LR contraint de s’allier à LREM pour survivre ? Les faux calculs de Christian Estrosi<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Estrosi LREM Emmanuel Macron LR
Christian Estrosi LREM Emmanuel Macron LR
©Yann COATSALIOU / AFP

Stratégie

Le maire de Nice, Christian Estrosi, a lancé un appel afin de former un grand bloc LR/LREM pour les régionales. Que cherche Christian Estrosi avec une telle proposition ?

Alexis Massart

Alexis Massart

Alexis Massart  est directeur d'Espol, école européenne de sciences politiques et sociales de l'Université catholique de Lille.

 

 

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico.fr : Si LR et LREM ne s'allient pas dans "un bloc central, beaucoup de régions sont perdues", a jugé Christian Estrosi. Le président de la métropole de Nice a appelé à la constitution d’un grand bloc LR/LREM pour les régionales : chacun des deux partis a-t-il un intérêt dans cette alliance ?

Xavier Dupuy : D'un côté nous avons des régions détenues par LR, de l'autre des régions dirigées par la gauche. Or, la situation n'est pas du tout la même selon que l'on soit sortant ou non. La réalité est qu'une alliance entre LR et LREM profitera à LREM. LREM a tout à gagner à faire une alliance avec LR, alors que l'inverse n'est pas vrai. La raison est simple : dans les régions où LR est sortant, on sait qu'ils auront le leadership ; et dans celles où ils ne sont pas sortants, la probabilité qu'En marche arrive devant eux est faible. Dans certaines régions, En marche ne sera même pas en capacité de faire 10% et donc de se maintenir au second tour. D'où le souhait d'En marche de faire des alliances dans la plupart des régions avec LR de façon avoir des sièges. Car sinon, dans les régions où ils ne feront pas 10%, ils seront éliminés et n'auront aucun siège.

Et en termes de réalité électorale, y-a-t-il un intérêt à cette alliance ? Mon sentiment est que dans le cadre d'une élection à deux tours, il n'y a pas d'intérêt pour LR de le faire. En effet, au premier tour, il est probable que dans une région tenue par la gauche, une alliance LR-LREM puisse potentiellement permettre à LR de faire mieux que s'ils avaient été seuls. En revanche, dans les régions détenues par LR, une alliance LR-LREM peut entraîner une déperdition des électeurs LR vers le Rassemblement national et des électeurs En marche vers la gauche. Et donc, vous auriez des sortants de droite qui feraient des places sur leurs listes à des LREM pour faire un résultat similaire à ce qu'ils auraient fait seuls.

Lors des élections municipales, nous avons vu des alliances entre LR et LREM où malgré l'élimination du Rassemblement national au second tour – comme à Strasbourg – l'addition des deux listes au premier tour n'a pas pas donné les résultats escomptés car des électeurs LR et LREM n'ont pas accepté cette alliance. Idem à Bordeaux où la gauche a remporté la ville car le report des électeurs En marche vers LR n'a pas été parfait.

Alexis Massart : Pas vraiment selon moi. Du côté de LREM ça ferait quand même basculer complètement à droite, alors que tout le projet politique lancé par Emmanuel Macron – et qui lui a plutôt pas mal réussi – c’était justement de constituer un vrai boc central qu’on retrouve à la fois dans son discours, dans la composition successive des gouvernements, même si, de fait, les premiers ministres étaient plutôt à droite. Ça viendrait casser le discours d’Emmanuel Macron selon moi. Du côté des Républicains, c’est plus compliqué car ça voudrait dire quasiment la disparition du parti car si certains seraient susceptibles de suivre Christian Estrosi, je pense que d’autres prendraient position contre le président de la République, et ceux-là ne suivraient pas.  Donc on aurait une implosion d’un parti qui est déjà assez mal en point, quoi qu’en disent ses dirigeants. Organiser un grand bloc tel que l’envisage Christian Estrosi est assez problématique. Par contre la question peut se poser un peu différemment au second tour, en fonction du premier tour des élections régionales. Il peut y avoir des rapprochement ponctuels dans certaines régions en fonction de la menace potentielle de l’arrivée du Rassemblement National à la tête de ces régions. Donc avant le premier tour ça me semble très compliqué, mais après celui-ci, je pense qu’on verra des choses comme on a pu en voir au moment des municipales ou LREM à dans certains cas soutenu des maires sortants issus de LR, comme issus de la gauche. C’est un peu la tendance qu’on pourrait voir dans certains cas, maintenant l’élection n’est pas la même. LREM n’avait pas forcément les forces nécéssaires pour créer des listes crédibles dans toutes les villes de France par contre on peut imaginer que sur les listes régionales ils arrivent à trouver suffisamment de monde pour créer des listes partout. Mais les résultats de LREM aux municipales ne sont pas très encourageants pour remporter des régions.

