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Ludovine de la Rochère : "Si Emmanuel Macron compte vraiment mettre la PMA sans père sur la table, LMPT s'engage à ce que des mobilisations immenses aient lieu"
©ERIC FEFERBERG / AFP

Rebelote ?

Le député de la majorité Guillaume Chiche a déposé en urgence une proposition de loi pour étendre la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Or, il n'y a pas consensus sur ce sujet en France.

Ludovine de La Rochère

Ludovine de La Rochère

Ludovine de la Rochère est présidente du Syndicat de la famille (anciennement «la Manif pour tous»).

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Atlantico : Le député de la majorité Guillaume Chiche a déposé en urgence une proposition de loi pour étendre la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Cette décision ne trahit-elle pas une inquiétude ou du moins une forme de fébrilité dans le camp des pro-PMA ?

Ludovine de la Rochère : Cette précipitation donne en effet l’impression que les militants pro-PMA sont inquiets. Et de fait, je les comprends : le président de la République, chaque fois qu’il a évoqué cette question, a toujours souligné que l’une des conditions sine qua non pour avancer était « l’existence d’un large consensus » et qu’il « ne passerait pas en force ». Or, en l’occurrence, les Etats généraux de la bioéthique, consultation préalable à la révision de la loi de bioéthique prévue par la loi, ont clairement montré l’absence de consensus : aussi bien dans les réunions publiques partout en France que sur le site internet, lequel a tout de même recensé plus de 800.000 votes ! Quant aux organismes qui ont exprimé leur opposition à la PMA sans père dans ce cadre, ils sont très largement représentatifs de la société française, beaucoup plus que les organismes ayant au contraire validé cette idée. L’UNAF, par exemple, qui représente 700.000 familles adhérentes et plus de 7000 associations familiales, s’y est déclaré opposée, à l’inverse de « Ici Mama Solo », qui n’est même pas une association, mais seulement une page FaceBook ayant 242 abonnés !

Il est aussi de notoriété publique que les intellectuels, les médecins, les scientifiques, les juristes, les professionnels de l’enfance, tout comme les politiques, sont très divisés sur cette question. L’Académie de médecine a d’ailleurs pris position contre la légalisation de la PMA sans père.

La majorité présidentielle avance-t-elle unie dans cette nouvelle bataille sociétale ?

Les députés de la majorité étant issus de la société civile pour beaucoup, il a fallu du temps pour les découvrir – et donc connaître leurs positions -. Et eux-mêmes, il leur a fallu aussi du temps pour oser s’exprimer et, éventuellement, se démarquer. Quelques dizaines, en revanche, sont issues des rangs de la gauche et leurs positions sont connues de longue date.

Or il s’avère, et l’épisode de cette proposition de loi PMA l’a fait sortir au grand jour, que toutes les positions existent chez les LREM sur cette question. Ce n’est pas étonnant puisqu’il n’y avait pas de « doctrine » en la matière à En Marche ! Les candidats à la candidature aux législatives n’avaient donc pas eu à faire part de leur adhésion à cette idée. Et il leur avait bien été dit, en outre, qu’ils seraient libres de leur vote sur les sujets de société. Nous avons constaté, d’ailleurs,au moment des législatives en juin 2017, que les candidates LREM ne connaissaient même pas la position personnelle d’Emmanuel Macron sur le sujet. Autrement dit, on est loin, très loin d’une promesse de campagne : ses propres candidats n’étaient eux-mêmes pas au fait !

Et du côté du gouvernement, les ministres sont eux-mêmes divisés sur ce sujet, nombre d’entre eux y étant opposés comme leurs réactions l’avaient montré après la déclaration de Marlène Schiappa en septembre dernier sur la PMA.

La PMA fracture donc la majorité présidentielle, et sans doute profondément puisque (seulement) 47 députés LREM (sur 309) ont signé dans Libération il y a quelques semaines une tribune pour la PMA sans père, tandis que d’autres n’en veulent pas.

