sur la qualité de vie, marginalisation dans la vie quotidienne.

Le plus paradoxal, c’est que le plus souvent les produits laitiers sont remplacés par des produits à base de soja, très riches en phytoestrogènes, hormone formellement déconseillée chez les enfants.

Cela prouve bien l’aspect totalement irrationnel de certaines évictions alimentaires non justifiées.

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