Cette alliance ne ferait donc sens que dans les régions que LR a peu de chance de remporter ?

Xavier Dupuy : En Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie, LR a peu de chances de l'emporter. Deux autres régions tenues par la gauche pourraient par contre basculer : Centre-Val de Loire et Bourgogne-Franche Comté. Il y a ensuite les régions tenues par la droite. Mon sentiment est qu'il y a un certain nombre de régions où En marche n'est pas en capacité de faire 10%. Quel est l'intérêt de faire alliance avec eux ? Si personne ne s'associe avec eux, ils seront éliminés au deuxième tour et leurs électeurs feront ce qu'ils voudront. Avec une alliance, on peut améliorer le report des voix LREM vers LR, mais avec en contrepartie une perte d'électeurs LR et un maintien voire une progression du Rassemblement national au second tour.

C'est valable dans les régions gagnables ( Centre-Val de Loire et Bourgogne-Franche Comté) mais pas seulement. Prenez la région PACA : LREM est-il capable d'y dépasser 10% ? Pas sûr. Quel intérêt à s'allier à eux ? Et si au second tour leurs électeurs veulent barrer la route au Rassemblement national, ils savent ce qu'ils ont à faire.

LR et LREM n'ont pas du tout les mêmes électorats. Christian Estrosi veut créer un bloc central, mais le problème est qu'il n'existe pas. Les électeurs LR ne sont pas au centre, ils sont à droite pour l'immense majorité. Et une partie des électeurs LREM est à gauche : ils ne voteront pas pour LR, même en cas d'alliance. Certes, c'est une minorité, mais lorsque vous faites une alliance, c'est pour récupérer les électeurs de la liste associée mais sans perdre les vôtres !

LR peut-il gagner ou conserver des régions sans l’appui des centristes, notamment du MoDem ? On se souvient qu’en 2015 Les Républicains (LR) et l'UDI avaient présenté des listes communes dans toutes les régions métropolitaines et que le MoDem était allié avec les listes LR-UDI dans onze régions.

Xavier Dupuy : Tout dépend de ce qu'on appelle les centristes. Il y a les centristes d'Hervé Morin, ceux de l'UDI de Jean-Christophe Lagarde, et ceux du Modem. Le Modem va partir avec la majorité présidentielle. Du côté de chez Morin et Lagarde, on s'oriente plutôt vers la droite. En réalité, une partie du centre ira donc avec LR. Ensuite, il faut regarder les implantations locales. En réalité, le centre n'est pas un courant politique majeur: il s'agit plutôt de notables locaux implantés qui se positionnent sur des listes aux élections régionales. Sans vouloir être méchant, le Modem a quelques élus locaux et En marche n'en a quasiment aucun. En termes de lisibilité, les listes LR avec les centristes, en fonction des personnes qui seront dessus – et notamment des élus locaux – risquent d'être plus identifiées que des listes avec des représentants des différents courants de la majorité présidentielle qui n'ont pas d'assise locale.

Sans aucune alliance, il est difficile de dire ce que pourraient être les résultats de LR. La comparaison avec 2015 est en effet difficile car vous aurez en mars prochain des présidents sortants. Cela peut rabattre les cartes car ils bénéficient d'une assise. Je pense aux régions PACA ou Hauts-de-France. En 2015, le résultat des deux candidats n'étaient pas très forts au premier tour. Au second, ils se sont retrouvé en duel. Maintenant, ils sont sortants : ils peuvent donc peut-être caracoler au premier tour avec 30-32% des voix, ce qui n'était pas le cas la dernière fois. Vous pouvez très bien avoir un président de région qui au premier tour fait 32% : il n'a quasiment pas d'alliés, mais si derrière la troisième liste est larguée avec 15%, une dynamique se crée en faveur de la première liste. Prenons la région Auvergne-Rhône-Alpes. En 2015, au premier tour, Laurent Wauquiez a fait 31,8% au premier tour. Il n'a fait aucune alliance et est passé à 40,5% au second tour. Que s'est-il passé ? Il était à 31,8%, le Rassemblement national à 27% et les Socialistes à 23%. Cela a créé une dynamique en sa faveur.

