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Lutte antiterroriste : la France est-elle vraiment mieux organisée que la Belgique (et quid des leçons de Charlie...) ?
©Pixabay

La paille et la poutre

La Belgique est encore en état de choc après les attentats qui ont dévasté Bruxelles mardi. Des événements qui nous rappellent que la menace terroriste est encore vive, même en France. Quatorze mois après les attentats qui ont touché Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher et quatre mois après les tueries du Bataclan, les leçons n'ont pas été tirées : la France n'est pas encore passée à la culture du renseignement, pourtant nécessaire, et continue à privilégier celle du contre-espionnage.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : Un double attentat a fait 34 morts en Belgique ce mardi. Après les attaques terroristes meurtrières qui ont endeuillé la France en janvier et novembre 2015, en avons-nous pour notre part tiré les leçons nécessaires ? Sommes-nous mieux préparés que les Belges à d'éventuelles nouvelles attaques ?

Alain Bauer : La sécurité belge n’est pas plus défaillante qu’ailleurs. Ce qui s’est passé aurait pu arriver dans n’importe quel autre Etat européen, la France comprise. Malheureusement, dans tous les pays, les aéroports ne sont pas protégés en tant qu’aéroports. En fait, seules les zones d’embarquement bénéficient d’une vraie surveillance. De même, les gares ne sont pas protégées en tant que gares, mais seulement certains portiques, et pas toujours la ligne qui est concernée. Les Belges sont tout simplement dans une situation comparable à celle de tous les autres pays.

Après les attentats de Paris en 2015, certaines faiblesses de notre dispositif sécuritaire ont été pointées du doigt, notamment le manque de coordination des différentes forces d’interventions (RAID, BRI et GIGN). Qu'avons-nous mis en œuvre pour y remédier ? 

Tout ceci est pour amuser la galerie. Le vrai sujet est de choisir une unité et de la conserver. Les trois ont à peu près les mêmes compétences ainsi que les mêmes qualités. Elles ont également les mêmes défauts, et le même manque d’expérience dans le domaine. Elles sont toutes les trois formatées pour la prise d’otage, où il faut négocier, mais pas pour la tuerie de masse, où il faut éliminer le tueur. Le commissaire de la BAC, qui est intervenu le premier, a parfaitement compris ce qu’il fallait faire. Voilà pourquoi, il a été le seul vrai héros du 13 novembre, en mettant fin aux massacres et en bloquant la machine à tuer qui était en cours au Bataclan. De la même manière, les agents de sécurité privée ont probablement sauvé une grande partie du public du Stade de France.

En réalité, la vraie question n’est pas là. Le problème se situe dans la culture du renseignement, qui doit prévoir et empêcher les attentats. Or, notre culture est une culture du contre-espionnage. Nous privilégions le temps long et le secret, qui correspond à la nature de l’espionnage et du contre-espionnage français. Aujourd’hui, nous n’avons pas réalisé de révolution culturelle, pourtant nécessaire. Le problème n’est pas la coordination ou la collecte de l’information. En ce qui concerne la collecte de l’information, nous en avons beaucoup et même souvent trop. Et nous découvrons à chaque fois a posteriori que nous avions déjà tout sur tout et que nous n’avions pas compris ce que nous avions entre les mains. Le problème n’est pas quantitatif, mais qualitatif. Il faut que nous améliorions notre analyse. Il nous faut donc réaliser notre révolution culturelle pour savoir enfin faire de l’anti-terrorisme. Vous noterez d’ailleurs qu’à Paris, Saint-Denis et Bruxelles, la police "de papa", celle de l’interception des indicateurs et des informateurs, donne d’excellents résultats dans la recherche des auteurs. Alors que le renseignement initial, celui qui doit empêcher l’attentat, comme le disait Manuel Valls, connaît des failles. C’est donc bien la preuve qu’il faut faire moins de fétichisme technologique et un peu plus d’humain. Il faut moins d’inspecteurs Google et un peu plus d’infiltration et de terrain. Cela représente pour nous une mutation importante par rapport au modèle qui était celui des Etats-Unis et qui a abouti au 11 septembre.

En novembre dernier, vous déclariez que "lorsqu’on déconstruit les frontières pour faire de la libre circulation, on ne peut pas en même temps faire de la surveillance." Où en sommes-nous aujourd’hui sur ce point précis ? Que reste-t-il à faire ?

Nous restons dans l’entre deux, qui est néfaste. Pendant longtemps, et depuis toujours même, les règles fondamentales de la sécurité étaient inspirées par les principes de Sun Tzu et Vauban. Pour ce qui est de la périphérie, nous devons surveiller loin et être informés le plus rapidement possible. Ensuite, à l’intérieur d’un périmètre, il faut protéger l’espace le plus important et le renforcer. Le dernier principe est compartimental : une fois qu’on est arrivé dans votre salle de bain, on n’est pas obligé d’arriver dans votre chambre à coucher. Ces trois règles ont été la fondation de l’architecture militaire mais elles ont été déconstruites à partir des années 1970, au nom de l’ouverture sur la ville et des "Bisounours" retrouvés qui s’aimeraient d’un amour tendre. Il faut simplement faire des choix. Soit tout est ouvert, soit tout est fermé, mais ça ne peut pas être les deux ou entre les deux.

Que peuvent alors faire les pouvoir publics pour palier au problème ?

Nous pouvons faire énormément de choses. Car quand nous faisons du qualitatif, cela fonctionne. Quand nous faisons du renseignement humain en misant sur l’humain, avec une technologie qui aide l’humain, mais ne le remplace pas, cela fonctionne. La démonstration en a été faite un peu partout, à la fois dans la protection des sites, mais aussi dans l’anticipation de la menace. La question n’est pas de faire, mais d’accélérer, c’est la difficulté qu’ont tous les gouvernements. Cependant, il faut reconnaître qu'ils sont lucides sur ce point aujourd'hui. Mais le problème est d’aller malgré tout plus vite plus vite. Car le décalage entre le temps de l’action terroriste et le temps de la réaction terroriste est trop grand et nous payons le prix fort en morts en et blessés

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