Cela explique bien-sûr aussi la fébrilité des militants du « droit à l’enfant », souvent issus des rangs du parti socialiste du reste.

Tout cela fait de la PMA un sujet très dangereux pour Emmanuel Macron : avancer vers sa légalisation pourrait être un piège politique lourd de conséquences.

La PMA était-elle, oui ou non, une promesse de campagne d'Emmanuel Macron ?

Non, l’ouverture de la PMA aux femmes seules et au couples de femmes n’étaient pas une promesse de campagne du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron, contrairement à ce qu’on entend souvent.

En fait, suivant des échanges de mails de ses proches collaborateurs sortis par Wikileaks, Emmanuel Macron semblait y être plutôt opposé fin 2016 :

D’autre part, rien n’était dit sur la PMA dans le programme officiel d’Emmanuel Macron, que l’on peut encore retrouver ici et il ne l’avait pas non plus évoquée lors de la présentation publique de son programme, à visionner ici

Très tardivement dans sa campagne, il s’est déclaré« personnellement » favorable à la PMA sans père, ce qu’il a exprimé dans deux interviews et un meeting. Il l’a indiqué aussi dans « une lettre aux LGBTI », autrement dit une lettre qui ne s’adressait pas à l’ensemble des électeurs pour le leur faire savoir, mais à un public ciblé. Sa motivation était manifestement électoraliste.

Ainsi, l’évolution de la PMA n’était pas une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, et ce point est très important parce qu’il n’est donc pas possible de prétendre que les Français l’ont élu en connaissance de cause et en acceptant cette idée.

J’ajoute qu’Emmanuel Macron, avant comme après son élection, a toujours précisé qu’il s’agissait de son opinion « personnelle » et, comme je le disais à l’instant, qu’il conditionnait impérativement une éventuelle avancée en ce sens à « l’existence d’un large consensus ».

Le gouvernement a annoncé que la PMA serait dans la prochaine loi de bioéthique. A-t-il tenu compte des avis exprimés lors des états généraux de la bioéthique ?

Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a plus précisément indiqué que la PMA serait « débattue » dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique. Mais en effet, s’il n’a pas dit « inclue » dans la révision de la loi de bioéthique, il va déjà trop loin et ce, pour plusieurs raisons : d’abord parce que lors des états généraux de la bioéthique, processus de consultation publique organisée par le gouvernement lui-même, une opposition massive – de plus de 80% des participants – s’est exprimée ; ensuite parce que le gouvernement, par la voix de la Ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a déclaré qu’il attendait plusieurs avis, dont celui de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST). Et du côté parlementaire, une mission d’information bioéthique vient à peine de commencer son travail, lequel devrait s’achever fin 2017. Dans ce contexte, il est particulièrement mal venu de décréter que la PMA serait débattue : à ce jour, rien n’y oblige, bien au contraire !

Et de fait, le rapport du Conseil d’Etat publié ce 11 juillet, dit certes que, juridiquement, rien n’empêche la PMA sans père, mais il souligne aussi que rien n’oblige à aller dans ce sens. Il développe en outre les implications et risques inhérents à la PMA sans père.

J’ajoute qu’un gouvernement qui cèderait à un lobby ultra-minoritaire – ce qu’ont amplement montré les Etats généraux de la bioéthique -,ferait preuve d’une grande faiblesse.

La société est-elle mobilisée sur ce sujet ? Faut-il s'attendre à une fronde comparable à celle de 2013 contre le mariage pour tous ?

Les Etats généraux de la bioéthique ont permis de prendre le pouls sur ce sujet et ce, sur l’ensemble du territoire français. Or il est clairement apparu une opposition massive, réfléchie, argumentée, diversifiée et, j’allais dire, déterminée, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, et dans les grandes villes comme les petites.

Si je ne pense que l’on puisse dire que la société, dans son ensemble, est « mobilisée » sur le sujet, il est donc clair, en revanche, qu’un nombre immense de Français l’est vraiment : consacrer des soirées entières à des réunions publiques, souvent loin de chez soi, ou passer des heures sur le site de la consultation en ligne en dit long sur le niveau d’inquiétude des participants aux états généraux de la bioéthique.

