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Lutte contre la radicalisation islamiste : ces 3 erreurs léguées par la gauche auxquelles devra échapper le nouveau gouvernement
©Reuters

Lourd héritage

Le bilan de la gauche dans sa politique de lutte contre la radicalisation, est assez faible pour trois raisons : erreur de diagnostic, erreur de méthode et enfin erreur de traitement. Une absence de politique en quelque sorte !

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Le diagnostic a longtemps été différé puisqu’on ne commence à se préoccuper des départs en Syrie que lorsque les mères font une conférence de presse en juin 2014 qui amène à la création du téléphone vert. Les alertes des élites musulmanes tout au long de l’année 2014 étaient restées sourdes. Comme le gouvernement de droite avant lui, la gauche ne traitait pas la question de la radicalisation parce qu’elle confondait Islam de France et Salafisme. Employant des termes génériques comme « Islam radical » ou « musulmans intégristes », elle mélangeait l’un avec l’autre. Inutile de parler du rousseauisme de Mélenchon qui « ne veut pas qu’on parle de religion ! » et de Nathalie Arthaud qui accuse « le grand capital » ! Frilosité ou aveuglement ? Il a fallu les attentats de janvier 2015 pour qu’enfin Manuel Valls parle de lutte contre le salafisme, sans faire la distinction entre salafisme quiétiste et djihadiste qui diffusent pourtant le même discours antisémite, raciste, intolérant, homophobe et misogyne et sectaire. S’il fallait se fier aux seuls discours, Hitler était un nazi quiétiste avant 1934. Une des premières mesures pour bien démontrer politiquement la différence entre Islam de France et salafisme aurait été, comme nous l’avions proposéi, de rattacher le bureau des Cultes, non plus au ministère de l’intérieur, mais au Premier ministre à Matignon, et laisser la lutte contre le salafisme au ministère de l’intérieur. 

Erreur de méthode ensuite ! Dans l’urgence qui a suivi les assassinats à Charlie Hebdo, il fallut faire vite et l’état d’urgence en a été la manifestation la plus visible. Le retard du temps politique devait être rattrapé par l’activisme administratif. On a confié au Comité interministériel de Prévention de la délinquance (CIPD) la lutte contre la radicalisation, ainsi dégradée de question politique à un problème de délinquance. Il fallut tout traiter en même temps. La prison est devenue une question d’urgence parce qu’on disposait d’études (notamment celles de F. Khosrokavar), bien que les juges anti-terroristes aient depuis longtemps fait remarquer que 70 % des retours de Syrie n’étaient passés ni par la prison, ni par la mosquée… Idem lors de la tentative de regroupement des détenus les plus dangereux à la maison d’arrêt à Osny : l’agression violente de deux agents le 4 septembre 2016, a stoppé un programme de prise en charge ambitieux (naïf diront plus tard certains) dans les unités dédiées d’Osny, de Fresnes et de Fleury-Merogis. L’événement tragique a conduit à l’arrêt complet des programmes sur décision soudaine du Garde des Sceaux, une simple évaluation des personnes détenues venant remplacer à la hâte ces dispositifs. Le dispositif des unités dédiées est mort au bout de quelques mois sans évaluation ni réflexion globale sur l’allocation des ressources. Idem pour le Centre de déradicalisation de Pontourny aujourd’hui vide. La polémique politicienne tient lieu de politique comme la dénonciation radicale des errements financiers constaté par la mission sénatoriale d’Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR), tient lieu d’analyse. Chaque ministre a aussi voulu poser sa pierre à l’édifice et se doter d’un Haut Conseil (formule politiquement toujours utile quand on en sait que faireii). Souvent les mêmes experts se retrouvent dans la quasi-totalité des conseils. Une vision synthétique parait pourtant essentielle pour poser les grands lignes d’une politique. Matignon a créé son propre conseil scientifique trimestriel, le seul véritablement indispensable, par un décret du 3 mai 2017… 27 mois après Charlie … Les données fournies par le CIPDR comme les études de terrain confirment l’extraordinaire prégnance de la déshérence sociale dans le recrutement djihadiste. En fait c’est dans l’association quotidienne des experts à l’action publique qu’on peut évaluer et synthétiser, en ne laissant pas de côté des questions essentielles comme celle des jeunes radicaux issus des classes moyennes ou celle des jeunes filles partant en Syrie. Plutôt que de nouveaux hauts comités, il aurait mieux valu permettre l’accès des chercheurs au fichier aux quelques 6000 signalements du téléphone vert, seule donnée démographiquement exhaustive de l’état des processus de radicalisation. 

La société française choquée par les attentats, a, elle aussi, connu une très forte mobilisation contre la radicalisation. Si certaines initiatives nées avant les attentats ont été accompagnées, d’autres mises en place localement, ne sont ni recensées, ni évaluées. Des études de synthèse ont été demandées à des chercheurs puis laissées sans suite. Là aussi une vision d’ensemble parait indispensable.

Enfin erreur de traitement ; car là encore parler de terrorisme au lieu de parler de radicalisation équivaut à traiter le symptôme plutôt que la maladie. Ne pas constater que tous les attentats qui ont frappé la France ces deux dernières années, étaient tous connectés aux cellules souches salafistes implantées sur le territoire depuis une vingtaine d’années, ghettoïsées dans certaines communes, toujours respectueuses de vivre dans la légalité, procède de cette analyseiii. Certains pays qui n’interviennent pas au Moyen Orient ne sont pas frappés.  Se draper dans la position irresponsable de la victime évite de se remettre en question. « On nous a déclaré la guerre » avait affirmé le Président, alors que nos avions participaient depuis plusieurs mois à l’Opération Chammal - « On nous a déclaré la guerre » a affirmé le Président - alors que nos avions participaient depuis plusieurs mois à l’Opération Chammal, évite de se remettre en question.  Débattre de notre diplomatie est un tabou !  Pourtant les sites salafistes l’affirment « Mille morts à Gaza, on ne fait rien ! Trois Occidentaux égorgés (en Irak) on envoie l’armée ! ». Quand la Grande Bretagne et l’Espagne ont été frappées par des attentats, on a bien fait le lien avec leur participation à l’invasion de l’Irak. Quand les terroristes du Bataclan crient en tirant sur les victimes « On tue des enfants chez vous, parce que vous tuez des enfants chez nous », on ne l’entend pas. La militarisation pour lutter contre le terrorisme, est une erreur récurrente qui génère une accentuation de la menace terroriste comme dans tout conflit asymétrique : les 240 morts et plus de 900 blessés sur le territoire n’ont aucune commune mesure par rapport aux pertes militaires françaises en Syrie et Irak, étonnant constat. Peut-on penser que des Rafales supplémentaires vont rendre la France plus sure ? Enfin lutter contre Daech pour défendre l’Arabie saoudite, qui est la matrice du salafisme depuis plus de 70 ans et qui pratique les mêmes horreurs, est un oxymore diplomatique que « 10 milliards de contrat » ne suffisent pas à justifier ! 

La nouvelle équipe aura donc à remettre à plat l’ensemble de l’organisation de la lutte contre la radicalisation car l’administration ne peut à la fois être juge et partie de ce qu’elle met en place. Il est pour cela nécessaire d’associer étroitement une équipe de chercheurs à l’évaluation de l’ensemble des dispositifs, à la formation des jeunes fonctionnaires du service pénitentiaire d'insertion et de probation (PIP) suivre des radicalisés libérés seuls etc, etc…. Et il n’est pas trop tard.

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