La région Grand Est, en 2015, était particulière. Le Rassemblement national y est arrivé en tête, suivi du LR puis du PS. Les socialistes, au niveau national, ont appelé au retrait de cette liste mais leur candidat a refusé et s'est maintenu. Il y a eu, au second tour, une baisse du bloc de gauche car une partie des électeurs a voté utile. La progression de la liste de droite a été telle qu'on peut penser qu'elle a bénéficié de l'arrivée de nouveaux électeurs voulant voter contre le Rassemblement national.

Alexis Massart : Ça va être compliqué effectivement parce qu’il y a deux choses. Le MoDem et ce qui reste vaguement d’un parti centriste, qui sont maintenant plutôt proche de LREM. La constitution des listes LREM se fera avec ces alliés-là. Une partie de l'électorat va suivre ces listes composées avec le MoDem même si globalement ça ne sera pas suffisant pour remporter des régions ça va assécher l’électorat de 2015 pour les candidats LR qui risquent de se retrouver en difficulté pour le second tour. Ce sont plutôt des scénarios de type triangulaire ou quadrangulaire auxquels il faut s’attendre. Aujourd’hui c’est très compliqué de tirer des plans sur la comète concernant les résultats parce que ça va dépendre de l’ordre d’arrivée au premier tour. Si le Rassemblement national est une forte menace dans certaines régions, les comportements ne seront pas les mêmes. Il pourrait très bien y avoir des retraits comme on l’avait connu la dernière fois dans les Hauts-de-France ou chez Christian Estrosi, ou la gauche s’était purement et simplement retirée dans ces régions. C’est d’ailleurs sans doute un peu ce que Christian Estrosi a derrière la tête dans ses propos. Ça peut être des triangulaires, des quadrangulaires. Dans certains cas, notamment dans les Hauts-de-France, celui qui va conduire la liste socialiste, Patrick Kanner, a déjà fait savoir qu’il était hors de question de reproduire ce qui s’était passé la dernière fois : un retrait. Donc on se dirige tout droit vers une triangulaire voire une quadrangulaire. D’ailleurs les Hauts-de-France vont être une région particulièrement compliquée.

Que cherche Christian Estrosi avec une telle proposition ?

Xavier Dupuy : Vu ce qui s'est passé en 2015, Christian Estrosi se dit peut être que pour gagner, il faut rassembler toutes les forces car si la gauche se maintient, ce sera difficile. Sauf que sa capacité à rassembler ne doit pas l'amener à gagner quelques pourcents au premier tour pour ensuite être battu au deuxième. Imaginons qu'il parte avec En marche et que LREM représente 10% dans sa région : il récupérera peut-être 6 ou 7%. Mais s'il en perd 3 ou 4 au Rassemblement national et qu'il perd une partie des électeurs RN du premier tour qui comptaient voter LR au second, il n'aura rien gagné.

C'est pour cela que je pense que cette idée de Christian Estrosi est une fausse bonne idée, du moins dans une élection à deux tours.

Alexis Massart : Une aventure personnelle peut être en partie. C’est plutôt donner des gages à une certaine partie de la droite qu’Estrosi cherche à incarner, qui serait plutôt Macron compatible. Sa déclaration va dans la continuité de ce qu’il avait déclaré fin-août sur l’intérêt que la droite et le centre avaient à avoir un accord avec Emmanuel Macron. Ça incarne un courant au sein de la droite qui est plutôt centriste, en tout cas plus proche du parti du centre que potentiellement d’autres types d’alliance et notamment des alliances ponctuelles avec le RN comme on a pu en avoir ponctuellement par le passé. Et en même temps il y a un enjeu très fort sur sa région. Les successions de déclarations de ce type vont lui assurer le soutien, inévitablement, de LREM et de la famille centriste. De quelle manière ? Est-ce que ça sera dès le premier tour ou entre les deux tours, difficile de le dire aujourd’hui ? Mais ça pourrait être potentiellement un soutien dès le premier tour à Estrosi et sa famille politique pour lui permettre d’être en paix et moins menacé derrière par le Rassemblement national. Ces déclarations donne des gages au président de la République de quelqu’un se déclarant toujours de droite qui très clairement propose un pacte de non-agression sur la région. Et sur la présidentielle ce n’est pas à exclure, ça dépendra sans doute de qui il y aura en face, mais c’est plutôt la tendance actuelle. Mais l’élection est en 2022, il peut encore se passer des choses. De ce point de vue-là, il a un positionnement complètement inverse à Xavier Bertrand.

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