Quant aux autres, s’ils ne sont pas « mobilisés » sur le sujet, ils n’en sont pas moins opposés à la PMA sans père. En effet, quand on analyse réellement les sondages, on constate que seuls 1 à 3% considèrent que c’est une réforme nécessaire, que pour 65% d’entre eux « l’Etat doit garantir à l’enfant né par PMA le droit d’avoir un père et une mère » et pour 95%, que le père a un rôle essentiel auprès de l’enfant. La réalité de l’opinion publique française se mesure ici, et non dans les quelques sondages dont la question induit littéralement une réponse positive, celle-ci étant à peu près : « êtes-vous pour un nouveau droit ? »

Un sujet comme la PMA peut-il selon vous rassembler un grand nombre de Français dans un mouvement uni ? L'immense majorité d'entre eux n'est-elle pas indifférente à ce débat ?

Je pense que nombre de Français, en effet, sont trop pris dans leurs difficultés personnelles, professionnelles et autres pour s’investir véritablement sur des questions d’avenir, lesquelles sont complexes et demandent de prendre du temps. Pour beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, une idée telle que la PMA sans père est vraiment une histoire de « bobos déconnectés de la vraie vie » : je cite là une personne de Nîmes à laquelle j’ai remis un tract il y a quelques semaines.

Mais cela n’empêche pas un nombre immense de Français, qui ont pris conscience des enjeux avant 2012 ou en 2012-2013, d’être prêt à se rassembler très largement pour intervenir. Et l’on sait que l’opposition à la PMA va bien au-delà de l’opposition à la loi Taubira : nombre de Françaisétaient favorables au mariage gay mais opposés à la PMA sans père et à la GPA. Si l’on peut regretter qu’ils n’aient pas compris le lien entre le mariage et la filiation, on sait en tout cas que l’idée de la PMA sans père est inacceptable pour eux.

Comment espérez-vous faire prendre conscience des enjeux que représente l'ouverture de la PMA à toutes les femmes ? En quoi cela concerne-t-il les autres couples ?

La PMA sans père concerne non seulement tous les couples, mais même tous les Français, quel que soit leur situation personnelle.

D’abord parce que nous avons tous à défendre les plus vulnérables, en l’occurrence l’enfant, que certains voudraient volontairement priver de papa. Ensuite parce que la PMA sans père serait un détournement de la médecine et du système médical français. Or, une fois que la médecine sera devenue une prestation de service pour la réalisation des désirs individuels, rien n’empêchera qu’elle soit utilisée aussi pour des PMA post-mortem, des GPA, des ventes d’embryon, mais aussi pour sélectionner de plus en plus les enfants à naître et ensuite, quand cela sera possible, pour modifier leur patrimoine génétique. La PMA sans père, autrement dit, ouvre la voie à l’eugénisme et à la logique transhumaniste. La société est donc toute entière concernée : est-ce ce que nous souhaitons pour les générations à venir ?

Cependant, un autre aspect beaucoup plus immédiat est à réaliser : en effet, légaliser la PMA sans père, ce serait évidemment considérer que les enfants peuvent se passer de père, ce qui signifierait, finalement, qu’on n’a pas vraiment besoin des pères. Ce serait une incroyable mise en cause des hommes. En outre, on enverrait un message subliminal à tous les enfants, adolescents et jeunes d’aujourd’hui, à savoir : « ton père n’est pas vraiment important, tu peux t’en passer, tu peux l’ignorer ». Dans ces conditions, on sape le respect dû par les enfants à leur père, ce qui compliquera leur tâche d’éducateur.

A propos des couples, il y a également un problème très concret, qui concerne ceux qui souffrent d’une pathologie de la fertilité : dans les cas où ils auraient besoin de recourir à un don de sperme, ils devront attendre beaucoup plus longtemps. Il y a en effet une véritable « pénurie de sperme » aujourd’hui. Or, évidemment, 100% des femmes seules et des couples de femmes  qui demanderaient à bénéficier d’une PMA auraient besoin d’un apport de sperme (contre 5% des couples homme-femme recourant à une PMA).

