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Mai 68, mai 2018 : la contre-révolution sexuelle a eu lieu (et en voilà les conséquences sur les jeunes adultes d'aujourd’hui)
©Pixabay / Free-Photos

Libido

Selon les statistiques publiées par le "Centers for Disease Control and Prevention", la proportion de jeunes adultes n'ayant pas eu de relations sexuelles au cours de la dernière année aurait progressé, passant d'un niveau de 12% à la fin des années 2000 à 18% pour les années 2014-2016, ce qui a conduit certains analystes à évoquer la notion de "contre-révolution sexuelle" aux Etats-Unis.

Peggy Sastre

Peggy Sastre

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme" et de "La domination masculine n'existe pas".

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Selon les statistiques publiées par le "Centers for Disease Control and Prevention", la proportion de jeunes adultes n'ayant pas eu de relations sexuelles au cours de la dernière année aurait progressé, passant d'un niveau de 12% à la fin des années 2000 à 18% pour les années 2014-2016, ce qui a conduit certains analystes à évoquer la notion de "contre-révolution sexuelle" aux Etats-Unis. Une situation qui pourrait s'expliquer par des facteurs découlant de la crise économique, les jeunes adultes ayant tendance à rester vivre avec leurs parents, et ainsi à retarder une éventuelle vie de couple. Au delà de tels facteurs, quels sont les enjeux culturels qui pourraient également avoir eu un impact sur cette situation ? 

Peggy Sastre : La tendance a été observée dans d'autres enquêtes. En mars 2017, une étude publiée dans la revue Archives of Sexual Behavior montrait que la fréquence des rapports sexuels dans la « Génération Y », soit des individus nés entre 1980 et 2000, atteignait un creux record, inégalé depuis un siècle. Je pense qu'on peut y voir, entre autres facteurs, une conséquence de la paranoïa sexuelle qui s'est emparée d'une certaine partie de la société américaine depuis une bonne quinzaine d'années. Un phénomène qui, comme l'analyse Laura Kipnis entre autres, n'est pas sans rappeler les « heures les plus sombres » de l'époque victorienne où il fallait à tout prix se protéger du sexe et traquer ses moindres petits « démons », quitte à mettre dans un même panier viols avec actes de barbarie et soirées décevantes. Dans Unwanted Advances, la professeure de cinéma et essayiste examine, et c'est assez terrifiant, l'état de la « culture sexuelle » sur les campus américains censément les plus « progressistes » et parie que les historiens du futur verront dans l'époque contemporaine une énième poussée d'hystérie collective, comparable au procès des Sorcières de Salem ou au maccarthysme. « Ils se demanderont comment des individus soi-disant rationnels ont pu succomber si facilement à cette paranoïa générale », écrit Kipnis, « Ils se demanderont comment quiconque a pu y voir du féminisme, quand le phénomène suppure le paternalisme de partout. Comment on a pu l'associer à du “politiquement correct” quand la paranoïa sexuelle ne possède a priori aucune valeur politique (tout comme l'hypocrisie sexuelle). Restaurer en douce les versions les plus contraignantes de la féminité traditionnelle, ce n'est pas du progrès, c'est un retour en arrière ». Et à ce titre, on peut évidemment parler de contre-révolution sexuelle, comme l'avançait récemment Kay S. Hymowitz dans le City Journal.

Alors que les Etats-Unis sont à l'origine du mouvement #Metoo, qui peut conduire à une formalisation de plus en plus importante des relations hommes-femmes, est-il possible de voir ces mouvements être le résultat, ou une cause, de cette contre-révolution sexuelle ? 

C'est une anecdote qui vaut ce qu'elle vaut, mais un ami me racontait récemment comment, en n'étant pas d'humeur à se mettre en couple, il se servait d'applications de rencontre pour faire du sexting, mais sans jamais voir les personnes en chair et en os et encore moins passer à l'acte. Les rapports sexuels « sans lendemain » seraient devenus trop contraignants, voire trop risqués selon lui – on ne sait jamais sur quel malentendu vous pouvez vous faire accuser de comportements « déplacés », voire, pour reprendre la novlangue du festival de Cannes, d' « incidents relationnels ». Je ne sais pas si #metoo peut révéler l'ampleur des violences sexuelles que subissent les femmes – en 2013, un conséquent rapport de l'OMS, fondé sur des centaines d'études, statuait que 35% des femmes dans le monde avaient subi des violences sexuelles et/ou physiques, on peut donc raisonnablement douter de la crédibilité d'un sondage unique estimant qu'« une femme sur deux » a été victime de violences sexuelles en France –, mais cela montre davantage comment la révolution sexuelle a pu patiner. On oublie trop souvent que la libération des mœurs, conceptualisée en premier lieu par les pionniers de la sexologie scientifique (Magnus Hirschfeld, Mikhail Stern, Alfred Kinsey, William Masters, Virginia Johnson, entre autres) est double : il ne s'agit pas seulement de diminuer les contraintes qui peuvent peser sur la sexualité, mais aussi d'atténuer les contraintes que la sexualité peut faire peser sur les individus. Cette libération sexuelle est un « affranchissement des esprits », écrivait ainsi Mikhail Stern, qui voyait dans l'amour un simple « besoin physiologique » que l'on peut « satisfaire aussi simplement que la soif et la faim ». Mais cette étape n'a jamais été mise en œuvre, notamment parce qu'elle est bien trop utopique pour notre humaine nature, mais cela peut expliquer pourquoi tant de gens – et de femmes en particulier – investissent autant dans le sexe et peuvent se sentir si profondément affectées par l'expression d'un désir.

Comment expliquer ce paradoxe d'un progressisme qui a pu promouvoir la liberté sexuelle à la fin des années 60 et aboutissant à son exact opposé à la fin de cette décennie 2010 ? 

Je ne sais pas si c'est un paradoxe, mais c'est en tout cas un de ces mouvements de balancier dont notre histoire regorge. Après, je veux rester optimiste et espérer que ce « retour » du puritanisme peinera à faire souche. On commence à le voir avec le grattage de fond de cuve du #metoo que peuvent incarner les accusations portées contre Morgan Freeman – « coupable » d'avoir flirté, touché des dos, fait des remarques sur des habits, regardé de manière soi-disant « insistante ». Beaucoup de gens se rendent bien compte que de telles interactions sont anodines, sans compter qu'elles peuvent être parfois plaisantes, amusantes et, surtout, qu'on ne rend pas service aux victimes de véritables violences sexuelles en mettant tout dans le même sac.

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