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Une femme passe devant une agence d'Agirc Arrco - Ircantec.
Une femme passe devant une agence d'Agirc Arrco - Ircantec.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Age de départ et pensions

Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a publié un nouveau rapport sur l'état actuel et futur du système de retraites français. Le COR prévoit désormais un déficit à -0,4 % du PIB pour le système de retraite en 2030.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il préside le think tank AIRE créé en 1989 par Henri Guitton et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de Centrale-Supélec, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire. 

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Atlantico : Le COR vient de publier son rapport annuel au sujet des évolutions et perspectives en matière de retraites en France. Il y est fait question d'un environnement incertain, du fait de problèmes conjoncturels et structurels. On y remarque la potentielle nécessité de repousser une fois encore l'âge de départ à la retraite, cette fois jusqu'à 66 ans. Que dire de l'état actuel du système de retraite en France ? Quels sont les principaux enjeux auxquels il nous faut aujourd'hui répondre ?

Marc De Basquiat : Tout d’abord, il convient de saluer le travail réalisé par l’équipe du COR sous la direction de Gilbert Cette. L’édition 2024 du rapport était attendue et nous ne sommes pas déçus : les hypothèses sont claires, les graphiques limpides, les enseignements évidents, la sensibilité aux divers paramètres explicite. Réjouissons-nous de cet effort démocratique de transparence et de pédagogie.

Comprenons bien la nature de ce travail d’économistes. Il ne s’agit nullement de prédire ce qui va se passer, mais de décrire la situation à date et les conséquences mathématiques de diverses hypothèses raisonnables. JK Galbraith ironisait à raison : « La seule utilité de la prévision en économie est de rendre l'astrologie respectable ». L’exercice du COR a simplement pour vocation d’éclairer des choix politiques, compris et assumés par les citoyens dans un espace démocratique.

La partie 2 du rapport, « les évolutions du système de retraite au regard de l’objectif de pérennité financière », décrit comment pourrait évoluer le solde du système à divers horizons temporels. En synthèse :

« En 2023, le solde du système de retraite (régimes de base et régimes complémentaires) était excédentaire de 3,8 milliards d’euros, soit 0,1 % du PIB. En raison du ralentissement économique et de la revalorisation importante des pensions, cette situation ne se prolongerait pas en 2024 et le système de retraite connaitrait un besoin de financement estimé cette année à -5,9 milliards d’euros, soit -0,2 % du PIB. En projection, le solde du système de retraite resterait déficitaire sur l’ensemble de la période étudiée et s’établirait à -0,8 % du PIB en 2070. »

Rapport du COR 2024, p. 87 – Figure 2-13 –
Solde du système de retraite observé et projeté dans le scénario de référence

Notons que ce scénario de référence est construit avec des hypothèses raisonnables, un peu teintées d’optimisme : fécondité de 1,8 enfants par femme, poursuite des gains d’espérance de vie, solde migratoire de 70.000 personnes par an, croissance annuelle de la productivité horaire de 1,0 % en réel à partir de 2040 et taux de chômage de 5 % à partir de 2030.

Nous devons donc accepter le constat que notre système de retraite est structurellement en déficit.

Pour comprendre comment le rééquilibrer, rappelons l’équation fondamentale d’un système par répartition (cf. p. 105) :

Nombre de cotisants x Revenu d’activité moyen x Taux de prélèvement
= Nombre de retraités x Pension moyenne

Le pilotage de ce système dépend de la démographie (rapport entre les effectifs de cotisants et de retraités), du taux de remplacement (rapport entre les montants des pensions et des revenus d’activité) et du niveau des prélèvements. C’est là que les choix politiques peuvent diverger.

Les débats actuels sur la question de l'âge de départ à la retraite portent, pour l'essentiel, sur l'idée d'un retour à 62 ans, voire à 60 ans dans certains cas. Compte tenu du rôle clef que joue l'âge de départ à la retraite dans l'équilibre de la nation, et plus précisément celui du budget de la sécurité sociale, peut-on vraiment juger ces propositions crédibles ? Qui paie, in fine, le prix de nos irresponsabilités ?

Il est regrettable que le débat sur l’équilibre de nos systèmes de retraite soit à ce point focalisé sur la question d’un « âge légal » de départ à la retraite, en éclipsant les autres paramètres (en particulier les taux de cotisation et la revalorisation des pensions). Ceci s’explique par le fait que décaler l’âge a un effet double (comme au Scrabble) en jouant simultanément sur la démographie des cotisants et des pensionnés. Effectivement, si les autres paramètres sont inchangés, le rééquilibrage du système (cf. graphique ci-dessus) peut se réaliser – simple calcul mathématique – en décalant l’âge de départ.

Rapport du COR 2024, p. 111 – Figure 2.21a –
Ajustement des leviers disponibles pour équilibrer structurellement le système de retraite chaque année jusqu’à 2070 – Âge de départ

Viser 66 ans en moyenne signifie que la plupart des actifs actuels et futurs devraient travailler 3 ans de plus que ce qui est observé actuellement. Ceci ne présente pas un effort démesuré, si on compare à d’autres pays.

