Ciivise
Lutte contre la pédophilie : mais pourquoi le gouvernement envisage-t-il de se débarrasser d’Edouard Durand, le juge qui dénonce les dysfonctionnements français ?
Pour l’instant, le gouvernement entretient le flou sur l’avenir de la Ciivise, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Mais le casting pourrait être remanié et voir le départ du médiatique juge Édouard Durand, son coprésident.
Atlantico : Qui est Edouard Durand, le co-président de la Ciivise, qui est sur la sellette ?
Laurent Boyet : Je côtoie le juge Durand au sein de la Ciivise depuis trois ans. Il a porté la parole des victimes sur la place publique, dans les médias… Edouard durand incarne la Ciivise. Edouard Durand était de toutes les réunions publiques. Il était de toutes les commissions et de toutes les sous commissions. Il incarne la voix des victimes depuis mars 2021. On ne peut pas produire un rapport de plus de 750 pages sans le fruit d’un travail colossal. La grande force de Durand, c'est d'avoir enlevé les œillères de la société sur le fléau des abus sexuels.
Certains disent que son aura médiatique, sa mise en cause répétée des dysfonctionnements du traitement judiciaire, des violences sexuelles dérange, agace un petit peu. Finalement, la lutte contre les abus sexuels serait une lutte qui doit se faire sans faire de bruit. Quel est votre sentiment ?
Je comprends que ça dérange puisque c'est le coeur du problème pour les victimes. Le statut de victime passe par une reconnaissance de la justice. Ce qui arrive peu souvent. Je comprends tout à fait les agacements que peut avoir Edouard Durand sur les dysfonctionnements de la justice, la lenteur de la justice ou l'absence de réponse de la justice. Je comprends que ça puisse agacer mais il avait déjà ce discours quand il était juge des enfants, avant de prendre la tête de la Ciivise. Sur ce point, il n'a jamais varié.
Qu’est-ce qui dysfonctionne dans notre pays concernant la lutte contre les abus sexuels ?
C'est un mélange de tout mais c’est avant tout le repérage, la détection. En France, on ne met pas assez l'accent sur comment détecter les signaux envoyés par les enfants lorsqu'ils sont victimes d'une maltraitance et notamment de violences sexuelles. On ne peut pas accompagner utilement un enfant si on ne détecte pas ces signaux. Pour moi, le plus grand dysfonctionnement c’est le temps qu’on met à détecter qu’un enfant est victime d’une violence sexuelle. Il n’y a qu’un seul endroit où cette détection peut et doit être faite : c’est à l’école. En particulier l’école primaire où il y a un problème de formation pour détecter les enfants qui sont victimes.
Mais ce qui dysfonctionne vraiment le plus, c'est la justice. Rarement on arrive à un procès. Quand il y a un procès, les peines ne sont pas assez dissuasives alors qu’elles existent. Les infractions existent, il faut juste les appliquer.
Tant qu'on ne fera pas en France une tolérance zéro pour les violences sexuelles commises sur les enfants, on n'y arrivera pas.
Qu’est-ce qui marche ?
Pas grand-chose. Parce que si ça fonctionnait, on n'en serait pas là. On ne serait pas obligé de faire une Ciivise. Les choses fonctionnent par la volonté des associations, pas celle de l’Etat.
Ecarter Edouard Durand de la Ciivise, le gouvernement ferait un erreur en remaniant le casting ?
Pour moi, ce serait bâillonner la Ciivise et les victimes. Laisser Edouard Durand, c’est répondre aux attentes des victimes. Un mouvement s'est créé. Pourquoi changer de casting quand quelque chose fonctionne ? Il y a parfois des politiques que j’ai du mal à comprendre.
Qu'est-ce qu'on reproche au juge Durand ? D'être trop public, d'aller trop sur les médias, de porter trop la parole des victimes, d'en faire un sujet, d'en faire une priorité ? C'est ça qu'on reprocherait finalement à Edouard Durand ? Le gouvernement enverrait un mauvais signal.
Chaque jour, il y a 450 enfants qui sont victimes de violences sexuelles. Un enfant toutes les trois minutes. C'est un fléau. Je crois que ça mérite bien qu'on s'y arrête. Ça mérite bien qu'on laisse la parole aux victimes et ça mérite bien qu'on laisse celles et ceux qui l'ont porté depuis trois ans, continuer leur mission.
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