Et justement, à ce propos, il est très vraisemblable, en raison de cette augmentation drastique de la pénurie de sperme qu’entraînerait la légalisation de la PMA sans père, que l’on en viendrait ensuite à rémunérer le sperme, ce qui ouvrirait la marchandisation de l’humain. J’ajoute que, malheureusement, je ne fais pas, ici, de la prospective : le CCNE lui-même avait inclus dans les sujets des états généraux de la bioéthique celui de la rémunération des gamètes sexuelles. La PMA sans père, autrement dit, emmènerait vers la marchandisation de l’humain. Là encore, est-ce ce que nous souhaitons pour les générations à venir ? Pouvons-nous laisser faire ?

La Manif Pour Tous a-t-elle encore les moyens et les réseaux suffisants pour revenir sur le devant de la scène et mener une confrontation longue de plusieurs mois ?

Je note que vous parlez de « revenir sur le devant de la scène »… alors que les médias comme les politiques parlent de La Manif Pour Tous absolument tous les jours ! Soit parce qu’ils évoquent l’opposition aux transgressions anthropologiques et éthiques qui sont envisagés, opposition qui est largement incarnée par La Manif Pour Tous, soit parce qu’ils nous invitent à débattre, répondre à des interviews, etc.

En ce qui concerne les réseaux, autant vous dire que ceux de La Manif Pour Tous n’ont cessé de se développer et de se solidifier depuis maintenant 5 ans ! Quant aux moyens, du point de vue organisationnel, La Manif a largement fait la preuve de ses capacités et de son professionnalisme…

Quant à mobiliser, cela dépend en fait avant tout de la gravité de la menace : si la PMA sans père devenait un péril imminent, je suis convaincue que des mobilisations immenses auraient lieu. Et bien-sûr, je ne parle pas là d’un sentiment personnel : mon analyse repose sur de très nombreux éléments qui vont dans ce sens, à commencer par les demandes de plus en plus nombreuses et pressantes de lancer de nouvelles mobilisations !

J’ajoute, parce que c’est un point essentiel en termes de légitimité, que La Manif Pour Tous a remporté des victoires historiques : même si, malheureusement, la loi Taubira a été votée, il n’en reste pas moins, comme le disait le député Erwan Binet, que « la victoire de La Manif Pour Tous est d’avoir congelé les ambitions sociétales de la gauche ». Cette dernière avait en effet prévu de légaliser la PMA sans père, le statut du beau-parent, l’ouverture de l’adoption aux couples pacsés et concubins, etc. Or, face à La Manif Pour Tous, François Hollande a systématiquement reculé. Le projet de loi « familles » de Dominique Bertinotti, par exemple, avait été retiré le 3 février 2014, lendemain de notre manifestation du 2 février 2014.

Et de fait, Emmanuel Macron et le gouvernement ont parfaitement conscience de la capacité de mobilisation de La Manif Pour Tous : ils prennent le mouvement très au sérieux. Je dirai même qu’ils le craignent.

Et c’est précisément pour celaqu’ils ont voulu des débats bioéthiques très vastes, des rapports successifs, un long discours aux Bernardins, une visite au Pape, etc. Convaincus que seuls les catholiques sont opposés à la PMA sans père – ce qui est une aberration puisque la PMA concerne tout le monde –, ils essayent par tous les moyens de désamorcer cette opposition. Mais ce qu’ils n’ont pas compris non plus, c’est que l’essentiel, ce sont les enjeux, et non le fait de procéder de telle ou telle manière. En outre, s’ils pensaient qu’il suffisait de pouvoir s’exprimer dans le cadre des états généraux de la bioéthique pour être satisfait, ils se trompent encore : les opposants à la PMA sans père seraient encore plus mobilisés si les résultats de cette consultation n’étaient pas prise en compte !

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