« Sauf exceptions (liées à la durée de carrière, la pénibilité ou l’invalidité), l’âge d’ouverture des droits au 1er janvier 2024 va de 60 ans, pour le Régime des Pensions du Canada et pour le régime de base au Japon (avec une décote significative), à 67 ans en Espagne et en Italie. La France se situe plutôt dans le bas de la fourchette des pays suivis par le COR avec un âge d’ouverture des droits de 62,25 ans (pour les assurés nés entre le 1er septembre 1961 ans et le 31 décembre 1961) ».

Rapport du COR 2024, p. 193 – Figure 4.C –
Âges d’ouverture des droits au 1er janvier 2024 et à terme
dans les pays suivis par le COR

Les partis politiques qui souhaitent avancer le départ à 60 ou 62 ans devraient expliquer comment ils équilibrent le système : en baissant le niveau des retraites (forte décote ?) ou en augmentant le niveau des cotisations ? Il n’existe pas vraiment d’autre option. En période électorale, évidemment, aucun de ces partis ne va répondre à cette question. Nous découvrirons cela après l’audit que les nouveaux venus aux affaires ne manqueront pas de réaliser dans les prochains mois.

La France, après la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République, est de nouveau en campagne. Qui, du bloc de gauche composant le Nouveau Front Populaire, du parti présidentiel, de la droite ou du Rassemblement national, porte des propositions à la hauteur des enjeux sur ces questions ? D'une façon générale, peut-on vraiment dire de tous les projets ici présentés qu'ils se valent ?

La période électorale exceptionnellement courte que nous vivons n’est pas propice aux débats de fond. Nous sommes condamnés à voir fuser des slogans racoleurs, sans expertise contradictoire sur les mesures qui seront réellement mises en œuvre par la suite.

En étant un brin caustique, on peut rappeler que les campagnes présidentielle et législatives de l’année 2022 n’ont pas été beaucoup plus intéressantes de ce point de vue. Ceci semble une nouvelle constante de notre vie démocratique : les citoyens forgent leurs opinions en visionnant des vidéos sur Facebook, Instagram, TikTok ou X / Twitter… Peut-être le temps est-il venu de faire le deuil de la notion de « programme électoral » ? Par exemple, le programme du nouveau Front populaire aligne 22 pages de déclarations exaltées sans aucune considération sur la faisabilité technique. Qui les lit en s’inquiétant de leur réalisme ?

Quelles sont, selon vous, les mesures qu'il conviendrait de prendre pour ramener le système à l'équilibre de façon pérenne ?

En 2020, j’ai publié un rapport avec le think tank Generation Libre sous le titre « La retraite quand je veux ». J’y développais plusieurs propositions à partir de l’idée que fixer un « âge légal » de départ est une approche paresseuse, ne favorisant ni la liberté ni l’équité. En synthèse :

1- Une première mesure, évidente, consiste à revenir sur les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités, singulièrement les plus aisés : absence de cotisation à l’assurance maladie, CSG à taux réduit, abattement de 10% supplémentaire sur les pensions.

2- Un système de retraite par répartition peut être automatiquement équilibré s’il est conçu en « comptes notionnels ». Ce jargon signifie que la masse de cotisations versées pendant la vie active est transformée en points de retraite le jour de la liquidation des droits. Ce calcul prend en compte l’espérance de vie au moment du passage à la retraite. Ces points sont ensuite transformés en montant de pension selon une valeur ajustée chaque année en fonction des cotisations collectées la même année.

3- Les règles qui viennent d’être énoncées rendent caduque la notion d’âge légal de départ à la retraite. Chacun part lorsqu’il le souhaite, en sachant que le niveau de sa pension dépend directement de ce choix personnel. C’est une généralisation et une simplification du mécanisme actuel de « décote ».

4- Le système devrait être complété par un dispositif systématique de « transfert intragénérationnel » : les retraités (tous ceux qui ont liquidé leurs droits et dépassé un âge minimal) mettraient en commun un quart de tous leurs revenus, distribués entre eux de façon égalitaire. Ce socle d’environ 500 € mensuels contribuerait à l’équité sans peser sur les actifs.

5- Il faudrait aussi parvenir à supprimer les freins actuels à l’activité économique des plus âgés. Nombre d’activités « légères » sont confiées à des jeunes, dont les capacités sont sous-utilisées, alors qu’elles donneraient une activité sociale bienvenue à des personnes en fin de carrière qui n’ont plus besoin de fortes rémunérations.

6- Les règles de prise en compte de la pénibilité devraient être remplacées par une forte bonification des cotisations acquittées par les employeurs des salariés particulièrement sollicités à certains moments de leurs carrières.

7- Le dispositif de la réversion, source de nombreuses iniquités et de dérives budgétaires, devrait être refondé à partir d’un principe de partage des droits acquis pendant la vie commune des conjoints. Ceci est également la meilleure solution face à l’instabilité des couples.

Quatre ans plus tard, ces principes directeurs sont toujours pertinents. Mais le prochain gouvernement aura-t-il le courage de relancer un chantier majeur sur l’épineuse question des retraites ?

Dans un tout autre registre, des approches eugénistes ou malthusiennes inviteraient à chercher comment diminuer le nombre de retraités pensionnés (euthanasie passive ou active, suicide assisté ?), avec une énorme tension entre pertinence économique et acceptabilité morale. Cette idée est horriblement choquante, mais à un certain niveau de dégradation économique du pays, restaurer l’équilibre nécessitera des choix douloureux : travailler trois ans de plus, changer le système ou raccourcir l’espérance de vie.

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